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– Viens ! Viens voir ce que j’ai trouvé ! s’était-elle exclamée.

– Quoi donc ? avait-il demandé.

– Elle l’a fait ! avait chuchoté Maria. Elle m’a envoyé le signe. Maman m’a dit qu’elle se servirait de ce livre. Il est posé par terre. Le livre est posé par terre. Elle… elle s’est manifestée.

– Maria…

– Non, réellement.

– Maria… Tu ne devrais pas…

– Quoi ?

– Tu as vraiment trouvé le livre par terre ?

– Oui.

– C’est vrai que c’est franchement…

– Regarde la page, avait-elle demandé.

Elle avait lu les mots à voix haute. Il savait parfaitement que l’endroit où l’ouvrage s’était ouvert relevait du plus pur des hasards.

Les bois sont déjà noirs, le ciel est encore bleu.

– Tu ne trouves pas que ça correspond ? avait demandé Maria. Les bois sont déjà noirs, le ciel est encore bleu. Voilà le message.

– Maria…

– Elle m’a envoyé un signe comme promis. Elle m’a transmis son message.

– C’est évidemment… C’est incroyable, vous aviez parlé de ça et voilà que…

– Exactement comme elle l’avait dit. C’est exactement ce qu’elle avait prévu.

Les yeux de Maria s’étaient remplis de larmes, Baldvin l’avait prise dans ses bras et assise dans un fauteuil. Elle était en proie à une forte émotion, qui oscillait entre la joie et la peine. Les jours suivants, elle avait ressenti un grand apaisement, ce qu’elle attendait depuis si longtemps était enfin arrivé.

Environ une semaine plus tard, Baldvin lui avait déclaré sans ambages :

– Tu ferais peut-être bien d’aller voir un médium.

Peu après, Karolina la recevait dans l’appartement de l’une de ses amies, en voyage aux îles Canaries. Maria ignorait que Baldvin et Karolina avaient étudié le théâtre ensemble et, à plus forte raison, qu’ils avaient eu une relation amoureuse. Elle n’avait jamais rencontré cette femme et connaissait très peu les amis que Baldvin avait conservés de cette époque.

Karolina avait allumé des bâtonnets d’encens et mis de la musique douce. Elle avait couvert ses épaules d’un vieux châle. Ce déguisement lui plaisait, elle s’était amusée à se maquiller avec de l’ombre à paupières, s’était dessiné de larges sourcils, avait souligné les traits de son visage, mis du rouge à lèvres carmin. Elle s’était entraînée avec Baldvin qui lui avait communiqué une foule de renseignements qui lui seraient utiles pour la séance. C’étaient divers détails de l’enfance de Maria, de leur vie commune ; il lui avait parlé du lien exceptionnel qui l’unissait à sa mère et de Marcel Proust.

– Je sens chez vous une grande douleur, lui avait dit Karolina, alors qu’elles s’étaient assises et que la séance allait commencer. Vous avez beaucoup souffert, beaucoup perdu.

– Ma mère est décédée il y a quelque temps, avait répondu Maria. On était très proches.

– Et elle vous manque.

– Énormément.

Karolina s’était préparée de façon professionnelle. À cette occasion, elle était allée consulter un médium pour la première fois. Elle n’avait pas spécialement écouté ce qu’il lui avait dit, mais s’était concentrée sur la manière dont il s’exprimait, les mouvements de ses mains, de sa tête, de ses yeux, et sur sa respiration. Elle s’était demandé si elle allait feindre de tomber en transe quand Maria viendrait la voir ou si elle allait se contenter, comme le médium qu’elle avait consulté, de rester assise, de poser des questions et de lui communiquer ce qu’elle percevait. Elle avait en tête une image précise de Leonora, bien que ne l’ayant jamais rencontrée. Baldvin lui avait prêté une photo qu’elle avait examinée avec soin.

Le moment venu, elle avait décidé de laisser la transe de côté.

– Je ressens une présence intense, avait-elle annoncé.

Alors qu’ils étaient allongés dans leur lit le soir même, Maria avait raconté à Baldvin de façon détaillée la manière dont la séance s’était déroulée. Il était resté longtemps silencieux après qu’elle eut achevé son récit.

– Je t’ai déjà parlé de ce Tryggvi que j’ai connu pendant que je faisais médecine ? avait-il demandé.

34

Baldvin fuyait le regard d’Erlendur qui, assis face à lui, écoutait son récit. Il plongeait ses yeux dans le salon derrière le policier, par-dessus son épaule, ou les baissait, honteux, sur la table, mais évitait soigneusement de croiser ceux d’Erlendur.

– Elle a fini par vous supplier de l’aider à aller de l’autre côté, commenta Erlendur d’un ton méprisant.

– Elle… elle s’est immédiatement enflammée pour l’idée, répondit Baldvin, les yeux baissés.

– Vous pouviez désormais l’assassiner sans éveiller la moindre suspicion.

– C’était notre plan initial, j’en conviens, mais je n’ai pas pu le faire. Je n’ai pas pu m’y résoudre le moment venu. Je n’avais pas cela en moi.

– Pas cela en vous ! s’indigna Erlendur.

– C’est vrai, je ne suis pas arrivé à sauter le pas.

– Que s’est-il passé exactement ?

– Je…

– Comment avez-vous procédé ?

– Elle voulait s’entourer de précautions. Elle avait peur de mourir.

– N’est-ce pas notre cas à tous ?

Allongés dans le lit, ils avaient, jusque tard dans la nuit, discuté de l’éventualité de provoquer chez Maria un état de mort temporaire suffisamment long pour lui permettre d’aller dans l’au-delà et assez court pour qu’elle en revienne indemne. Baldvin lui avait raconté l’expérience que ses camarades de médecine avaient menée avec Tryggvi ; il lui avait parlé de sa mort et de son retour à la vie. Il n’avait rien senti, n’avait conservé aucun souvenir, n’avait vu ni lumière ni qui que ce soit. Baldvin lui avait dit qu’il savait comment provoquer cet état sans prendre trop de risques. Évidemment, l’expérience n’était pas sans danger, Maria devait en avoir conscience, mais elle était en bonne forme physique et n’avait, en soi, rien à craindre.

– Comment tu vas me réveiller ? s’était-elle inquiétée.

– On peut recourir à divers produits et il y a aussi les gestes des premiers secours : le massage cardiaque et le bouche-à-bouche. On peut aussi se servir d’un défibrillateur. Il faudrait que je me procure cet appareil. Si on tente cette expérience, on doit prendre toutes les précautions pour qu’elle passe inaperçue. Ce n’est pas très légal. On pourrait m’interdire d’exercer la médecine.

– Et on la tenterait ici ?

– Je me dis que ce serait peut-être mieux au chalet d’été, avait répondu Baldvin. Mais bon, pour l’instant, c’est juste une idée. On ne va quand même pas faire ça.

Maria se taisait. Il écoutait sa respiration. Allongés dans la nuit, les paroles qu’ils échangeaient n’étaient que murmures.

– Je voudrais bien essayer, avait déclaré Maria.

– Non, c’est trop dangereux.

– Mais tu viens de dire que ça ne posait aucun problème.

– Oui, en théorie, mais la mise en application c’est une tout autre affaire, avait-il expliqué en essayant toutefois de ne pas se montrer trop négatif.

– Je veux qu’on essaie, avait déclaré Maria d’un ton plus ferme. Pourquoi au chalet ?

– Non, Maria, arrête de penser à ça. Je… C’est vraiment à côté de la plaque. Je ne m’en sens pas capable.

– Évidemment, je pourrais réellement mourir et tu te retrouverais dans la panade.

– Il y a un danger véritable, avait répété Baldvin. C’est inutile de tenter le diable.

– Tu ne pourrais quand même pas faire ça pour moi ?

– Je… je ne sais pas, je… Mieux vaut arrêter de parler de ça.

– J’ai envie d’essayer. Je veux que tu tentes cette expérience pour moi. Je sais que tu en es capable. J’ai confiance en toi, Baldvin. Tu es celui en qui j’ai le plus confiance. Tu veux bien faire ça pour moi ?