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– Maria…

– On peut le faire. Ça se passera bien. Tu as toute ma confiance, Baldvin. Essayons.

– Et si ça déraillait ?

– Je suis prête à courir le risque.

Quatre semaines plus tard, ils étaient partis pour le chalet de Thingvellir. Baldvin voulait être sûr qu’ils ne seraient pas dérangés et s’était dit que le jacuzzi de la terrasse pourrait leur être utile. Il leur fallait une grande quantité d’eau froide s’ils voulaient plonger le corps en hypothermie pour provoquer un arrêt cardiaque. Baldvin avait mentionné plusieurs méthodes et il considérait que c’était la moins risquée. Il lui avait affirmé que les sauveteurs en mer et en montagne y recouraient à des fins de réanimation dans des conditions semblables. Il leur arrivait parfois de retrouver des gens qui avaient longuement séjourné dans l’eau glacée ou dans la neige, et il fallait agir vite s’il n’était pas déjà trop tard. Il fallait réchauffer le corps avec d’épaisses couvertures et, si le cœur s’était arrêté de battre, le remettre en route par tous les moyens.

Ils avaient commencé par remplir le jacuzzi avec de l’eau froide et des morceaux de glace pris à la surface du lac. Ils s’étaient servis de seaux pour aller la chercher. Il ne leur avait pas fallu bien longtemps, ils n’étaient pas loin de la rive. Il faisait froid et Baldvin avait conseillé à Maria de porter une tenue légère afin de s’habituer à la température avant de plonger dans le jacuzzi. Finalement, il avait brisé la glace entre les pierres aux bords du lac et en avait rempli le bassin. Maria avait pris deux légers somnifères dont il lui avait dit qu’ils atténueraient la sensation de froid.

Elle avait récité un psaume de la Passion et une brève prière avant d’entrer lentement dans le jacuzzi. L’eau était glaciale, mais elle tenait le coup. Elle y était entrée, d’abord jusqu’aux genoux, puis aux cuisses, aux hanches et jusqu’au ventre. À ce moment-là, elle s’était assise et l’eau lui était montée jusqu’à la poitrine, recouvrant ses épaules et sa gorge : seule sa tête dépassait de l’eau.

– Ça va ? s’était enquis Baldvin.

– C’est… vraiment… glacial, avait soupiré Maria.

Elle ne parvenait pas à contrôler ses tremblements. Baldvin lui avait dit qu’ils s’estomperaient d’ici quelques minutes et qu’ensuite, elle ne tarderait pas à perdre connaissance. Elle allait s’endormir et ne devait pas lutter.

– Tu ne dois pas lutter contre le sommeil, lui avait-il expliqué avec un sourire, mais bon, dans ton cas, c’est différent, tu désires t’endormir. Laisse-toi simplement aller.

Maria avait essayé de sourire. Le tremblement n’avait, en effet, pas tardé à disparaître. Son corps était bleu de froid.

– Il… il faut que je sache, Baldvin.

– Oui.

– Je te… fais… confiance, avait-elle dit.

Baldvin avait posé le stéthoscope sur son cœur. Les battements s’étaient considérablement ralentis. Elle avait fermé les yeux.

Il écoutait les battements ralentir encore et encore.

Puis, ces derniers s’étaient arrêtés. Le cœur avait cessé de battre.

Baldvin avait regardé sa montre. Les secondes s’égrenaient. Ils avaient parlé d’une minute à une minute trente. Il pensait ainsi ne pas prendre de risque. Il maintenait la tête de Maria hors de l’eau. Les secondes s’écoulaient. Une demi-minute. Quarante-cinq secondes. Chacune lui semblait une éternité. La trotteuse avançait à peine. Il avait subitement été pris d’inquiétude. Une minute. Une minute et quinze secondes.

Il avait attrapé Maria sous les aisselles pour la sortir du jacuzzi d’un coup sec, l’avait enveloppée dans une couverture, portée à l’intérieur du chalet et couchée sur le sol, au pied du plus gros radiateur. Elle ne présentait plus aucun signe de vie. Il avait commencé à lui faire du bouche-à-bouche et un massage cardiaque. Il savait qu’il avait très peu de temps devant lui. Peut-être l’avait-il laissée trop longtemps dans l’eau. Il lui avait gonflé les poumons d’air, avait écouté son cœur et repris le massage.

Il avait posé son oreille contre sa poitrine.

Le cœur s’était remis à battre, faiblement. Il lui avait frotté le corps avec la couverture et l’avait approchée du radiateur.

Les battements s’accéléraient. Sa respiration s’était remise en route. Il était parvenu à la ramener à la vie. Sa peau n’était plus bleue de froid. Elle avait repris une teinte légèrement rosée.

Soulagé, Baldvin s’était assis par terre et l’avait longuement regardée. On aurait dit qu’elle dormait à poings fermés.

Puis, elle avait ouvert les yeux, un peu désorientée. Elle avait tourné la tête vers lui, l’avait longuement dévisagé. Il souriait. Elle s’était mise à trembler vigoureusement.

– C’est… terminé ? avait-elle demandé.

– Oui.

– Je… je l’ai vue. Je l’ai vue… elle venait vers moi…

– Maria…

– Tu n’aurais pas dû me réveiller.

– Ça a duré plus de deux minutes.

– Elle était… tellement belle, avait dit Maria. Mon Dieu, ce qu’elle était belle. Je… j’avais envie de la prendre dans mes bras. Tu n’aurais pas dû… me réveiller. Tu n’aurais pas dû.

– Il le fallait.

– Tu… n’aurais pas dû… me réveiller.

Baldvin adressa à Erlendur un regard grave. Il s’était levé et se tenait à côté du radiateur au pied duquel il disait avoir allongé Maria quand il l’avait ramenée à la vie après son séjour dans le jacuzzi.

– Je n’ai pas pu la laisser mourir, expliqua-t-il. Ça m’aurait été très facile. Rien ne m’obligeait à la ramener à la vie. J’aurais pu la coucher dans la chambre et elle aurait été retrouvée morte le lendemain. Personne n’aurait rien soupçonné. Une simple crise cardiaque. Mais je n’ai pas pu.

– Quelle grandeur d’âme ! lança brutalement Erlendur.

– Elle était persuadée que la vie se poursuivait dans l’au-delà, reprit Baldvin. Elle disait avoir vu Leonora. Elle était faible à son réveil et je l’ai portée dans le lit. Elle s’est rendormie pendant deux heures. Pendant ce temps-là, j’ai vidé le jacuzzi, je l’ai rincé et j’ai tout rangé.

– Elle a donc voulu partir de manière définitive.

– C’était son choix, répondit Baldvin.

– Et ensuite ? Que s’est-il passé à son réveil ?

– Nous avons parlé. Elle se souvenait très bien de ce qui était arrivé quand elle était allée de l’autre côté, comme elle disait. Ça ressemblait à ce que décrivent généralement les gens : un long tunnel, une grande lumière, vos amis et votre famille qui vous attendent. Elle avait l’impression d’avoir enfin trouvé la paix.

– Tryggvi affirme qu’il n’a rien vu de tout ça. Juste une nuit toute noire.

– Je suppose qu’il faut être en phase, je ne sais pas, répondit Baldvin. En tout cas, c’est ce qu’a perçu Maria. Quand je suis reparti en ville, elle allait très bien.

– Vous étiez venus avec deux voitures ?

– Oui, elle voulait rester encore un peu pour se remettre. J’ai passé la nuit ici et je suis rentré le lendemain, vers midi. Elle m’a appelé le soir, comme vous savez. À ce moment-là, elle était complètement remise de l’expérience et m’a semblé très bien au téléphone. Elle avait prévu de rentrer à la maison avant minuit. C’est la dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles. Elle n’avait pas du tout l’air de se préparer à faire une bêtise. Je n’ai pas pensé qu’elle allait mettre fin à ses jours. Ça ne m’a pas traversé l’esprit.

– Vous ne croyez pas que votre expérience l’a poussée dans cette direction ?

– Je n’en sais rien. Juste après le décès de Leonora, j’avais l’impression que le risque qu’elle en arrive là était réel.