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– Vous n’avez pas l’impression d’être responsable ?

– Évidemment… Évidemment que si. Je me sens responsable, mais je ne l’ai pas assassinée. Je n’aurais jamais pu. Je suis médecin, mon rôle n’est pas de tuer les gens.

– Il n’y a aucun témoin de ce qui s’est passé quand vous étiez ici avec Maria ?

– Non, on était seuls.

– Vous allez perdre votre droit d’exercer la médecine.

– Oui, je suppose.

– Mais ça ne vous gêne pas beaucoup puisque vous héritez de la fortune de Maria.

– Vous pouvez penser de moi ce que vous voulez. Ça m’est complètement égal.

– Et Karolina ?

– Comment ça ?

– Vous lui avez dit que vous aviez changé d’avis ?

– Non, je ne lui en avais pas encore parlé… je ne le lui avais pas encore dit quand j’ai appris le décès de Maria.

Le portable d’Erlendur se mit à sonner. Il le sortit de la poche de son imperméable.

– Oui, ici Thorbergur, déclara une voix.

– Qui ça ?

– Thorbergur, le plongeur. J’ai fait quelques petits tours dans les lacs. C’est là que je me trouve en ce moment.

– Ah oui, bonjour, Thorbergur. Je… Excusez-moi, je n’y étais pas, vous avez des nouvelles ?

– Je crois avoir découvert quelque chose qui vous intéressera. J’ai appelé une petite dépanneuse et la police. Je n’ose pas entreprendre quoi que ce soit sans vous.

– Qu’avez-vous trouvé ?

– Une voiture. Une Austin Mini. Il n’y avait rien dans le lac de Sandkluftavatn et je me suis dit que j’allais explorer ceux des environs. Il gelait beaucoup lorsqu’ils ont disparu ?

– Eh bien, ça ne serait pas étonnant.

– Elle a dû monter sur le lac en voiture. Je vous montrerai ça quand vous serez là. Je suis au lac d’Uxavatn.

– Il y avait quelqu’un dans la voiture ?

– Deux corps. Un homme et une femme, enfin j’ai l’impression. Évidemment, ils sont méconnaissables, mais je pense que ce sont ceux que vous cherchez. Thorbergur marqua une brève pause. Ceux que vous cherchez, Erlendur.

35

Alors qu’il roulait vers le lac d’Uxavatn, Erlendur appela la clinique où le vieil homme attendait la mort. Il ne put lui parler directement. On l’informa qu’il n’en avait plus pour longtemps, il n’était pas sûr qu’il passe la nuit. On le mit en relation avec le médecin de garde qui lui expliqua qu’il ne restait au vieil homme que quelques heures à vivre tout au plus, peut-être même quelques minutes. Il était impossible de se prononcer avec exactitude, mais ça approchait à toute vitesse.

La nuit avait commencé à tomber quand il traversa le plateau d’Urdarflöt au volant de sa Ford. Il dépassa Meyjarsaeti, longea le lac de Sandkluftavatn et prit à gauche, vers la vallée de Lundarreykjadalur. Il aperçut une petite camionnette surmontée d’un treuil qui prenait place sur la pointe nord du lac. La jeep de Thorbergur stationnait à proximité. Erlendur gara sa voiture sur l’accotement et s’avança vers le plongeur qui enfilait ses bouteilles d’oxygène et se préparait à descendre, le crochet du treuil à la main.

– J’ai eu de la chance, expliqua-t-il après qu’ils se furent salués. En fait, mon pied à heurté la voiture.

– Et vous croyez que c’est bien eux ?

– En tout cas, c’est bien le véhicule. Et ils sont deux à l’intérieur. J’ai éclairé avec ma lampe et ce n’est pas beau à voir, comme vous devez vous l’imaginer.

– Non, évidemment. Je vous remercie beaucoup de m’avoir rendu ce service.

Thorbergur prit l’imposant crochet du treuil et entra dans l’eau jusqu’à la taille. Puis, il plongea.

Erlendur et le grutier se tenaient sur la rive en attendant qu’il remonte. Le grutier était un homme grand et sec qui ne savait pas grand-chose de cette affaire, à l’exception du fait qu’une voiture reposait au fond du lac, avec deux cadavres. Il essaya d’en apprendre un peu plus auprès d’Erlendur qui se montrait plutôt avare de paroles.

– C’est une histoire ancienne, répondit-il. Une histoire très ancienne qu’on avait oubliée depuis longtemps.

Puis il était demeuré silencieux à regarder le lac et à attendre que Thorbergur réapparaisse.

Les adieux avec Baldvin avaient été des plus brefs. Erlendur avait envie de lui dire l’horreur et le dégoût que ce que lui et Karolina avaient fait à Maria lui inspirait, mais il s’était fait la réflexion que c’était inutile. Ceux qui se livraient à ce genre de chose se montraient en général hermétiques aux blâmes et aux remontrances. Ils n’étaient menés ni par leur conscience ni par leur sens moral. Baldvin ne lui avait pas demandé les suites qu’il donnerait à l’affaire et Erlendur hésitait. Il ne savait pas trop ce qu’il devait en penser. Baldvin risquait de tout nier en bloc lors d’un procès. Il n’avait raconté ce qui s’était réellement passé qu’à Erlendur et ce dernier serait bien en peine de prouver quoi que ce soit. Il perdrait probablement son droit d’exercer la médecine s’il avouait avoir pratiqué sur Maria cette expérience de mort temporaire avant de la ramener à la vie, mais, étant donné la situation, il s’en fichait éperdument. Il était impossible de savoir s’il serait condamné. La présentation des preuves incombait à l’accusation et l’enquête menée par Erlendur n’en avait en réalité découvert aucune qui soit tangible. Si Baldvin décidait de changer sa version des faits lorsqu’il se retrouverait confronté à la justice, il lui serait aisé de nier avoir encouragé chez Maria le désir de mourir, il nierait l’expérience de mort temporaire et, à plus forte raison, l’avoir assassinée. Erlendur avait rassemblé un faisceau d’indices qui laissaient croire que les événements avaient été organisés pour pousser quelqu’un au suicide, mais il avait très peu de preuves. On ne condamnait pas les gens pour des manigances, aussi peu reluisantes soient-elles.

Il vit la tête de Thorbergur pointer à la surface. Prompt à réagir, le grutier retourna à la camionnette. Thorbergur lui fit signe de hisser le treuil et il se prépara à la manœuvre. Deux voitures de police apparurent à l’horizon, avançant à vive allure, gyrophares allumés. Le treuil se mit en branle. L’épais câble commença à remonter pour s’enrouler autour de son axe, pouce après pouce.

Thorbergur posa le pied sur la rive et se débarrassa de son équipement. Il se dirigea vers la Ford d’Erlendur qui avait ouvert la portière du conducteur pour écouter le bulletin d’informations de la soirée.

– Alors, je suppose que vous êtes content, observa le plongeur.

– Je n’en sais rien.

– C’est vous qui allez apprendre la nouvelle aux familles ?

– Il se pourrait qu’il soit trop tard dans l’un des cas, observa Erlendur. La mère du jeune homme est décédée il y a quelque temps et son père est à l’agonie. La clinique m’a dit qu’il pouvait mourir d’un moment à l’autre.

– Il faut donc faire vite, répondit Thorbergur.

– Elle est jaune ?

– La voiture ? Oui, elle est bien jaune.

Le treuil fit entendre un grand bruit. Les deux véhicules de police s’immobilisèrent. Quatre policiers descendirent pour aller à leur rencontre.

– Vous allez enfin pouvoir vous débarrasser de ce truc-là ? interrogea Thorbergur en désignant le défibrillateur qu’Erlendur avait pris dans l’abri à bateau du chalet de Maria et de Baldvin. Il l’avait posé sur le siège avant, côté passager, après sa discussion avec le médecin.

– Non, répondit Erlendur. Cet appareil fait partie d’une autre enquête.

– Ce ne sont pas les occupations qui manquent, hein ?

– Non, malheureusement.

– Ça fait bien longtemps que je n’avais pas vu une épave pareille. Il y a des gens qui se servent de défibrillateurs hors d’état ?