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Baldvin ne répondait toujours pas.

– Peut-être qu’elle a compris ce que vous lui faisiez. Elle était certainement trop faible pour se débattre. On n’a décelé sur son corps aucune trace de lutte. On sait qu’elle est morte par étouffement quand la corde s’est resserrée autour de son cou.

Karolina se leva pour s’approcher de Baldvin.

– Peu à peu, la vie s’en est allée et elle est morte.

Elle serra son amant dans ses bras en regardant Erlendur.

– Les choses ne se sont-elles pas, plus ou moins, passées ainsi ? N’est-ce pas de cette manière que Maria est décédée ?

– C’est ce qu’elle voulait, répondit Baldvin.

– En partie, peut-être.

– Elle me l’a demandé.

– Et vous lui avez rendu ce service.

Baldvin regarda Erlendur sans la moindre émotion.

– Je crois que vous feriez mieux de déguerpir d’ici, déclara-t-il.

– Vous a-t-elle dit quelque chose ? demanda Erlendur. Quelque chose à propos de Leonora ?

Baldvin secoua la tête.

– Ou de son père ? insista le policier. Elle a dû vous parler de son père.

– Il faut que vous partiez, répondit Baldvin. Vous avez trop d’imagination. Je devrais porter plainte pour harcèlement.

– Elle ne vous a rien dit sur son père ? répéta-t-il.

Baldvin restait silencieux.

Erlendur regarda longuement le couple avant de s’avancer vers la porte.

– Et maintenant ? Qu’allez-vous faire ? demanda Karolina.

Erlendur ouvrit la porte et se retourna.

– J’ai bien l’impression que vous avez réussi.

– Réussi quoi ? s’enquit Baldvin.

– À vous en sortir sans problème, répondit Erlendur. Vous vous méritez l’un l’autre.

– Et vous n’allez rien faire ?

– Je ne peux pas grand-chose, fit remarquer Erlendur en s’apprêtant à refermer la porte. Je vais informer mes supérieurs, mais…

– Attendez, dit Baldvin.

Erlendur se tourna vers lui.

– Elle a parlé de son père.

– Ça me semblait probable, à la toute dernière minute, je suppose, observa Erlendur.

Baldvin hocha la tête.

– Je croyais pourtant qu’elle voulait entrer en contact avec Leonora, remarqua-t-il.

– Mais ce n’était pas le cas, n’est-ce pas ?

– Non.

– Elle voulait rencontrer son père, c’est ça ?

– Je n’ai pas bien compris ce qu’elle a dit. Elle voulait qu’il lui accorde son pardon. Pourquoi aurait-il dû lui pardonner ?

– Ça, vous ne le comprendrez jamais.

– Quoi ? Baldvin fixait Erlendur avec intensité. Est-ce que c’était… Maria ? Elle était avec eux sur la barque quand Magnus est mort. Elle se reprochait le décès de son père ?

Erlendur secouait la tête.

– Vous ne pouviez pas choisir victime plus misérable, conclut-il en refermant la porte.

Il se précipita à la clinique pour monter à l’étage où se trouvait le vieil homme. Ce dernier n’était plus dans sa chambre. Un employé l’informa qu’il avait été transféré dans une autre. Il s’y rendit à toutes jambes. Quelqu’un le conduisit au chevet du vieillard qui reposait sous une épaisse couette de laquelle seuls sortaient son crâne, ses mains et son visage décharnés.

– Il est mort il y a quelques instants, expliqua l’infirmière qui l’avait accompagné. Il a eu une mort paisible. Ce bonhomme-là ne nous a jamais posé le moindre problème.

Erlendur s’assit à côté du lit et prit sa main dans la sienne.

– David était amoureux, commença-t-il. Il…

Il se passa l’autre main sur le front. Il imaginait les deux jeunes gens lorsqu’ils avaient compris qu’ils ne parviendraient pas à s’extraire de la voiture. Ils s’étaient pris par la main, résignés, pendant que la vie les quittait et que leurs cœurs s’arrêtaient de battre au fond de l’eau glacée.

– J’aurais voulu venir un peu plus tôt, s’excusa-t-il.

L’infirmière sortit discrètement de la chambre et les deux hommes se retrouvèrent seuls.

– Il venait de rencontrer une jeune fille, dit Erlendur au terme d’un long silence. Il n’est pas mort seul. C’était un accident, pas un suicide. Il n’était ni triste ni déprimé à ses derniers moments. Il était heureux. Il avait rencontré une jeune fille dont il était tombé amoureux et ils s’amusaient, ils étaient fous de bonheur, vous l’auriez compris. Ils sont morts ensemble. Il était en compagnie de sa petite amie et il vous aurait sûrement parlé d’elle dès son retour à la maison. Il vous aurait dit qu’elle était à l’université, qu’elle était intéressante et qu’elle se passionnait pour les lacs. Il vous aurait dit que c’était sa petite amie. Pour l’éternité, sa petite amie.

37

Debout devant la maison abandonnée qui avait autrefois été son foyer, il levait les yeux vers Hardskafi. On ne distinguait qu’imparfaitement les contours de la montagne à cause du brouillard givrant qui descendait toujours plus bas sur les flancs du fjord. Chaudement vêtu, il avait pris ses vieilles chaussures de marche, son pantalon imperméable et son épaisse veste d’hiver. Il fixa longuement les flancs de la montagne, silencieux et grave, avant de se mettre en route, à pied, avec sa canne de randonneur et son petit sac à dos. Il avançait à grands pas, cerné par le silence de la nature qui s’était endormie pour l’hiver. Bientôt, il avait disparu dans la brume glaciale.

Notes

1. Gare routière de Reykjavik. (Toutes les notes sont du traducteur.)

2. Le deuxième nom des Islandais n’est pas un nom de famille. Il s’agit du prénom du père auquel on accole le suffixe -son pour les hommes ou -dóttir pour les femmes. Ainsi Erlendur Sveinsson est Erlendur le fils de Sveinn et Eva Erlendsdóttir est Eva la fille d’Erlendur. C’est toujours par le prénom qu’on réfère à l’individu, le deuxième nom ne servant que de précision destinée à éviter les confusions.

3. Dagobert utilise le terme médical emprunté au grec. La langue islandaise qui forme les termes avec des racines nordiques et n’emprunte pratiquement pas de mots étrangers désigne l’hypothermie par un terme qui équivaudrait à “sur-refroidissement”. Ce qui explique qu’Erlendur demande des éclaircissements.

4. Harður signifie dur et skafi signifie, entre autres, une spatule, un racloir. Le nom de cette montagne suggère donc l’idée d’un obstacle infranchissable, d’une muraille. Harðskafi est également le titre original du roman.

Du même auteur

chez le même éditeur

La Cité des Jarres

Prix Clé de Verre 2002 du roman noir scandinave

Prix Cœur Noir 2006 de la ville de Saint-Quentin-en-Yvelines

Prix Mystère de la critique 2006

La Femme en vert

Prix Clé de Verre 2003 du roman noir scandinave

Prix CWA Gold Dagger 2005 (UK)

Prix Fiction 2006 du livre insulaire de Ouessant

Grand Prix des lectrices de Elle policier 2007

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Trophée 813, 2007

Grand Prix de littérature policière 2007

L’Homme du lac

Prix Le Polar européen Le Point 2008

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Hypothermie