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— Monseigneur, fit-elle d'une voix dont elle s'efforçait de masquer le tremblement, songez qu'il est tard... que mon époux m'attend...

— Garin travaillera toute la nuit avec Nicolas Rolin. Il ne s'inquiétera pas de toi. Et puisque tu es venue à moi, je te garde...

Il la lâchait, la conduisait vers la petite porte auprès de la cheminée.

Plus morte que vive, Catherine cherchait désespérément un biais pour s'échapper.

— L'on m'avait dit que vous aviez peu de temps...

— Pour toi, j'ai tout le temps !... Va vite !... Sinon je pourrais croire qu'en venant ici tu avais en vue tout autre chose que le souci de mon honneur... et que le chevalier t'est plus cher que tu ne veux bien l'avouer.

La jeune femme se sentit frissonner. Elle était prise au piège. Le moment qu'elle avait redouté depuis ses fiançailles était venu et dans les pires circonstances. Alors qu'elle eût tant aimé demeurer seule, enfermée chez elle, pour retrouver un peu de calme et pleurer tout à son aise la terrible scène du pavillon bleu, il lui fallait se donner à un homme qu'elle n'aimait pas, qu'elle détestait même. La vie aventurée d'Arnaud lui en faisait un devoir. Il fallait payer sa liberté au prix le plus élevé et elle comprenait maintenant pourquoi Philippe refusait de délivrer ses prisonniers avant le matin. Il voulait cette nuit en gage.

Le duc referma la petite porte et elle se trouva dans un réduit sans fenêtre qu'éclairaient deux bouquets de bougies dans des candélabres d'or. Sur une sorte de dressoir bas étaient disposés des flacons de parfum, des boîtes d'onguents, le tout en or émaillé de vives couleurs-Un grand miroir carré trônait au milieu, reflétant la douce lumière des chandelles et la petite pièce, toute tendue de velours pourpre, avait l'air d'un écrin. Sur un tabouret couvert de même tissu, attendait une robe faite de voiles azurés assortie à de petites pantoufles de satin de même couleur posées devant.

Catherine embrassa tout cela d'un regard morne et soupira. Il n'y avait à cette pièce d'autre accès que la porte par laquelle elle était entrée et puis, si même il y en avait eu, cela n'aurait guère changé les choses. À quoi bon ? Puisque c'était là son destin, il était inutile de tenter d'échapper. Tôt ou tard, Philippe aurait le dernier mot. D'un geste las, elle ôta le tambourin de velours de sa tête, le lança dans un coin, bientôt suivi de la résille. Quand ses cheveux tombèrent sur son dos, elle se mordit les lèvres pour ne pas pleurer. Il y avait si peu d'heures qu'Arnaud avait fait le même geste, avec quelle tendre impatience. De toutes ses forces, Catherine essaya de rejeter loin d'elle ce souvenir trop précis et trop proche. Elle se mit à se dévêtir avec une colère hâtive. La robe chut à ses pieds, puis la fine chemise de dessous. Nerveuse elle saisit la robe de voile, la fit passer par-dessus sa tête, ôta ses bas, ses escarpins de velours et glissa ses pieds nus dans les petites pantoufles. Le regard indifférent qu'elle jeta au miroir lui révéla que la toilette de nuit enveloppait son corps d'une brume assez épaisse qui en laissait entrevoir les contours, mais masquait les détails trop précis. Puis, rejetant ses cheveux en arrière d'un mouvement de tête où entrait du défi, elle avala sa salive et se dirigea résolument vers la porte qu'elle ouvrit.

Or, quand elle entra dans la chambre de Philippe, cette chambre était vide.

Le premier mouvement de Catherine en se voyant seule dans la chambre fut de courir à la porte par laquelle elle était entrée. Mais, sous sa main, la porte résista. Elle était fermée à clef. Avec un soupir résigné, la jeune femme revint vers la cheminée. Malgré le feu flambant, elle frissonnait un peu dans le vêtement trop léger. La chaleur brûlante l'enveloppa bientôt tout entière, lui communiquant une sorte de réconfort. Au bout de cinq minutes, elle se sentait mieux, plus vaillante pour subir ce qui l'attendait. Philippe avait dû s'absenter mais, sans doute, ne tarde- rait-il pas à revenir.

Comme pour lui donner raison, une clef tourna dans la serrure. La porte en s'ouvrant fit entendre un petit grincement. Catherine serra les dents, se retourna... et se trouva en face d'une chambrière en bonnet et tablier de lin blanc qui lui faisait la révérence.

— Je viens faire la couverture, dit la nouvelle venue en désignant le lit.

Catherine, dès lors, se désintéressa d'elle jusqu'à ce que la jeune fille reprît la parole :

— Monseigneur le Duc prie Madame de bien vouloir souper et se coucher sans l'attendre. Monseigneur sera probablement retenu et implore le pardon de Madame... Je vais apporter le souper dans l'instant.

Debout sur la dernière marche du lit, la chambrière tenait le coin des draps rabattu comme pour engager Catherine à s'y glisser. Celle-ci accepta l'invitation muette. Elle ôta ses pantoufles et se coucha. Cette journée l'avait épuisée et, puisque le fameux souper des échevins lui accordait un répit, autant en profiter pour se reposer. La nuit était tout à fait venue au-dehors et le vent se levait. On l'entendait gémir dans la cheminée où les flammes, par instant, se couchaient.

Confortablement calée dans les multiples oreillers de soie, Catherine se trouva bien. Au fond, la chambre de Philippe lui procurait cette solitude tant désirée qui eût été impossible dans l'espace réduit des deux pièces partagées avec Ermengarde et les trois autres filles. En pensant à son amie, la jeune femme sourit. Dieu sait ce que la grosse comtesse allait imaginer ? Peut- être que Catherine s'était fait enlever par Arnaud et galopait maintenant vers Guise en croupe du chevalier? Cette image évoquée faillit bien balayer d'un seul coup tout le courage si péniblement accumulé depuis quelques heures. Il ne fallait surtout pas penser à Arnaud si elle voulait garder la tête froide. Plus tard, oui, quand l'épreuve qui se préparait serait passée. Elle aurait alors tout le temps d'examiner ce qu'il y avait à faire.

Quand la jeune camériste revint avec le plateau du souper, Catherine fit honneur à ce qu'on lui servait. Elle n'avait rien mangé depuis la veille. En quittant son logis, à la fin de la matinée, elle avait été incapable de prendre quoi que ce fût, malgré les objurgations d'Ermengarde. Cela ne passait pas. Maintenant son corps jeune et sain réclamait. Elle avala un bol de bouillon aux œufs, la moitié d'un poulet rôti, une tranche de pâté de lièvre et quelques prunes confites, le tout arrosé d'un gobelet de vin de Sancerre. Puis, repoussant le plateau dont la chambrière, réapparue, la débarrassa, elle se laissa aller de nouveau dans ses oreillers. Elle se sentait mieux. Comme la jeune fille demandait respectueusement si elle désirait encore quelque chose, Catherine s'inquiéta de savoir où était le duc. On lui répondit qu'il venait tout juste d'entrer dans la salle des banquets et que le festin était en son début.

— Alors, fermez les rideaux et laissez-moi, dit la jeune femme, je n'ai besoin de rien.

La chambrière tira les rideaux du lit, salua à nouveau et se retira sur la pointe des pieds. Au fond de son lit, Catherine tenta de faire le point de sa situation actuelle et aussi de préparer son attitude, tout à l'heure, quand le duc reviendrait et qu'il exigerait le paiement de ce qu'il semblait considérer comme une créance. Mais la fatigue et la légère lourdeur née de la digestion s'unissant à la douce chaleur et au confort du lit, Catherine ne tarda pas à s'endormir d'un profond sommeil.

Quand elle rouvrit les yeux, elle constata avec stupeur que les rideaux du lit étaient ouverts, qu'il faisait grand jour et que, si Philippe était bien dans la chambre, il n'était pas à côté d'elle. Debout auprès d'une fenêtre, vêtu de la même robe de chambre que la veille, il écrivait sur un grand lutrin de fer forgé chargé de plusieurs rouleaux de parchemin. Le grincement de la longue plume d'oie et le chant lointain d'un coq emplissaient seuls le silence de la pièce. Au mouvement que fit Catherine en s'asseyant dans le lit, il tourna la tête vers elle et lui sourit :