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Un soir, obéissant à une habitude qu'ils avaient depuis plusieurs années, ils se trouvaient tous trois assis sur la spacieuse terrasse de la villa de Pompéi à évoquer de doux souvenirs.

Depuis plus de sept ans presque tous leurs entretiens tournaient autour de la personnalité du Messie et de la sublime pureté de sa doctrine, mais ils observaient la plus grande discrétion car les adeptes du christianisme ne cessaient d'être persécutés, bien qu'avec moins de cruauté.

C'était invariablement à chaque fois, une conversation d'infirmes et de vieillards qui ne suscitait pas l'intérêt de leurs amis les plus jeunes et les mieux nantis.

Après quelques souvenirs et commentaires émis par Anne, concernant l'angoissant après-midi du Calvaire, le sénateur s'exclama sur un ton convaincu :

J'ai au fond de moi la certitude que Jésus restera toujours au monde le symbole le plus élevé de consolation et de force morale pour tous les souffrants et tous les affligés !...

Depuis les premiers jours de ma cécité physique, je cherche au fond de moi à comprendre sa grandeur et je n'arrive pas à appréhender toute l'extension de son excellence et de ses enseignements.

Je me rappelle, comme si c'était hier, du beau crépuscule où je l'ai vu pour la première fois, au bord du lac Tibériade...

Moi aussi - murmura Anne - je ne parviens pas à oublier ces après-midi délicieux et clairs où tous les serviteurs et souffrants de Capharnaûm se rassemblaient au bord du grand lac en attendant le doux ravissement de ses paroles.

Pensive, comme dans un songe elle voyait défiler ses souvenirs les plus chers et continua :

Le Maître appréciait la compagnie de Simon et des fils de Zébédée et, c'était presque toujours dans une de leurs barques qu'il arrivait, empressé de répondre à nos sollicitations...

Ce qui me surprend le plus - dit Publius Lentulus, impressionné - c'est que Jésus n'était pas, que l'on sache, un docteur de la Loi ou un prêtre formé par les écoles humaines. Et pourtant, sa parole était comme ointe d'une grâce divine. Son regard serein et indéfinissable pénétrait au fond des âmes et son sourire généreux avait la complaisance de celui qui, tout en détenant toute la vérité, savait comprendre et pardonner les erreurs humaines. Ses enseignements, sur lesquels j'ai quotidiennement médités ces dernières années, sont révolutionnaires et nouveaux car ils rasent tous les préjugés de race et de famille, unissant les âmes dans un grand rapprochement spirituel de fraternité et de tolérance. La philosophie humaine ne nous a jamais dit que les affligés et les pacifiques sont bienheureux au ciel ; et voilà que grâce à ses leçons rénovatrices, nous modifions notre concept de vertu qui, pour le Dieu souverain et miséricordieux des cieux, n'est pas en l'homme le plus riche et le plus puissant du monde, mais en celui qui est le plus juste et le plus pur, bien qu'humble et pauvre.

Sa parole compatissante et aimante a semé des enseignements que je ne peux comprendre qu'aujourd'hui dans l'ombre épaisse et triste de mes souffrances...

Mon père - demanda Flavia Lentulia, extrêmement intéressée par la conversation -, avez-vous vu le prophète de nombreuses fois ?...

Non, ma fille. Avant le jour sinistre de son infâme décès sur la croix, je ne le vis qu'une fois, à l'époque tu étais petite et malade. Cela suffit, néanmoins, pour que je reçoive dans ses paroles sublimes les lumineuses leçons de toute une vie. Et ce n'est qu'à présent que j'appréhende ses exhortations amicales et que je comprends que mon existence a bien été une opportunité perdue !... D'ailleurs, déjà en ce temps-là, à la minute de notre rencontre, sa profonde parole me disait que j'étais face à la merveilleuse occasion de toute mon existence, et sans qu'il me soit possible d'appréhender le sens symbolique de ses paroles, il ajouta dans son extraordinaire bienveillance que je pouvais en profiter à cette époque ou d'ici des millénaires...

Toutes les concessions de Jésus s'étayaient dans la vérité sanctifiée et consolatrice - ajouta Anne, jouissant maintenant de toute l'intimité avec ses maîtres.

Oui - répondit Publius Lentulus, concentré dans ses souvenirs -, mes réflexions m'autorisent à le croire aussi.

Si j'avais profité de l'exhortation de Jésus, ce jour-là, peut-être me serais-je déchargé de plus de la moitié des épreuves arriéres que la terre me réservait... Si j'avais cherché à comprendre ses leçons d'amour et d'humilité, je serais personnellement allé voir André de Gioras pour réparer le mal que je lui avais fait en ordonnant l'emprisonnement de son fils ignorant, je lui aurais ainsi démontré mon intérêt personnel, sans m'en remettre uniquement aux fonctionnaires irresponsables qui se trouvaient à mon service... Ainsi guidé, j'aurais facilement retrouvé Saul car Flaminius Sévérus qui, à Rome, aurait été le confident de mes désirs de réparation, m'aurait alors évité la pénible tragédie de ma vie de père.

Si j'avais vraiment compris toute sa charité manifestée à l'occasion de la guérison de ma fille, j'aurais mieux apprécié le trésor spirituel du cœur de LMa, j'aurais vibré avec son esprit dans la même foi ou je serais tombé à ses côtés dans l'arène ignominieuse du cirque, ce qui aurait été doux, en comparaison aux lentes agonies de mon destin ; j'aurais été moins vaniteux et plus humain si j'avais convenablement compris sa leçon de fraternité...

Mon père - lui dit sa fille pour consoler les aigreurs de son cœur -, si Jésus est la sagesse et la vérité, il saura de toute façon comprendre les raisons de votre attitude, sachant que vous avez été forcé par les circonstances à respecter tel ou tel principe dans votre vie.

Ma fille, ces dernières années - répondit Publius posément - j'ai le pressentiment d'être arrivé aux déductions les plus déterminantes concernant les problèmes de la douleur et de la destinée...

De par mon expérience, je crois à présent que les pénibles activités du monde m'ont surtout appris que nous contribuons à aggraver ou à atténuer dans les tâches de cette vie les rigueurs de notre état spirituel. En admettant, maintenant, l'existence d'un Dieu Tout-puissant, source de toute miséricorde et de tout amour, je crois que sa Loi est celle du bien suprême pour toutes les créatures. Ce code de solidarité et d'amour doit régir tous les êtres et selon ses préceptes divins, toutes les âmes sont prédestinées au bonheur conformément aux desseins du ciel. Chaque fois que nous tombons le long du chemin, en favorisant le mal ou en le pratiquant, nous effectuons une intervention indue pour la Loi de Dieu du fait de notre liberté relative, contractant ainsi une dette avec tout le poids de ses conséquences...

Sans me référer à mes actes personnels qui ont aggravé mes angoissantes douleurs, et considérant Jésus comme médiateur parmi nous et Celui que ses profondes paroles appelait Notre Père, je me demande aujourd'hui si je n'ai pas commis une erreur en forçant sa miséricorde avec ma supplique paternelle pour que tu restes à vivre en ce monde dans l'amour de notre famille quand tu étais petite !...

Flavia Lentulia et Anne qui suivaient les réflexions du sénateur depuis plusieurs années, écoutaient ses conclusions morales, profondément surprises, vu la facilité qu'il avait à rapprocher les leçons laborieuses de sa destinée aux principes prêches par le prophète nazaréen.

En vérité, mon père - dit Flavia Lentulia après une longue pause -, si l'on considère les tristes douleurs qui m'attendaient sur la route scabreuse de ma malheureuse destinée, j'ai l'impression que les forces divines avaient décidé de m'arracher au monde...