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Par une radieuse matinée de l'an 79, tout Pompéi fut éveillée par des rumeurs de fête.

La ville recevait la visite d'un illustre questeur de l'empire et en ce jour toutes les rues étaient prises d'une bruyante ferveur en attendant, quelques heures plus tard, les fêtes prodigieuses de l'amphithéâtre où, à la joie générale, l'administration de la ville avait souhaité célébrer cet événement.

Pour le vieux sénateur Publius Lentulus, cet événement avait une importance particulière car l'hôte distingué de Pompéi lui apportait des messages notoires, ainsi que les illustres déférences de Titus Flavius Vespasien, alors empereur, puisqu'il avait succédé à son père.

De plus, dans le cortège de l'illustre magistrat, il y avait également Pline Sévérus dans la plénitude de la maturité, totalement régénéré et se jugeant à présent rédimé aux yeux de son épouse et de celui que son cœur considérait comme un père.

Ce jour-là, dans le cadre de ses activités domestiques, Anne donnait des ordres aux esclaves et aux nombreux serviteurs afin de préparer la réception, pendant que Publius et sa fille s'étreignaient émus en raison de la surprise que le destin leur avait réservée, bien que tardivement. Avertis par des messagers de l'escorte des illustres patriciens, ils laissaient libre cours à leurs émotions les plus reconnaissantes dans la douce expectative d'accueillir le fils prodigue, éloigné durant tant d'années de leurs bras affectueux.

Avant midi, quantité de véhicules, de chevaux richement harnachés et de joyaux étincelants sur de brillants accoutrements, s'arrêtèrent aux portes de la villa paisible et gracieuse, suscitant l'admiration et l'intérêt des curieux du voisinage. Puis ce fut un tourbillon d'accolades, d'échanges affectueux et de paroles réconfortantes et généreuses.

Presque tous les patriciens, en excursion à travers la Campanie, connaissaient le sénateur et sa famille, cet événement était donc la douce rencontre de cœurs fraternels.

Publius Lentulus étreignit longuement Pline comme il l'eut fait à un fils bien-aimé qui revenait de loin et dont l'absence avait été excessivement prolongée. Il ressentait au fond des élans de tendresse que son cœur dominait pour ne pas provoquer l'étonnement injustifié de l'assistance.

Mon père, mon père ! - dit le fils de Flaminius sur un ton discret et presque imperceptible à ses oreilles alors qu'il baisa sa tête blanchie par les années - m'avez-vous déjà pardonné ?

Ô mon fils, comme tu as tardé ?!... Je te veux comme toujours et que le ciel te bénisse !... - répondit le vieil aveugle, ému.

Quelques instants plus tard, après la douce rencontre de Pline et de sa femme, et une fois que le silence général fut fait, le questeur s'exclama :

Sénateur, j'ai l'honneur de vous apporter un précieux souvenir de César, accompagné d'un message de reconnaissance de la haute administration politique de l'Empire qui est l'une des raisons les plus importantes et les plus justes de mon séjour à Pompéi, et je charge notre ami Pline Sévérus de vous remettre, à présent, ces reliques qui représentent un des hommages les plus significatifs de l'Empire à l'effort d'un de ses plus dévoués serviteurs !...

Publius Lentulus ressentit toute l'émotion d'une telle heure.

L'hommage de l'empereur, l'affectueuse présence de ses amis, le retour de son gendre à ses bras paternels, inondaient son cœur d'une joie grisante.

Cependant ses yeux ne pouvaient rien voir. Du plus profond de sa nuit, il entendait ces appels généreux comme un exilé de la lumière dont les souvenirs les plus chers et les plus doux étaient exhumés.

Amis - dit-il, en séchant une larme furtive dans ses yeux éteints -, tout cela est pour moi la plus grande récompense d'une vie entière. Notre empereur est extrêmement généreux car en vérité je n'ai rien fait pour mériter la reconnaissance de la patrie. Et mon âme exulte avec vous, mes chers compatriotes, car notre réunion dans cette maison est un symbole d'union et de travail aux tâches élevées de l'Empire !...

A cet instant, néanmoins, quelqu'un prit ses mains ridées, les porta à ses lèvres humides et laissa dans les ridules de sa peau, deux larmes ardentes.

D'un geste spontané, Pline Sévérus s'était agenouillé et lui baisait les mains, laissant libre cours à son affection et à sa reconnaissance, en même temps qu'il lui remettait le message impérial que le vieux sénateur ne pouvait plus lire.

Publius Lentulus pleurait, sans pouvoir prononcer un seul mot, si forte était l'émotion qui l'opprimait intérieurement tandis que l'assistance observait ses réactions, les yeux pleins de larmes.

Dans cet intervalle, le fils de Flaminius ne put plus se contenir et confirmant sa régénération spirituelle, il s'exclama attendri :

Mon cher père, ne pleurez pas, car nous sommes tous ici pour partager votre joie ! Devant tous nos amis romains et avec les hommages de l'Empire, je vous livre mon cœur à jamais régénéré !... Si vous êtes aveugle à présent, mon père, vous ne l'êtes pas en esprit car vous avez toujours cherché à dissiper les ombres et écarter les écueils de notre chemin !... Vous ne cesserez de guider mes pas, ou mieux, nos pas avec vos anciennes traditions de sincérité et d'effort dans l'équité de vos actes !... Vous reviendrez avec moi à Rome et auprès de votre fils réhabilité, vous dirigerez à nouveau le palais de l'Aventin... Je serai, alors pour toujours, une sentinelle de votre esprit pour vous aimer et vous protéger !... Je prendrai mon épouse à mon entière charge et, jour après jour, je tisserai pour nous trois avec les miracles de mon éternelle affection, une auréole de bonheurs nouveaux et infinis ! Dans notre maison de l'Aventin fleurira une joie nouvelle, car je pourvoirai toutes vos heures de l'amour grand et sanctifié de celui qui, connaissant toutes les dures expériences de la vie, sait à présent valoriser ses propres trésors !...

Voûté par les années et par les plus rudes souffrances, le vieux sénateur restait debout à caresser les cheveux de son gendre, également argentés par les hivers de la vie, tandis que de lourdes larmes rompaient l'enceinte de sa nuit pour attendrir le cœur de tous ceux qui étaient présents dans une émotion angoissante et infinie. Flavia Lentulia pleurait aussi, dominée par de profondes sensations de bonheur au terme d'espérances si longues et si décourageantes !... Quelques amis auraient souhaité briser la solennité de ce tableau imprévu, mais le questeur lui-même, qui commandait la caravane de patriciens illustres, s'était caché dans un coin, ému jusqu'aux larmes.

Toutefois, comprenant que lui seul pouvait modifier les dispositions de ce touchant tableau, Publius Lentulus réagit aux émotions et dit :

Lève-toi, mon fils !... Je n'ai rien fait pour que tu me remercies à genoux... Pourquoi me parles-tu ainsi ?... Oui, dans quelques jours nous reprendrons la route de Rome car tous tes désirs sont les nôtres... nous retournerons à notre maison de l'Aventin où, ensemble, nous vivrons pour évoquer le passé et vénérer la mémoire de nos ancêtres !

Et après une pause, il continua sur un ton presque optimiste :

Mes amis, je suis ému et reconnaissant de la gentillesse et de l'affection que vous me témoignez ! Mais, voyons ? Vous êtes tous silencieux ? Souvenez-vous que je ne vous vois qu'au travers des mots. Et la fête d'aujourd'hui ?...

Les propos du sénateur rompirent le silence général et les bruits intenses du début revinrent. Le courant des conversations se mariait au tintement des lourdes coupes de vin de l'époque.

Pendant que les visiteurs se réunissaient dans le spacieux triclinium pour de légères libations, Pline

Sévérus et sa femme échangeaient de tendres confidences sur les projets en perspective pour les années qui leur restaient encore à vivre ou évoquaient les souvenirs des jours lents et amers du lointain passé.

D'insistants appels requéraient la présence du magistrat et de son entourage sur les lieux des festivités.