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Le plus intéressant, pourtant, est que je revis l'indescriptible instant de mon passage dans les eaux obscures de l'Achéron, alors qu'il me semblait être descendu dans les profondes ténèbres de l'Averne3, où ne pénétraient pas les clartés des dieux. Une foule de victimes cerna alors mon âme angoissée et souffrante pour réclamer justice et réparation, poussant des cris et des pleurs qui s'étouffaient au fond de mon cœur.

(3)Lac près de Naples considéré comme Ventrée des enfers (NDT)

Combien de temps suis-je resté, ainsi, prisonnier de ce martyre indéfinissable ? Je ne saurais le dire. Je me souviens à peine d'avoir distingué l'image céleste de Livia qui, au milieu de ce tourbillon de terreurs, me tendait des mains lumineuses et aimantes.

Il me semblait que ma femme m'était familière depuis des temps très reculés car je n'hésitai pas un seul instant à prendre ses mains délicates qui me conduisirent à un tribunal où se tenaient des figures étranges et vénérables. Des cheveux blancs auréolaient le visage calme et respectable de ces juges du ciel, émissaires des dieux pour juger des hommes de la terre. L'atmosphère était teintée d'une étrange légèreté, pleine d'une douce lumière qui illuminait, devant tout le monde, mes pensées les plus secrètes.

Livia devait être mon ange-gardien à ce conseil de magistrats intangibles car sa main droite se tenait au-dessus de ma tête comme pour m'imposer la résignation et la sérénité afin d'entendre les jugements suprêmes.

Il est inutile de te dire mon étonnement et mon appréhension devant ce tribunal qui m'était inconnu, quand la figure de celui qui semblait incarner l'autorité centrale m'adressa la parole en ces termes :

- Publius Lentulus, la justice des dieux dans sa miséricorde a décidé de ton retour au tourbillon des luttes du monde pour que tu laves tes fautes dans les pleurs de la rémission. Tu vivras à une époque de merveilleuses lueurs spirituelles, à combattre toutes les situations et difficultés, en dépit du berceau doré où tu renaîtras, afin d'élever ta conscience dénigrée dans les douleurs qui purifient et régénèrent !... Heureux tu seras si tu sais bien profiter de l'occasion bénie de la réhabilitation par le renoncement et par l'humilité... Tu seras donc puissant et riche, et que ton détachement des chemins humains, le moment opportun venu, puisse faire de toi un élément précieux pour tes mentors spirituels. Tu auras l'intelligence et la santé, la fortune et l'autorité pour faciliter la régénération intégrale de ton âme si tu sais préparer ton cœur à la nouvelle voie d'amour et d'humilité, de tolérance et de pardon qui s'ouvrira dans quelques années à la face obscure de la terre car viendra l'heure où tu seras astreint à mépriser toutes les richesses et toutes les valeurs sociales !... La vie est un concours de circonstances que tout esprit doit harmoniser pour son bien face au mécanisme de son destin. Profite donc de ces opportunités que la miséricorde des dieux met au service de ta rédemption. Ne néglige pas l'appel de la vérité quand sonnera l'heure du témoignage et des renoncements sanctifiants... Livia t'accompagnera sur la route douloureuse du perfectionnement et, en elle, tu trouveras les bras amis et protecteurs les jours d'épreuves rudes et acerbes. L'essentiel est la fermeté de ton courage sur ce sentier scabreux pour purifier ta foi et œuvrer à la réparation de ton passé délictueux et obscur !...

À cette hauteur de son récit, la voix altière du patricien devint angoissée et malaisée. D'amères commotions oppressaient son cœur tourmenté par un incoercible découragement.

Flaminius Sévérus l'écoutait avec intérêt et attention, cherchant le meilleur moyen de faire disparaître des impressions aussi pénibles. L'envie le prenait de détourner ses pensées, de l'arracher à ce monde d'émotions incompatibles avec sa formation intellectuelle en faisant appel à son éducation et à son orgueil ; mais en même temps, il n'arrivait pas à faire taire ses propres doutes face à ce rêve, dont la clarté et le caractère réaliste le confondaient. Il comprenait qu'il devait d'abord retrouver sa force intérieure et que l'indulgence devait lui servir de bouclier pour éclairer son ami qu'il considérait davantage comme un frère.

C'est ainsi que posant une fine main blanche sur son épaule, il lui demanda d'une voix douce et amicale :

Et après qu'as-tu vu d'autre ?

Se sentant compris, Publius Lentulus reprit courage et poursuivit :

Après les exhortations de ce juge sévère et vénérable, je n'ai plus entrevu la silhouette de Lisia à mes côtés, mais d'autres créatures gracieuses vêtues de péplum qui semblaient être en neige translucide, réconfortaient mon cœur de leurs sourires accueillants et bons.

Répondant à cet appel affectueux, je sentis que mon Esprit regagnait la terre.

Je vis Rome qui n'était plus vraiment la ville de mon époque ; un souffle de beauté avait rénové sa partie ancienne car je notai l'existence de nouveaux cirques, de théâtres somptueux, de thermes élégantes et de palais charmants que mes yeux n'avaient pas connus auparavant.

J'eus l'occasion de voir mon père penché sur ses papyrus et ses parchemins à étudier les procès du Sénat, tout comme nous le faisons de nos jours, et après avoir imploré la bénédiction des dieux à l'autel de notre résidence, j'éprouvai une sensation d'angoisse au plus profond de mon âme. Je semblais souffrir d'une douloureuse commotion cérébrale et je restai assoupi là, pris d'un inexplicable vertige...

Je ne saurais décrire exactement ce qui se passa, mais je me réveillai avec une forte fièvre comme si cette digression de la pensée par les mondes de Morphée avait envahi mon corps d'une pénible sensation de fatigue.

J'ignore ce que tu penses de cette confidence amère et difficile, mais j'aimerais que tu me l'expliques.

Texpliquer ? - réagit Flaminius, essayant de donner à sa voix toute la force de sa conviction.

Bien, tu sais tout le respect que m'inspirent les augures du temple, mais voyons, ce qui t'est arrivé n'est qu'un rêve, et tu sais combien nous devons craindre l'imagination dans nos principes d'hommes pragmatiques. Pour avoir rêvé avec excès, les illustres Athéniens furent réduits à de misérables esclaves, nous obligeant à reconnaître la bonté des dieux qui nous octroient le sens de la réalité, nécessaire aux conquêtes et aux triomphes. Serait-il juste de renoncer à ton amour-propre et à la position de ta famille pour te laisser porter par la fantaisie?

Publius laissa son ami s'exprimer longuement sur le sujet, écoutant ses exhortations et ses conseils, puis il prit ses mains généreuses et s'exclama angoissé :

Mon ami, je serais indigne de la magnanimité des dieux de me laisser aller au gré des événements. Un simple rêve ne susciterait pas de si pénibles conjectures, mais en vérité, je ne t'ai pas encore tout dit.

Flaminius Sévérus fronça les sourcils et ajouta :

Tu n'as pas encore tout dit ? Que signifient ces affirmations ?

À la description minutieuse de ce rêve impressionnant et fâcheux, un doute angoissant s'était déjà installé dans son cœur généreux et il parvenait difficilement, à présent, à cacher à son ami les fâcheuses émotions qui le tourmentaient.

Muet, Publius lui prit le bras et le conduisit aux galeries du tablinum situé à côté du péristyle, non loin de l'autel domestique où figuraient les ancêtres les plus chers et les plus sacrés de la famille.

Les deux amis pénétrèrent dans le bureau, puis dans la salle des archives avec une grande marque de respect et de recueillement.