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Serait-ce là une perturbation mentale après une chute quelconque où sa dignité individuelle aurait été contrainte à une ferme réaction, ou serait-ce, plutôt, les Influences du milieu ou même les esclaves qu'elle avait l'habitude de côtoyer pendant son absence prolongée de Rome ? Je ne sais pas... La vérité est qu'en toute conscience je ne peux me prononcer définitivement, pour l'instant, sur tes amertumes conjugales, et je ne peux que te conseiller d'attendre de voir ce que le temps te réserve.

Après une courte pause, la vieille matrone acheva ses commentaires en lui demandant avec intérêt :

Pourquoi as-tu permis que Livia adhère à ces idées nouvelles, la laissant à la merci de ce réformateur juif, connu sous le nom de Jésus de Nazareth ?

Tu as raison - murmura Publius Lentulus, extrêmement découragé -, mais il y avait des motifs impérieux à cela car Livia croyait que le prophète nazaréen avait guéri notre fille !...

Tu as été naïf, tu n'aurais pas dû admettre cette hypothèse vu l'évolution de nos connaissances, ce qui aurait sauvé de ces dangereuses influences spirituelles, l'esprit malléable de ta femme. Il est prouvé que ce nouveau credo préconise des attitudes mentales humiliantes et bouleverse les dispositions les plus profondes des créatures qui l'acceptent. Dans l'Empire, des hommes riches et de science se soumettent à ces odieux principes qui prônent un royaume imaginaire et semblent délirer sous l'effet d'un terrible narcotique qui les pousse à oublier et à mépriser leur fortune, leur nom, les traditions, voire leur propre famille !...

Je t'aiderai à éloigner Flavia de ces préjudices moraux en la prenant avec moi, dès que le mariage de nos chers enfants sera réalisé, mais en vérité en ce qui concerne Livia, j'ai déjà tout fait pour la convaincre, et cela inutilement.

Et pourtant, ma bonne amie - murmura le sénateur ému, comme pour se défendre devant la noble patricienne -, je remarque que Livia est toujours une créature simple et modeste qui n'exige rien de moi qui soit du domaine de l'exorbitant ou du superflu. Pendant presque dix-sept années de séparation à l'intérieur de notre foyer, elle ne m'a fait qu'une seule demande, celle de pouvoir poursuivre ses pratiques chrétiennes en compagnie d'une ancienne servante de notre maison. Une autorisation que j'ai été obligé de lui accorder, considérant la continuité de son renoncement silencieux et triste au sein de notre foyer.

J'estime aussi que c'est bien peu demander, d'autant que de nos jours toutes les femmes en ville ont pour habitude d'exiger de leur mari les plus grandes extravagances de luxe venues d'Orient ; cependant, je dois te conseiller de conserver intactes nos traditions les plus chères et d'attendre quelque temps encore avant d'oublier les événements pénibles du passé, afin de voir si Livia profitera de notre attitude persistante et reviendra finalement à nos traditions et à nos croyances !...

Un pénible silence se fit alors sentir, entre eux deux, une fois ces paroles prononcées.

Calpurnia supposait avoir accompli son devoir et Publius se retira cette nuit-là plus découragé que jamais.

Quelques jours plus tard, parvenant à ses fins, Agrippa partait en direction d'Avenio, malgré les prières de son frère et de Flavia pour qu'il attendît la célébration du mariage. Sa résolution néanmoins était irréversible et le fils le plus âgé de Flaminius, affaibli sous le poids de ses désillusions, allait s'absenter de Rome pendant quelques années longues et pénibles.

Les jours passèrent rapidement et se voyant complètement abandonnée par l'homme de sa préférence, Aurélia, rongée de dépit, décida d'accepter la main dévouée et affectueuse que le jeune Emilien Lucius lui offrait.

Fulvia, qui suivait ses luttes en silence, obsédée par de redoutables sentiments, avait décidé d'attendre pour exercer ses sinistres représailles.

Bientôt, le mariage de Pline et de Flavia fut célébré dans une somptuosité discrète au palais de l'Aventin. Le fiancé plein de récompenses militaires et de titres honorifiques, ainsi que sa future compagne touchée d'une beauté indéfinissable et d'une adorable simplicité, étaient heureux comme si le bonheur parfait se résumait aussi uniquement à l'éternelle fusion de leur cœur et de leur âme. Ce jour-là représentait indubitablement l'heure la plus sacrée et la plus belle de leur existence.

Dans l'assistance très restreinte qui se composait des relations les plus proches, on pouvait remarquer la présence d'un homme encore jeune qui se distinguait dans ce tableau caractérisé essentiellement par le style de l'époque.

Ses yeux impétueux et ardents s'étaient posés sur la fiancée avec un intérêt mystérieux et étrange.

Cet homme était Saul de Gioras qui, après avoir abandonné le nom de son père, exhibait maintenant une nouvelle identité romaine, conformément à l'ancienne autorisation de Flaminius, afin de valoriser davantage l'expression sociale de sa fortune.

En vain, le sénateur avait fait son possible pour identifier ce juif, qu'il pensait être une vieille connaissance personnelle. Saul, néanmoins, avait reconnu son bourreau d'autrefois ; il l'avait reconnu et avait gardé le silence, refreinant les fortes émotions qui bouillonnaient en son for intérieur, car comme son père, son cœur projetait de se venger cruellement.

LES DESSEINS DES TÉNÈBRES

Après les cérémonies du mariage de Pline, contre toute attente, l'affranchi juif ne retourna pas à Massilia prétextant que de nombreuses affaires le retenaient dans la capitale de l'Empire.

Installé dans l'hôtel particulier des Sévérus où avaient aménagé les jeunes mariés auprès de Calpurnia, Saul eut plusieurs fois l'occasion de s'entretenir avec le sénateur Publius Lentulus avec qui û eut différents échanges sur la Judée et ses régions importantes.

Intrigué par ce regard ardent et les traits de son visage qui ne lui étaient pas totalement étrangers, et se souvenant parfaitement de ce père qui était venu le voir anxieux et angoissé à Jérusalem, le sénateur profita de l'un de ses entretiens privés avec le singulier inconnu pour lui poser cette question inattendue :

Seigneur Saul, puisque vous êtes né dans les environs de Jérusalem, votre père ne s'appellerait-il pas, par hasard, André de Gioras ?

L'affranchi se mordit les lèvres, face à cette interrogation directe concernant le sujet le plus délicat de son existence et répondit sournoisement :

Non, sénateur, mon père ne porte pas ce nom. A l'époque où j'ai été asservi par des mains impitoyables et cruelles, je n'étais encore qu'un enfant mal élevé et irresponsable - souligna-t-il avec une profonde ironie -, mon père était un misérable agriculteur qui ne possédait rien d'autre que ses bras pour se consacrer au labeur de tous les jours... J'ai eu, néanmoins, le bonheur de rencontrer le soutien généreux de Flaminius Sévérus qui m'a guidé vers la liberté et vers la fortune et, aujourd'hui, avec le peu que je lui ai fourni, mon père a augmenté ses capacités de travail ; il jouit non seulement d'une certaine notoriété à Jérusalem, mais aussi de fonctions supérieures au Temple.

Mais pourquoi cette question ?

Le sénateur fronça les sourcils, face à tant de désinvolture dans cette réponse, mais se sentant soulagé car il lui semblait qu'il ne pouvait s'agir du Saul de ses pénibles souvenirs, il répondit la conscience apaisée :

Et bien, j'ai brièvement connu un agriculteur

Israélite du nom d'André de Gioras dont les traits ne sont pas très différents des vôtres...

Et la conversation se poursuivit au rythme habituel des échanges anodins dans le conventionnalisme de la vie sociale.

Saul laissa alors paraître une fougue étrange dans son regard, comme s'il était extrêmement satisfait par son destin, attendant l'occasion de mettre à exécution ses sinistres projets de vengeance.

Un mobile obscur et inavouable le retenait à Rome, alors que de nombreuses affaires commerciales exigeaient sa présence à Massilia, où son nom était lié à d'importantes négociations d'ordre financier et matériel. Ce mobile était l'intense désir de se faire remarquer par la jeune épouse de Pline, dont le regard semblait l'attirer vers un abîme d'amour violent et incontrôlable.