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Vers l'an 53, disparaissait dans de tragiques circonstances emporté par les bras obscurs de la mort, l'un des personnages les plus marquants de cette histoire.

Il s'agissait de Fulvia qui, deux ans après le décès de son compagnon, révélait de sérieuses perturbations mentales ainsi que d'inquiétants troubles organiques résultant de ses extravagances passées.

Des plaies cancéreuses dévoraient ses centres vitaux et durant deux années, son corps amaigri dut supporter les positions les plus pénibles et incommodes pour trouver le repos, tandis que ses yeux inquiets et écarquillés dansaient dans leur orbite, comme si dans ses hallucinations, elle était obligée de voir les scènes les plus sinistres et les plus ténébreuses.

Dans ces moments, elle ne bénéficiait pas du dévouement de sa fille qu'elle n'avait pas su élever, toujours affairée à ses constants engagements festifs, à ses rencontres et à ses nombreuses réunions mondaines.

Mais la miséricorde divine, qui n'abandonne pas les êtres les plus misérables, lui avait donné un fils affectueux et compatissant pour ses douleurs expiatoires.

Emilien Lucius, le mari d'Aurélia, était de ces hommes dignes et valeureux, doté d'une rare patience et des vertus familiales les plus élevées.

Des nuits d'affilée, il veillait la malheureuse petite vieille que les douleurs physiques punissaient impitoyablement par le calvaire d'atroces supplices.

Dans ses derniers jours, ses paroles étaient saccadées et tourmentées. Tard dans la nuit, alors que les esclaves se reposaient vaincus par la fatigue et le sommeil, il lui semblait que son ouïe de démente s'affinait étonnamment pour entendre les bruits épouvantables de l'invisible, elle adressait des injures à ses anciennes victimes qui revenaient des sphères spirituelles les plus basses pour encercler son lit de souffrance et de mort. Les yeux démesurément ouverts comme si elle fixait des visions fatidiques et horribles, la pauvre petite vieille s'exclamait en s'agrippant à son gendre, au comble de ses crises fréquentes de terreur et de désespoir inconscient :

Emilien !... - s'écriait-elle l'air effrayé. - Cette chambre est pleine d'êtres monstrueux!...

N'entends-tu pas ? Ecoute bien... J'entends leurs durs reproches et leurs sinistres éclats de rire!... As-tu connu Sulpicius Tarquinius, le grand licteur de Pilate ?... Le voilà qui arrive avec ses légionnaires masqués d'ombre !... Ils me parlent de la mort, ils me parlent de la mort!... Aide-moi, mon fils !... Sulpicius Tarquinius a un corps de dragon qui me terrifie !...

Des crises de hoquet et des larmes succédaient à ces observations angoissantes.

Calme-toi, mère ! - lui disait le militaire, consterné jusqu'aux larmes. - Ayons confiance en la bonté infinie des dieux !...

Ah !... les dieux ! - s'écriait à présent la malheureuse dans des éclats de rire hystériques - les dieux... - où sont donc les dieux de cette maison infâme ? Emilien, Emilien, c'est nous qui avons créé les dieux pour justifier les écarts de notre vie ! L'Olympe de Jupiter est un mensonge nécessaire à l'État... Sur terre, nous ne sommes qu'un crâne orné d'une poignée de poussière !... Le seul endroit qui existe, en fait, est l'enfer où se trouvent les démons avec leurs tridents embrasés !... Les voici qui arrivent en d'obscures phalanges !...

Et se serrant fortement contre la poitrine de l'officier, elle criait éperdument, comme si elle cherchait à cacher *on visage des ombres menaçantes :

Jamais vous ne m'emmènerez, maudits !... Arrière, canailles !... J'ai un fils qui me défend de vos sinistres attaques !...

Emilien Lucius caressait avec bonté les cheveux blancs de la malheureuse femme, l'incitant à implorer la miséricorde des dieux pour qu'ils apaisent ses rudes Souffrances.

D'autres fois, comme si elle avait la conscience éveillée par une lueur divine, Fulvia Procula disait plus calmement au fils que le destin lui avait donné :

Emilien, j'approche de la mort et j'ai besoin de confesser mes fautes et mes grandes faiblesses ! Pardonne-moi, mon fils, si je t'ai donné tant de travail ! Mon existence misérable fut une longue suite de crimes dont les horribles taches ne pourront même pas être lavées par les larmes de la maladie qui à présent me conduit aux secrets impénétrables de l'autre vie ! Jamais, néanmoins, je ne suis parvenue à mesurer les amertumes terribles qui m'attendaient. Aujourd'hui, dans les ombres pesantes de l'âme, je sens ma conscience se noircir du charbon éteint du feu des passions sinistres qui ont dévoré ma misérable destinée !... J'ai été une épouse déloyale, impitoyable, et une mère dénaturée...

Qui aura pitié de moi, s'il est une lumière spirituelle après les cendres du tombeau ? De ce lit de démence et d'agonie désespérée, je vois le défilé incessant d'hideux fantômes qui semblent m'attendre aux portes de la sépulture !... Tous proclament mes crimes du passé et jubilent en voyant les souffrances qui me traînent vers la tombe !

Sans une croyance sincère, je me sens livrée à ces dragons de l'impondérable qui me poussent à évoquer mon passé criminel et sombre !...

Un torrent de larmes de componction et de repentir suivit ces instants vertigineux de raisonnement et de lucidité.

Emilien Lucius caressait avec tendresse son visage rugueux, se plongeant lui-même dans de douloureuses pensées.

Ce tableau lancinant était bien la fin déchaînée d'une existence d'erreurs tumultueuses.

Oui... il comprenait tout maintenant. La rébellion de son épouse, son incompréhension, les heurs au sien de leur foyer, cette soif insatiable de fêtes bruyantes en compagnie d'amis qui n'étaient pas les siens, devaient être les fruits amers d'une éducation viciée et déficiente. Mais son cœur était plein d'une générosité sans limites. Cet esprit valeureux comprenait la situation, et celui qui comprend pardonne toujours.

Une nuit alors que la malade manifestait des crises accentuées et profondes, le bon officier ordonna aux servantes de se retirer.

La pauvre folle parlait toujours comme prise d'une énergie inépuisable et incompréhensible.

Une sueur copieuse inondait son front sous le coup d'une forte fièvre.

Emilien - criait-elle désespérément -, où est Aurélia qui n'est pas à mon chevet à la veille de ma mort ? Tout comme les fausses amitiés de ma vie, aurait-elle, elle aussi, horreur de mon corps ?

Aurélia - expliqua généreusement l'officier - a dû s'absenter aujourd'hui en raison d'un engagement avec ses amis concernant l'organisation de quelques services sociaux !

Ah ! - s'exclama la démente dans un éclat de rire sinistre - les services sociaux... les services sociaux !... Comment peux-tu croire cela, mon fils ? Ta femme, à cette heure, doit être aux côtés de Pline Sévérus, son ancien aimant dans quelque endroit suspect de cette misérable cité !...

Emilien Lucius fit son possible pour que la malheureuse démente ne continue pas ses terribles et impressionnantes révélations, mais Fulvia continuait ses aveux tragiques et consternants :

Non, ne m'empêche pas de continuer... - fit-elle désespérément. - Ecoute-moi encore !

Toutes mes accusations sont la criminelle réalité... Très souvent, la vérité est avec ceux qui ont sombré dans la démence !... C'est moi qui ai induit ma malheureuse fille aux infidélités conjugales... Pline Sévérus était l'ennemi qu'elle devait vaincre en tant que femme... Je lui al facilité l'adultère qui s'est consommé sous ce toit !... Rends-toi compte, mon fils, de l'énormité de ma faute !... Sois horrifié, mais pardonne-moi !...Et surveille ta femme pour qu'elle ne continue pas à te trahir avec ses viles perfidies et pour qu'elle n'en vienne pas un jour à pourrir lamentablement comme moi, dans un lit de soie parfumée !...

Le généreux militaire suivait bouche bée et affligé, ces révélations surprenantes.