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Alors sa femme, tout en ne le comprenant pas dans son idéalisme, le trahissait aussi honteusement au sein même du sacro-saint foyer ? De douloureuses émotions remplissaient son cœur, mais toutes ces paroles n'étaient peut-être que le fruit d'un simple délire fébrile, d'une démence incurable. Un doute horrible et impitoyable était venu s'installer dans son cœur angoissé. Quelques larmes coulèrent de ses grands yeux tristes, tandis que la malade faisait une trêve à ses désolantes révélations.

Mais quelques minutes plus tard, d'une voix retentissante, elle continua :

Et Aurélia ? Que fait Aurélia qui ne vient pas ? Où se trouve donc ma- pauvre fille criminelle et infidèle ? Demain, mon garçon, je devrai te confier les infâmes secrets de notre misérable existence.

Quelqu'un, néanmoins, pénétra dans la pièce contigûe, prudemment et en silence. C'était Aurélia qui revenait d'une fête bruyante où le vin et les plaisirs avaient abondamment coulé.

Après avoir franchi la porte voisine, elle put encore entendre les derniers mots prononcés par sa mère, au comble de la fièvre et d'un désespoir maladif. Elle, qui venait juste d'entendre ses tristes révélations, se dit que la malade accomplirait sa terrible promesse le lendemain. Immédiatement, elle se mit à examiner toutes les possibilités afin de mettre à exécution l'idée ténébreuse qui avait traversé son esprit malheureux et criminel. Ses yeux étaient vitreux de colère sous le joug d'une pensée morbide qui avait subitement effleuré son cœur glacial et impitoyable.

Elle ôta ses habits de fête et se mit à l'aise, puis elle ouvrit une nouvelle porte et se dirigea vers le lit de sa mère qu'elle caressa sournoisement tandis que son mari incompris la dévisageait, le cerveau bouillonnant et torturé sous l'emprise des doutes les plus acerbes.

Mère, que se passe-t-il ? - demanda-t-elle feignant l'inquiétude. - Tu es fatiguée... tu dois te reposer un peu.

Fulvia l'a regarda profondément comme si une lueur de lucidité avait soudain éclairé son esprit abattu. La présence de sa fille tranquillisait quelque peu son cœur endolori et sa conscience meurtrie. Elle s'assit avec effort sur le lit, caressa les cheveux de sa fille, comme elle avait toujours l'habitude de le faire dans l'intimité, puis elle se coucha, semblant mieux disposée à se détendre.

Se disant que sa présence n'était plus nécessaire à présent, Emilien Lucius se retira, tandis qu'Aurélia continuait à parler simulant de la tendresse :

Mère, veux-tu une dose de calmant pour te reposer ?

La pauvre folle, dans son inconscience spirituelle, fit un signe affirmatif de la tête.

La jeune femme se rendit dans sa chambre et retira un petit tube d'un de ses meubles favoris. Elle laissa tomber quelques gouttes de sédatif dans un verre en se disant : - « Oui !... un secret reste toujours un secret... et seule la mort peut convenablement le garder !... »

Puis elle se dirigea sans hésitation vers le lit de sa mère où, depuis plus de deux ans, gisait la malheureuse rongée par le cancer et tourmentée par les visions les plus sinistres et les plus ténébreuses.

En un instant, l'horrible empoisonnement fut accompli. Une fois la potion malveillante et violente administrée, Aurélia demanda à deux esclaves de veiller sur la patiente endormie, comme elle le faisait d'habitude lorsqu'elle revenait de ses nuits tapageuses et attendit ainsi le résultat de son acte criminel injustifiable.

Deux heures plus tard, sous l'action du corrosif qui était un de ces mystérieux filtres homicides de l'époque, Fulvia présentait des signes évidents de suffocation.

À l'appel affligé des servantes, tout le monde dans la maison se mit en alerte vu l'état de détresse de la malade. Emilien Lucius contempla ses yeux qui s'éteignaient derrière le voile de la mort et en vain chercha à faire en sorte que l'agonisante lui dît encore un mot. Ses membres froids se raidissaient lentement et de sa bouche s'échappait une écume rosâtre.

Ce fut inutilement que dans ces derniers instants, des experts en médecine furent appelés. À cette époque, pas même les esculapes ne connaissaient les secrets anatomiques de l'organisme, il n'y avait pas non plus de technique policière pour enquêter sur les causes profondes des morts mystérieuses. L'empoisonnement de Fulvia fut mis sur le compte des maladies incompréhensibles qui, plusieurs mois durant, avaient miné toutes ses fonctions vitales.

Toutefois, cette agonie rapide n'était pas passée inaperçue aux yeux d'Emilien et vint encore ajouter un fâcheux doute supplémentaire aux amères pensées qui tourmentaient son âme.

Aurélia fit de son mieux pour jouer la comédie des sentiments en de telles circonstances et après de courtes cérémonies, vu la décomposition avancée du cadavre qui les força à incinérer le corps quelques heures plus tard, l'ancien foyer du préteur Salvius Lentulus devint l'abri de deux cœurs qui se haïssaient mutuellement.

Si l'épouse infidèle, peu après les premiers jours de deuil, retourna à sa vie de plaisirs effrénés, Emilien Lucius ne put jamais oublier les révélations de Fulvla, la veille de sa mort. Il s'enveloppa alors d'un voile de tristesse qui couvrit son cœur pendant plus de deux ans.

En 54, Domitius Néron prit le pouvoir, se faisant accompagner d'une cour d'auliques pervers et de concubines dépravées aussi nombreuses que débauchées.

Agrippine reconnut trop tard l'inconvenance de son autorité maternelle en obligeant l'empereur Claudius à approuver le mariage de leur fille Octavie avec celui qui, plus tard, l'éliminerait avec les plus grandes subtilités de la perversité.

Le forum et le sénat reçurent, avec effroi, la sombre nouvelle de la proclamation du nouveau César par les légions prétoriennes, non pas tant pour sa personne, mais parce qu'ils savaient d'avance que ce prince ignorant et cruel serait un jouet facile entre les mains des esprits les plus ambitieux et les plus pervers de la cour de Rome.

Toutefois, la série de sinistres crimes perpétrés impunément pour que Domitius Néron accède aux coulisses du pouvoir suprême fut telle que personne n'osa protester.

En l'an 56, l'empoisonnement du jeune Britannicus donnait des frissons de terreur à tous les patriciens.

Des mesures ignominieuses furent mises en pratique pour humilier les sénateurs de l'Empire qui ne parvinrent pas à mettre à exécution leurs protestations formelles. Toutes les familles les plus importantes de la cité savaient qu'elles avaient face à elles les filtres empoisonnés de Locuste, la tyrannie et la perversité d'un Tigellinus ou le poignard d'un Anicetus.

La mort inattendue de Britannicus provoqua néanmoins un certain mécontentement et donna l'occasion à quelques esprits plus valeureux de se manifester.

Emilien Lucius était de ceux-là et il se trouva bientôt sérieusement menacé de bannissement, il était même surveillé par de nombreux sbires de l'Empereur.

Le généreux officiel chercha à se tenir le plus possible à l'écart afin d'éviter tous conflits éventuels. Ses angoisses personnelles s'aggravèrent et ses réflexions devinrent plus profondes et plus contrariantes...

C'est ainsi qu'un beau jour, alors qu'il rentrait chez lui aux premières heures d'une nuit paisible, contrairement à ses habitudes, il nota que montaient des appartements de son épouse des voix animées et joyeuses. Il s'aperçut qu'Aurélia et Pline s'enivraient du vin de leurs plaisirs dépravés et sous ses yeux épouvantés, il vit sa femme le trahir dans le lit conjugal.

Emilien Lucius ressentit un pincement plus aigu dans son cœur sensible et généreux en constatant de ses propres yeux cette réalité cruelle. Il eut envie de convoquer son amant au champ d'honneur pour mourir ou l'éliminer, mais il se dit, simultanément, qu'Aurélia ne méritait pas un tel sacrifice.

Dégoûté par tout ce qui se rapportait à son époque et se sentant vaincu par les malheurs de son triste sort, le noble officier se retira dans l'ancien cabinet du préteur Salvius devenu le siège de ses travaux quotidiens où il prit de sinistres et pénibles résolutions. Il ouvrit une vieille armoire où étaient alignés des petits flacons, en retira l'un d'eux d'une forme un peu spéciale afin de satisfaire les amères projets de son esprit accablé.