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Devant le verre de ciguë, son cerveau endolori se perdit pendant quelques minutes dans des conjectures poignantes, mais en étudiant intimement toutes ses chances de bonheur, au comble du désespoir, il se dit qu'à la trahison de son épouse, aux menaces de proscription et de bannissement ou à la possibilité d'être attaqué dans l'ombres, il préférait choisir ce qu'il considérait comme la dernière consolation, la mort.

Et en un instant, sans que ses amis spirituels n'aient eut le temps de le dissuader de ce terrible projet si subit fut ce geste désespéré et irréfléchi, il avala le contenu du petit verre puis reposa sa tête encore jeune sur ses bras, étendu sur un lit du triclinium installé dans son ancien cabinet décoré de marbres et plein de précieux parchemins.

L'horrible mort ne se fit pas trop attendre et dans le large cercle de ses relations amicales, tandis qu'Aurélia jouait à nouveau le simulacre de ses chagrins imaginaires, on ne disait pas que le suicide d'Emilien était la conséquence directe de ses profondes désillusions conjugales, mais le fruit de la tyrannie politique du nouvel empereur, sous le règne duquel tant de crimes étaient quotidiennement commis dans l'ombre.

Seule à présent pour agir sur le terrain, Aurélia s'adonna librement à ses excès, amplifiant ses tendances néfastes et cherchant à retenir chaque fois davantage auprès d'elle l'homme qu'elle préférait, objet de ses ambitions effrénées.

Chez les Lentulus et les Sévérus, la vie ne cessait d'égrener son rosaire d'infortunes.

En 57, cela faisait plus de cinq ans que Saul de Gioras était définitivement installé à Rome, sans avoir renoncé à ses désirs et ses projets concernant la femme de son ami et bienfaiteur. Il avait consolidé sa fortune dans le commerce de peaux venues d'Orient et ne perdait jamais la moindre occasion de prouver l'excellence de sa situation matérielle à la femme convoitée depuis de longues années. Mais Flavia Lentulia, émouvante et silencieuse, avait fait de son existence un calvaire de résignation.

La vie sociale de son mari était pour elle un supplice moral prolongé et douloureux. D'ailleurs, de temps en temps, Saul y faisait indirectement référence dans le but d'attirer son attention sur son affection, mais la pauvre femme ne voyait en lui qu'un ami ou un frère. En vain, le jeune Juif lui témoignait son admiration personnelle par des gestes d'une extrême gentillesse, cherchant à lui offrir sa compagnie ; mais la vérité était que les appels de son âme impétueuse et passionnée ne trouvaient pas d'écho dans le cœur de cette femme qui agrémentait de douleur la dignité de son mariage.

Touché par l'expression de sa fortune, Arax nourrissait ses espérances sans le laisser s'égarer dans ses dangereux instincts.

Pline Sévérus ne revenait que rarement chez lui, prétextant différentes tâches ou de nombreux voyages pour justifier la continuité de son absence. Il ne soupçonnait même pas que ses dépenses astronomiques ruinaient peu à peu ses ressources financières, conduisant également ses proches à l'épuisement de tous leurs recours.

Parfois, il avait des entretiens affectueux avec sa femme à qui il se sentait attaché par les liens d'un amour éternel et profond, mais les séductions du monde étaient déjà fortement enracinées dans son cœur pour en être extirpées. En son for intérieur, il aurait désiré retourner au calme de son foyer, à sa vie aimante et tranquille ; mais le vin, les femmes et les milieux ostentatoires étaient une obsession permanente pour son esprit faible. D'autres fois, bien qu'aimant sa femme tendrement, il ne lui pardonnait pas sa supériorité morale et s'irritait de l'humilité qu'elle témoignait face à ses frasques, et retournait se jeter dans les bras d'Aurélia, telle une victime indécise entre les forces du bien et du mal.

En l'an 57, la santé de Calpurnia ébranlée à l'extrême, obligea sa famille à se réunir autour du lit de la généreuse matrone. Pour la première fois, depuis le mariage de son frère, Agrippa Sévérus revint de ses longues aventures à Massilia et à Avenio pour être auprès de sa mère malade et abattue et répondre à ses émouvants appels. Pour lui retrouver Flavia Lentulia et participer avec elle au bonheur de l'ambiance familiale, revint à raviver l'ancien volcan endormi.

D'un coup d'œil, il comprit la situation conjugale de Pline et chercha à substituer son affection auprès de son épouse douce et dévouée. Il aurait désiré lui confier son amour ardent et malheureux, mais il gardait dans son cœur un sublime respect fraternel pour cette femme qui avait confiance en lui comme en un frère bien-aimé.

Ce fut ainsi qu'entre les phases d'amélioration de la vieille patiente, Flavia accepta sa compagnie pour se distraire lors de spectacles dans la ville agitée de l'époque.

Cela suffit pour que Saul envenimât les événements en soupçonnant dans ces expansions innocentes, une liaison bien moins digne qui remplissait son cœur violent et irascible d'une effroyable jalousie.

À la première occasion, il insinua à Pline Sévérus toutes ses fausses suspicions et élabora avec son imagination malsaine des situations et des faits qui ne furent jamais vérifiés. Le mari de Flavia était de ces hommes capricieux qui, s'accordant un cercle de liberté illimitée, ne concédait rien à son épouse, pas même sur le terrain des amitiés pures et désintéressées. De sorte que

Pline Sévérus se mit à accepter les propos de Saul, accordant à ses idées insensées le plus grand crédit en son for intérieur. Lui qui avait laissé son aimante compagne à l'abandon pendant de longues années, lui donnant l'occasion de ressentir les plus tristes amertumes conjugales, se sentit alors rongé d'une âpre et inconcevable jalousie, il se mit à espionner les moindres gestes de son frère et à douter des pensées les plus secrètes de sa femme, en attendant que la maladie incurable de sa mère trouve une solution dans la mort qu'il présumait proche, afin d'imposer plus violemment la revendication de ses droits conjugaux.

L'an 58 commençait avec ses tristes perspectives pour nos personnages.

Un fait, néanmoins, commençait à attirer l'attention de tous les personnages de cette histoire réelle et douloureuse.

Le dévouement de Livia pour sa vieille amie malade était un exemple rare d'amour fraternel, d'affection et d'une bonté infinie. Huit mois durant, sa silhouette mince et silencieuse était présente jour et nuit, sans repos, auprès du lit de Calpurnia, à lui prouver par des exemples l'excellence de ses principes religieux.

Nombre de fois, la noble matrone considéra personnellement la supériorité morale de cette doctrine généreuse venue au monde pour relever ceux qui étaient tombés, pour consoler les malades et les affligés, disséminant les plus belles espérances parmi les laissés pour compte. Elle comparait ses anciens dieux qui aimaient les plus riches et ceux qui offraient les plus grands sacrifices aux temples à ce Jésus humble et pauvre, déchaussé et crucifié dont lui parlait Livia dans ses entretiens intimes, pleins d'affection.

Quelques jours avant sa mort Calpurnia était complètement modifiée. La permanence continuelle de sa vieille amie avait rénové toutes ses pensées et ses croyances les plus solides. Elle traitait mieux les esclaves qui s'approchaient de son lit et elle avait demandé à Livia de lui enseigner les prières du prophète crucifié à Jérusalem. Toutes deux priaient les mains jointes lorsque les appartements de la malade étaient silencieux et déserts. Dans ces instants, la veuve de Flaminius Sévérus sentait que ses douleurs s'apaisaient, on aurait dit qu'un doux baume revigorait ses forces ; la pénible dyspnée cessait et sa respiration redevenait presque normale, comme si une puissante énergie du monde invisible réanimait son cœur sclérosé et fatigué.