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Pour Publius, ces signes de changement moral de la vieille matrone ne passaient pas inaperçus, ni les nobles actions de son épouse qui veillait sur elle sans relâche depuis l'instant où elle l'avait vue impuissante et épuisée. Les souffrances de la vie avaient également beaucoup modifié la structure de son organisation spirituelle et, plus que jamais, le sénateur ressentait le besoin de se réconcilier avec sa femme pour affronter les hivers difficiles de la vieillesse qui approchait.

Non seulement lui, mais aussi Livia, avaient déjà dépassé un demi-siècle d'existence, et à présent qu'il connaissait si bien la vie et ses éprouvants mécanismes de perfectionnement, il se sentait apte à pardonner toutes les fautes du passé de son épouse, considérant que ses vingt-cinq ans de martyre moral dans l'ambiance domestique sacro-sainte suffisaient pour racheter les fautes qu'elle aurait peut-être commises dans l'illusion de sa jeunesse en terre étrangère, comme le supposaient ses fausses observations, œuvre de la calomnie qui avait détruit le bonheur et la paix d'une existence toute entière.

Aux premiers jours de l'an 58, les souffrances de Calpurnia s'aggravèrent brusquement et laissaient prévoir à tout instant un triste dénouement.

Ses fils et ses proches entourèrent son lit, très émus, même s'ils savaient combien ce corps malade et épuisé avait besoin de repos.

L'avant-veille de son décès, la vénérable femme demanda qu'on la laissât seule avec le sénateur pendant quelques heures, prétextant le besoin de confier à Publius Lentulus quelques dispositions « in extremis ».

Sa demande fut immédiatement exaucée et ils se trouvèrent bientôt en conversation intime comme s'ils étaient réunis pour la dernière fois pour résoudre des affaires importantes et de dernière heure.

Publius, qui était encore en pleine possession de ses moyens physiques, avait les yeux remplis de larmes tandis que la vieille matrone le contemplait, laissant transparaître l'éclat d'une vive lucidité dans son regard calme et profond.

Publius - commença-t-elle gravement comme si ces mots étaient ses dernières recommandations -, pour les esprits de notre condition, la crainte de la mort ne peut exister et c'est pour cette raison que j'ai décidé de vous parler dans les dernières heures de ma vie...

Mais ma bonne amie - répondit le sénateur qui fronçait les sourcils et s'efforçait de dissimuler l'émotion qu'il avait dans l'âme en se rappelant que, dans les mêmes circonstances, Flaminius lui avait parlé pour la dernière fois entre les quatre murs de cette chambre -, les dieux seuls peuvent décider de nos destins et eux seuls connaissent nos derniers instants !...

Je n'en doute pas - acquiesça la valeureuse patricienne -, mais, j'ai la certitude que mes heures sur terre arrivent à leur terme et je ne veux pas emporter dans la tombe le remords d'une faute que je reconnais avoir commise, il y a plus de dix ans...

Une faute ? Jamais... Votre vie, Calpurnia, a toujours été l'un des plus rares exemples de vertu en ces temps de transition et de déchéance de nos plus belles coutumes...

Je vous remercie, mon grand ami, mais votre gentillesse ne m'exempte pas de la pénitence que je dois à votre esprit, et j'affirme qu'il y a plus de dix ans, j'ai commis une erreur de jugement, aussi je vous demande aujourd'hui d'accepter ma rectification, peut-être tardive, mais il est encore temps pour nous de sanctifier du plus juste respect, une vie de sacrifices et d'abnégations !...

Publius Lentulus devina qu'il s'agissait de sa femme et d'une voix saisie d'émotion, il laissa sa vieille amie continuer les yeux en larmes manifester les plus hautes valeurs morales face à la mort qui approchait.

Je veux parler de Livia - continua Calpurnia d'un ton ému -, concernant qui j'ai eu le malheur de vous faire part d'une supposition erronée et injuste, la privant de la dernière chance de bonheur sur terre ; mais la mort rénove nos conceptions de la vie et ceux qui sont sur le point de quitter ce monde ont une vision plus claire de tous les problèmes de l'existence.

Aujourd'hui, mon ami, je vous dis, l'âme sereine que votre femme est immaculée et innocente...

Le sénateur sentait que des larmes montaient à ses yeux, mais il était intimement réconforté de savoir que sa vénérable amie confirmait à présent les convictions que le temps n'avait cessé d'accentuer quant à la très noble compagne de son existence.

Je ne vous le dis pas simplement par égoïsme personnel, mais également en gage de remerciement pour le suprême dévouement de Livia à mon égard tout le long de cette pénible maladie - continua-t-elle valeureusement. - Mais un esprit de notre rang doit prôner la vérité au-dessus de tout, et cette confession ne se vérifie pas uniquement par les commentaires de ma faiblesse bien humaine.

En réalité, mon ami, depuis cette nuit où vous m'avez demandé ce que je pensais de votre femme qui est aussi mon amie dévouée, je ressens la pointe d'un doute cruel dans mon cœur lacéré. Livia a toujours été ma meilleure amie et contribuer injustement à son malheur est à mes yeux la faute suprême de toute une vie...

Durant onze années, j'ai constamment prié et j'ai offert de nombreux sacrifices aux temples pour que les dieux m'inspirent la vérité sur cette affaire et, pendant tout ce temps, j'ai patiemment attendu la révélation du ciel... Pourtant ce n'est qu'aujourd'hui qu'il m'a été donné de l'obtenir, à présent que je suis aux portes du sépulcre !...

Il est possible que ma pauvre âme, déjà à demi libérée, participe des mystères incompris de la vie de l'au-delà et c'est peut-être pour cela qu'aujourd'hui dans la matinée, j'ai vu l'image de Flaminius dans cette chambre !... Il était très tôt et j'étais seule avec mes méditations et mes prières !...

À cet instant, les paroles de la malade furent entrecoupées de profondes émotions qui la dominaient, tandis que Publius Lentulus pleurait dans un douloureux silence.

Oui... - continua Calpurnia, après une longue pause -, entouré d'une lumière diffuse et bleuâtre, j'ai vu Flaminius me tendre ses bras affectueux et compatissants... Dans son regard, j'ai observé la même expression de tendresse et dans sa voix, son timbre familier et inoubliable... Il m'a avertie que dans deux jours, je pénétrerai les mystères insondables de la mort, mais cette révélation de ma fin à venir ne pouvait me surprendre... car pour moi... voilà tant d'années que je vis un exil de nostalgies et d'ombres... en plus des angoisses constantes d'une maladie longue et éprouvante... la certitude de la mort est une suprême consolation... Réconfortée par les tendres promesses de la vision qui m'augurait ce doux soulagement dans les prochaines heures... j'ai posé la question à l'esprit de Flaminius sur le doute cruel qui me déchirait depuis tant d'années... Il a suffi que je le fasse mentalement pour que la radieuse entité me dise à voix haute... en hochant la tête d'un geste délicat... comme pour exprimer une infinie et pénible tristesse : « Calpurnia, tu as douté au mauvais moment de celle que tu aurais dû aimer... et protéger comme une fille chérie et affectueuse... car Livia... est une créature immaculée et innocente... »

À cet instant... - continua la malade avec difficulté -, quelle n'a pas été la douloureuse impression de mon âme... face à la surprise de cette réponse... je n'ai plus entrevu la vision aimante et consolatrice... comme si subitement j'avais été rappelée aux tristes réalités de la vie quotidienne.

La vieille matrone avait les yeux pleins de larmes, tandis que le sénateur se livrait en silence aux sanglots de sa déchirante émotion.

Ils passèrent ainsi de longues minutes comme pour laisser libre cours aux remords et à la souffrance...

Puis finalement, ce fut encore la valeureuse-patricienne qui rompit le lourd silence, et prenant en tir ses mains maigres et blanches celles de son ami, elle s'exclama :