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À cet instant, dans la loge d'honneur de l'Empereur, Publius Lentulus fut pris d'une indicible angoisse. Dans le tourbillon de ces cris assourdissants, le sénateur n'avait jamais ressenti un aussi profond découragement et un désenchantement aussi amer pour la vie. À présent, ces abominables spectacles homicides, de terreur et de mort lui faisaient horreur. Sans qu'il puisse en expliquer la raison, sa pensée se tourna vers la lointaine Galilée, et il se figura voir à nouveau, la douce figure du Messie de Nazareth qui lui affirmait : tous les pouvoirs de ton Empire sont bien faibles et toutes ses richesses bien misérables !... Publius s'inclina vers son ami Euphaline Drusus pour lui confier discrètement sa triste impression :

- Mon ami, le spectacle d'aujourd'hui m'effraie !... Je ressens d'angoissantes émotions comme jamais je n'en ai éprouvées dans toute ma vie... Est-ce que ceux qui succombent à la cruauté des fauves violents et sauvages sont bien des esclaves destinés à la peine ultime ?

Non, je n'en crois rien - répondit le sénateur Euphaline, lui confessant un secret à l'oreille. - La rumeur court que ces misérables condamnés sont de pauvres chrétiens inoffensifs, faits prisonniers dans les catacombes !...

Sans savoir expliquer la raison de sa profonde tristesse, brusquement Publius Lentulus se souvint de Livia et troublé, il se plongea alors dans les plus torturantes conjectures.

Tandis que ces faits se déroulaient, juste après l'entrée de ses compagnons dans l'arène du sacrifice, Anne qui était certaine que Jésus lui avait réservé la dernière place au douloureux instant du martyre, gardait son esprit courageux plongé dans ses prières sincères et ardentes. Son regard, néanmoins, n'abandonnait pas la silhouette de Livia qui s'éloignait dans un coin de l'arène où elle s'agenouilla, et parvint à voir le grand lion africain qui lui asséna un coup fatal à hauteur de la poitrine. À cet instant, la pauvre servante sentit comme un choc face aux terribles perspectives de témoignage, mais soudain avant qu'elle n'ait eu le temps de réfléchir, Aton et l'un de ses collègues s'approchèrent tout en lui disant :

Madame, accompagnez-nous !

Remarquant que les soldats la faisaient retourner vers l'intérieur, elle protesta énergiquement :

Soldats, je ne désire rien d'autre maintenant, sinon mourir aussi pour la foi en Jésus-

Christ !

Mais remarquant son courage indomptable, le préposé de l'Empire la saisit fortement par le bras et l'emmena vers un passage à l'intérieur de la prison qui communiquait avec la voie publique. Aton lui adressa alors la parole sur un ton presque menaçant.

Partez, femme ! Fuyez sans demeure, car nous ne désirons pas de complications avec votre famille !

Et, disant cela, il referma la grande porte, tandis que lu vieille servante de Livia saisissait tout à présent. Angoissée, elle comprit alors que l'habit de sa maîtresse lui avait sauvé la vie, à cette heure amère. Elle sentit que <l(-s sanglots coulaient abondamment de ses yeux. Ses larmes étaient mêlées d'indicibles souffrances morales et au fond elle se demandait pourquoi le Seigneur ne l'avait pas admise à la glorification des sacrifices de cet après-midi mémorable et déchirant.

Elle percevait le tumulte confus de plus de trois cents mille voix qui se concentraient dans des cris retentissants et des applaudissements, acclamant la sinistre course des fauves dans leur chasse à l'homme. Et, pas à pas, portant le poids torturant d'une angoisse sans fin, elle prit le chemin du palais de l'Aventin qui n'était pas très loin du cirque ignominieux, où elle pénétra découragée et silencieuse.

À peine quelques fidèles esclaves montaient la garde à la résidence des Lentulus comme de coutume lors des grands jours de fêtes populaires, auxquelles participaient presque tous les serviteurs. Personne ne remarqua le retour d'Anne qui parvint à se dévêtir de la toge avec le calme nécessaire. Elle ôta les précieux bijoux de sa tenue, de ses mains et de ses cheveux et, s'agenouillant dans la chambre, elle laissa libre cours à ses douloureuses larmes au flux des prières amères qu'elle élevait à Jésus sous le poids de ses angoissantes souffrances.

Elle n'aurait su dire pendant combien de temps elle était restée dans cette attitude suppliante et poignante entre de ferventes invocations et d'amères conjectures sur son éloignement inattendu des tortures du cirque, se sentant indigne de témoigner au Sauveur sa foi profonde et sincère, jusqu'à ce qu'une rumeur plus forte vînt lui annoncer le retour du sénateur.

Il faisait presque nuit et les premières étoiles brillaient dans le bleu du beau ciel

romain.

En rentrant chez lui l'esprit inquiet et découragé, Publius Lentulus pénétra dans le vestibule vide l'âme oppressée, il fut immédiatement rejoint par l'esclave Fabius Tulius, qui depuis plusieurs années avait remplacé Comenius, ravi par la mort à cette tâche de confiance.

S'approchant du sénateur qui était rentré seul car il avait dispensé la compagnie de ses amis sous prétexte que sa femme se trouvait gravement malade, le vieil employé s'exclama avec un respect très attentionné :

Seigneur, votre fille vous fait savoir par un messager qu'elle poursuit ses recherches afin que vous ayez des nouvelles de votre épouse dans les plus brefs délais.

Le sénateur le remercia d'un léger signe de tête, dénotant sa profonde inquiétude.

Toutefois, Anne dans la solitude de ses prières dans la pièce qui lui était réservée, avait constaté le retour de son maître et comprit le triste devoir qui lui incombait en cette heure inoubliable. Elle devait l'informer de tous les faits et, quelques minutes plus tard, Fabius se rendait à nouveau dans ses appartements pour lui dire qu'Anne demandait une entrevue en privé. Le sénateur accéda

Immédiatement à la demande de la vieille servante de sa maison, pris d'un indicible étonnement.

Les yeux gonflés de larmes et la voix fréquemment entrecoupée d'émotions âpres et accablantes, Anne lui exposa tous les faits sans omettre aucun détail sur les tragiques incidents, tandis que le sénateur, les yeux écarquillés, faisait tout pour comprendre ces tristes confidences dans son incrédulité et son effarement le plus complet.

À la fin de sa terrible déposition, une sueur froide coulait de son front tourmenté, tandis que ses tempes battaient violemment.

Au début, il aurait voulu écraser l'humble domestique comme il l'aurait fait à une vipère vénéneuse, pris des premiers élans de révolte propre à son orgueil et à sa vanité. Il ne voulait pas croire en cette horrible confession, mais son cœur battait rapidement et ses nerfs s'exaltaient en de lancinantes vibrations.

Publius Lentulus ressentit la douleur la plus terrible de toute sa misérable existence. Tous ses rêves, toutes ses aspirations et ses tendres espoirs s'effaçaient cruellement, irrémédiablement et pour toujours, sous la marée sombre des réalités ténébreuses.

Se sentant l'accusé le plus malheureux de la justice des dieux, au moment où il présumait accomplir son suprême bonheur, il ne vit plus rien devant ses yeux, si ce n'est la réalité écrasante de sa douleur sans fin.

Sous le regard ému d'Anne qui l'observait craintive, il se leva rigide et sans une larme, les yeux brillant de folie telle était leur expression de fermeté étrange et douloureuse, et tel un fantôme de révolte, de douleur, de vengeance et de souffrance indéfinissables, sans rien répondre à la servante immobile qui priait silencieusement Jésus d'apaiser ses angoissantes peines, comme un automate il fit quelques pas en direction de la porte qu'il ouvrit de part et d'autre et par laquelle pénétrèrent les brises douces et rafraîchissantes de la nuit...