Publius - lui dit affectueusement la voix amicale de l'Esprit -, ne te révolte pas de l'exécution des desseins divins qui aujourd'hui modifient tous les parcours de ta vie !... Ecoute-moi bien ! Je te parle avec la même sincérité et le même amour qui unit nos cœurs depuis de longs siècles !... Face à la mort, toutes nos vanités disparaissent... dans ses clartés sublimes, nos pouvoirs sur terre sont d'une fragilité extrême !... L'orgueil, mon ami, nous ouvre outre-tombe une porte de ténèbres intenses où nous nous perdons dans notre égoïsme et notre impénitence !... Retourne chez toi et bois le contenu de morosité de tes rudes épreuves avec sérénité et force spirituelle, car tu es encore loin d'avoir épuisé le calice de tes amertumes purificatrices au travers des expiations rédemptrices et suprêmes... Les grandes douleurs, sans remède en ce monde, ouvriront un nouveau chemin à ton raisonnement dans les éternels horizons de la croyance !... Nos dieux sont des expressions de foi respectable et pure, mais Jésus de Nazareth est le Chemin, la Vérité et la Vie !... Tandis que nos illusions sur Jupiter nous portent à rendre hommage aux plus puissants et aux plus forts, considérés comme favoris de nos divinités par l'expression de leurs riches sacrifices, les précieux enseignements du Messie nazaréen nous amènent à réfléchir à la pauvreté de nos faux pouvoirs sur la face du monde en soutenant les plus pauvres et les laissés pour compte, comme pour pousser toutes les créatures à aller vers son royaume, conquis par le sacrifice et grâce aux efforts de chacun en direction de l'unique vie réelle qui est celle de l'Esprit... Aujourd'hui, je sais qu'un jour, tu as perdu une sublime opportunité, mais le Fils de Dieu Tout-puissant, dans sa miséricorde et son amour infini, répond maintenant à ton appel en permettant que ma vieille affection vienne calmer les tristes blessures de ton cœur tourmenté !...
Le sénateur laissa sa pensée se perdre dans la tempête des larmes bénies de sa vie. Haletant dans les hoquets de son émoi, il demanda mentalement :
Oui, mon ami et mon maître, je veux comprendre la vérité et j'aspire au pardon de mes énormes erreurs !... Flaminius, inspiration de mon âme blessée, sois mon guide dans la nuit tourmentée de ma triste destinée !... Aide-moi avec ta sagesse et ta bonté !... Prends-moi à nouveau par la main et éclaire mon cœur sur le ténébreux chemin !... Que dois-je faire pour obtenir du ciel l'oubli de mes fautes ?!...
Et comme intensément émue à la réception de cet appel, la calme vision avait maintenant les yeux illuminés par une larme divine, pleine de pitié.
Peu à peu, sans que Publius puisse comprendre le mécanisme de ce phénomène insolite, il observa que la silhouette de son ami se diluait légèrement dans l'ombre, s'éloignant de l'écran de ses contemplations spirituelles ; mais même ainsi, il perçut que ses lèvres murmuraient charitablement un mot : - Pardonne !...
Cette douce recommandation toucha son âme comme un baume apaisant. Il sentit, alors, que ses yeux étaient à présent ouverts aux réalités matérielles qui l'entouraient comme s'il s'éveillait d'un rêve édifiant.
Il sentit quelque chose soulager ses profondes douleurs et se leva pour reprendre avec détermination le fardeau laborieux de son existence sur terre.
De retour à son foyer vers vingt-deux heures, il trouva Pline et Flavia qui l'attendaient affligés.
En voyant sa physionomie profondément abattue et défigurée, sa fille anxieuse l'étreignit dans un élan de tendresse indéfinissable et s'exclama en larmes :
Mon père, mon cher père, jusqu'à présent nous n'avons pu obtenir de nouvelles.
Publius Lentulus, néanmoins, fixa son regard triste et découragé dans celui de ses enfants, les embrassant silencieusement.
Puis, il leur demanda de le suivre dans son cabinet privé où il fit appeler aussi Anne, et tous les quatre, en conseil de famille, examinèrent très émus les inoubliables événements de ce jour fait d'amères épreuves.
Au fur et à mesure que le sénateur transmettait à ses enfants les pénibles révélations faites par Anne, qui accompagnait ces paroles extrêmement émue, Flavia et son époux traduisaient sur leur visage les émotions les plus singulières et les plus fortes, face à l'angoissante impression de ce récit.
Une fois cette histoire détaillée achevée, Pline Sévérus s'exclama dominé par son orgueil irréfléchi :
Mais, ne pourrions-nous pas imputer toute la faute de ces faits à cette infâme créature qui depuis tant d'années sert indignement votre maison ?
En se prononçant de la sorte, l'officier pointait du doigt la servante qui, la tête humblement baissée, priait Jésus de fortifier son esprit pour le témoignage qu'elle devinait cuisant pour les sentiments les plus délicats de son cœur.
Publius Lentulus sembla soutenir l'opinion de son gendre ; néanmoins, il se souvint des propos de Flaminius qui résonnaient encore au fond de sa conscience et répondit avec fermeté:
Mes enfants, oublions les jugements précipités et, si l'on reconnaît la faute d'Anne en acceptant les vêtements de sa maîtresse, je veux vénérer en cette servante la mémoire de Livia, et cela à jamais. Compagne fidèle de ses angoissantes souffrances durant vingt-cinq années, elle restera dans cette maison avec les mêmes droits qui lui furent accordés par sa bienfaitrice. J'exige à peine que son cœur sache garder les lugubres secrets de cette nuit, car je désire honorer publiquement la mémoire de ma femme, après son terrible sacrifice aux festivités de l'infamie.
Pline et Flavia observaient, surpris, la générosité spontanée envers la domestique qui, à son tour, remerciait Jésus pour la grâce de son éclaircissement.
Le sénateur semblait profondément modifié après ce choc terrible ressenti dans ses fibres spirituelles. À cet instant, Pline Sévérus intervint pour dire : - À différents amis qui sont venus pour vous féliciter, j'ai déclaré qu'étant donné le deuil de ma mère, vous ne célébreriez pas votre triomphe politique à la date d'aujourd'hui. De plus, pour justifier votre absence, je les al informés que dame Livia était gravement malade à Tibur où elle était partie pour se rétablir. Des informations qui, d'ailleurs, furent reçues avec le plus grand naturel de la part de nos amis puisque votre compagne n'a jamais plus fréquenté la société depuis son retour de Palestine, il était donc bien compréhensible que tout notre proche entourage la considère malade.
Le sénateur écouta, avec intérêt, ces explications, comme s'il avait trouvé la solution à l'angoissant problème qui l'accablait.
Au bout de quelques minutes, après avoir examiné la possibilité d'appliquer l'idée qui avait effleuré son cerveau endolori, il s'exclama plus actif :
Ton idée, mon garçon, dans le cas présent, vient de m'apporter une solution raisonnable à l'angoissante question qui me tourmentait.
Il est de mon devoir de défendre la mémoire de mon épouse - continua le sénateur les yeux humides -, et si c'était possible, je partirais combattre corps à corps la mentalité infâme du gouvernement cruel qui actuellement souille nos meilleures conquêtes sociales ; mais si j'allais clamer personnellement mon indignation et ma révolte sur la place publique, je serais pris pour un fou ; et si je défie Domitius Néron cela reviendrai à vouloir immobiliser les eaux du Tibre avec la tige d'une fleur. Puisqu'il en est ainsi, je saurai agir dans les coulisses de la vie politique pour renverser le tyran et ses partisans, même si cela demande du temps et de la patience.