Pendant longtemps, il observa anxieusement leurs moindres gestes et surprit leurs démonstrations réciproques de douce estime fraternelle que ses yeux aveugles de haine et de jalousie voyaient comme les signes les plus évidents de prévarication et d'adultère.
Au comble du désespoir, il ouvrit le rideau d'un geste brusque, pénétrant dans la chambre conjugale comme un tigre enragé.
Infâmes ! - prononça-t-il d'une voix basse et énergique, cherchant à éviter l'assistance scandaleuse des domestiques. - Alors, c'est de cette façon que vous manifestez le respect dû à la dignité de notre nom ?
Flavia Lentulia, dont les souffrances physiques s'étaient grandement aggravées, devint pâle comme la neige, tandis qu'Agrippa affrontait le terrible regard de son frère, singulièrement surpris.
Pline, de quel droit m'insultes-tu ainsi ? - demanda-t-il énergiquement. - Sortons d'ici, immédiatement. Nous discuterons de tes outrageantes interpellations dans ma Chambre. Il y a ici une pauvre créature malade et abandonnée par son époux qui humilie son nom et ses Susceptibilités par la vilenie d'un comportement criminel Injustifiable, une femme qui requiert notre soutien et» notre respect !...
Les yeux de Pline Sévérus le fusillaient de haine, • tandis que son frère se leva sereinement, se retirant pour se rendre dans ses appartements, accompagné de l'officier qui tremblait de colère, aggravée par l'humiliation que lui infligeait le calme supérieur de son adversaire.
Une fois dans les appartements d'Agrippa, l'officier impulsif, après avoir fait de nombreuses accusations et reproches, explosa en des propos de cet ordre :
Allons ! Explique-toi, traître !... Alors, tu jettes la boue de ton ignominie sur mon nom et tu te trahis par cette sérénité incompréhensible ?!
Pline - dit prudemment Agrippa, en obligeant son interlocuteur à se taire pendant quelques instants -, il est temps de mettre un terme à tes incartades.
Comment pourrais-tu prouver pareille calomnie contre moi qui t'ai toujours souhaité le plus grand bien ? Tout commentaire indigne concernant la conduite de ta femme est un crime impardonnable. Je te parle, en cette heure grave de nos destins, et j'invoque la mémoire irréprochable de nos parents et de notre passé de sincérité et de confiance fraternelle...
L'impétueux officier resta presque figé comme un lion blessé en entendant ces pondérations supérieures et calmes, tandis qu'Agrippa continuait à exprimer ses impressions les plus profondes et les plus sincères :
Et maintenant - poursuivit-il avec sérénité -, puisque tu réclames un droit que tu n'as jamais cultivé, vu la succession interminable de tes frasques dans la vie mondaine, je dois t'affirmer que j'ai adoré ta femme pardessus tout, toute ma vie !... Alors que tu gaspillais ta jeunesse auprès de l'esprit turbulent d'Aurélia, nous avons vu Flavia dans son jeune âge, et pour la première fois à son retour de Palestine, j'ai découvert dans ses yeux la clarté affectueuse et tendre qui aurait dû illuminer la tranquillité du foyer que j'avais idéalisé dans le passé !... Mais, tu as découvert simultanément la même lumière et je n'ai pas hésité à te reconnaître les droits qui revenaient à ton cœur car elle répondait à l'intensité de ton affection.
Il me semblait qu'elle était unie à toi par les liens Indéfinissables d'un mystère sanctifié!... Flavia t'aimait comme elle t'a toujours aimé, et à moi il ne me restait plus qu'à l'oublier en cherchant à cacher mes anxiétés torturantes !...
À l'occasion de ton mariage, je n'ai pu supporter de la voir partir à ton bras et, après avoir écouté les conseils de mère, aimante et sage, je suis parti vers d'autres contrées, le cœur déchiré ! Pendant dix années amères et tristes, j'ai fait l'aller et retour entre Massilia et notre propriété d'Avenio dans des aventures folles et criminelles. Jamais plus, je n'ai pu caresser l'idée de constituer une famille, tourmenté sans cesse par les souvenirs de ma malchance
Silencieuse et irrémédiable.
Récemment, je suis revenu à Rome avec les derniers vestiges de mon illusion pénible et déçue...
Je t'ai trouvé plongé dans l'abîme des amours illicites et je ne t'ai pas reproché tes dérapages injustifiables.
Je sais que tu as dépensé les trois quarts de nos biens en satisfaisant la folle prodigalité de tes aventures malheureuses et dégradantes, et je n'ai pas censuré ton comportement insolite.
Et ici, dans cette maison, sous ce toit qui est pour nous deux le prolongement affectueux du toit paternel, je n'ai été pour ta noble femme qu'un frère dévoué et un ami !...
Se voyant clairement accusé de ses fautes et se sentant blessé dans sa vanité d'homme,
Pline
Sévérus réagit avec plus de férocité, et dans son désespoir, exalté, il s'exclama :
Infâme, il est inutile de feindre cette supériorité inconcevable ! Nous sommes égaux dans les mêmes sentiments, et je ne crois pas en ton dévouement désintéressé dans cette maison. Il y a longtemps que tu vis avec Flavia, ostensiblement, des aventures criminelles, mais nous résoudrons à présent toute cette affaire par l'épée car l'un de nous doit disparaître!...
Et, arrachant l'arme qu'il portait pour toute éventualité, il avança décidé vers son frère qui croisa les bras, serein, à attendre le coup implacable.
Et alors, où se trouvent donc ton honneur ? -s'exclama Pline, exaspéré. - Cette sérénité exprime bien ta lâcheté... Défends ta vie, car lorsque deux frères se disputent la même femme, l'un des deux, doit mourir !
Néanmoins, Agrippa Sévérus sourit tristement et répliqua :
Ne tarde pas davantage à accomplir ton geste, car tu me prêteras le bien suprême de la sépulture puisque ma vie avec ses tortures de chaque jour, n'est rien de plus qu'un chemin scabreux et long vers la mort.
Reconnaissant sa noblesse et son héroïsme, mais croyant fermement en l'infidélité de son épouse, Pline rangea son épée et lui fit :
Très bien ! Je pourrais t'éliminer mais je ne le fais pas par considération pour la mémoire de nos parents inoubliables ; néanmoins, en continuant à croire en ton infamie, je partirai d'ici pour toujours en gardant l'intime certitude que tu es le plus grand traître et mon pire ennemi.
Sans plus un mot, Pline se retira à grand pas tandis que son frère, s'avançant jusqu'à la porte, lui lançait un dernier appel affectueux pour qu'il ne s'en aille pas.
Toutefois quelqu'un accompagnait la scène dans ses moindres détails. C'était Saul qui, en sortant de sa cachette et éteignant soudainement la lumière de la chambre, bondit sur Agrippa par les côtés, et lui affligea un coup violent. Le pauvre jeune homme tomba lourdement dans une énorme flaque de sang, sans pouvoir articuler un mot. Après cet acte criminel, l'affranchi s'enfuit, feignant l'insouciance, sans que personne ne puisse soupçonner ses tristes méfaits.
Dans sa chambre, Flavia Lentulia était surprise par le retard du dénouement d'une affaire où elle se trouvait Impliquée et qu'elle considérait aussi, à première vue, comme un événement sans importance.
Avec beaucoup d'effort, elle se leva et se dirigea vers la porte qui faisait communiquer les appartements d'Agrippa avec le péristyle, mais surprise par l'obscurité et le silence régnants, elle entendit à peine, venant de l'intérieur, un léger bruit, semblable aux sons rauques d'une respiration fatiguée et oppressée.
Dominée par de terribles pressentiments, la malheureuse créature sentit battre son cœur intensément.
L'absence de lumière, ce bruit de respiration râleuse et, surtout, ce silence profond et effrayant, la firent reculer. Elle alla chercher l'aide et l'expérience d'Anne qui avait également conquis son cœur par son dévouement et son humilité durant tous les jours de cette âpre période de son existence.
Jouissant du respect et de l'estime de tous, la vieille servante de Livia était, à présent, presque la gouvernante de la maison à qui, par décision de ses maîtres, tous les esclaves du palais de l'Aventin devaient obéissance.