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En écoutant les propos réconfortants de la servante, il se souvint alors de l'image extraordinaire de Jésus le Nazaréen, dont la doctrine de pitié et de miséricorde avait fortifié tant d'autres pour affronter les situations les plus difficiles de la vie, ou pour mourir héroïquement comme sa propre épouse. Il s'adressa alors à Anne avec une intimité soudaine, dans un geste émouvant d'une simplicité généreuse qu'elle ne lui avait jamais remarqué, et dit:

Anne, de toute ma vie, je n'ai pas jamais cessé d'être un homme énergique, mais il arrive toujours un moment où notre cœur se sent prostré face à la rudesse des luttes que le monde nous présente avec ses désillusions amères et pénibles ! Si tu n'es qu'une servante, je sais aujourd'hui apprécier tes qualités de cœur, bien que tardivement !...

Une larme spontanée saisit sa voix, mais le vieux patricien poursuivit :

Toute mon existence, j'ai jugé d'innombrables procès de toutes natures, relatifs à la justice du monde ; mais depuis quelque temps, il me semble que je suis jugé par les forces incoercibles d'une justice suprême dont les tribunaux ne sont pas sur terre !...

Depuis le décès de Livia, je sens mon cœur modifié, en voie à une sensibilité qui m'était jusqu'à présent inconnue.

L'approche de la vieillesse semble être un présage de la mort à tous nos rêves et espérances !...

Devant ce cadavre qui va certainement augmenter l'ombre de nos secrets de famille, je sens ô combien est douloureuse la tâche de disculper les êtres que nous aimons ; et puisque tu te rapportes au Maître de Nazareth dont la doctrine de paix et de fraternité a appris à tant d'autres à mourir avec résignation et héroïsme suprême par la victoire de la croix sur les souffrances terrestres, comment procéderait-il dans un cas comme celui-ci, où les plus grands doutes planent dans mon cœur quant à la culpabilité d'un fils bien-aimé ?

Seigneur - répondit Anne, avec humilité, profondément émue par cette preuve de considération et d'affection -, plusieurs fois Jésus nous a enseigné que nous ne devions jamais juger, pour ne pas être jugés à notre tour.

Le sénateur fut surpris d'entendre une créature aussi simple et aussi inculte à ses yeux, professer cette merveilleuse synthèse de la philosophie humaine, revoyant mentalement son douloureux passé.

Mais - avança-t-il comme pour se justifier des erreurs profondes de son passé d'homme public - ceux qui ne jugent pas, pardonnent et oublient ; et si les lois de la vie nous demandent d'être reconnaissants du bien qui nous est fait, nous ne pouvons pardonner le mal que l'on nous fait en chemin !...

Anne ne rata pas alors l'occasion d'affirmer les enseignements évangéliques en ajoutant avec douceur :

Même dans mon pays, la Loi antique ordonnait de répondre œil pour œil et dent pour dent, mais Jésus de Nazareth, sans détruire l'essence des enseignements du Temple, a révélé que ceux qui commettent le plus d'erreur au monde sont les plus malheureux et les plus nécessiteux de notre soutien spirituel, et recommanda, dans sa doctrine d'amour et de charité, de ne pas pardonner une fois seulement, mais soixante-dix fois sept fois.

Publius Lentulus était admiratif d'apprendre ces généreux concepts de sa domestique, concernant les principes du pardon sans limites.

Pardonner ? Jamais, il ne l'avait fait dans les luttes acharnées de ce monde. Son éducation n'admettait pas la pitié ou la commisération pour les ennemis, et tout pardon et toute humilité signifiaient, pour ceux de sa classe, trahison ou lâcheté.

Ilse souvenait pourtant à présent que dans de nombreux procès politiques il aurait pu pardonner et que dans de nombreuses circonstances de sa vie, il aurait pu fermer les yeux de sa sévérité dans un affectueux oubli.

Sans en connaître la raison comme si une énergie inconnue reconduisait sa pensée en arrière, ses souvenirs se transportèrent à la période lointaine de son voyage en Judée, revoyant avec les yeux de son imagination la scène où, avec rigueur, il avait impitoyablement asservi un misérable jeune garçon. Oui, il s'appelait aussi Saul et son cerveau était à présent rongé par des doutes atroces entre ce Saul, affranchi par ses amis, et Pline, qu'il voyait toujours dans un halo d'amour et de générosité.

Pardonner ?

Et la pensée du sénateur resta figée dans des méditations amères et très difficiles pendant ces longues minutes d'angoisse. C'était, peut-être, l'une des rares fois dans sa vie où son esprit doutait, craignant de faire tomber l'austérité de son jugement sur la tête d'un très cher fils.

Mais, sortant de cette apathie passagère, il dit avec résolution :

Anne, le prophète nazaréen devait être effectivement un être divin ici sur terre !... Moi, néanmoins, je suis humain et je manque de forces nouvelles pour vivre une existence hors de mon temps... Je veux pardonner et je ne le peux... Je veux juger ce cas et je ne sais pas comment faire... Mais je saurai prendre une décision et trouver la solution à ce terrible problème ! Je ferai mon possible pour suivre les règles de ton maître en gardant le silence jusqu'à ce que je parvienne à connaître le vrai coupable, alors je chercherai à ne pas juger comme les hommes, mais je demanderai à cette justice divine de se manifester en soutenant mes pensées et en éclairant mes actes...

Et comme s'il reprenait son énergie habituelle pour les luttes de la vie, le vieux patricien décréta :

Maintenant, occupons-nous de la vie et de ses dures réalités.

Il plaça le cadavre d'Agrippa sur le lit et recommanda à la servante de préparer sa fille en soutenant son cœur en cet instant déchirant. Il ouvrit alors les portes des appartements, requis la présence de tous les domestiques de la maison, puis informa les autorités des faits et procéda simultanément à une rigoureuse enquête afin de tirer au clair l'origine du crime, même si un épisode de cette nature était considéré comme très banal à l'époque tourmentée de la Rome de Domitius Néron.

Quelques domestiques dirent avoir vu Pline Sévérus avec son frère pendant la nuit ; mais la parole du sénateur contredisait ces informations en affirmant que le frère de la victime était parti dans la journée en direction du port de Massilia.

Par conséquent, Saul était tout naturellement indiqué pour donner des renseignements et, avant que ne se réalisent les cérémonies funèbres, le sénateur, l'interrogea en privé supposant avoir des raisons de croire en sa culpabilité. Il remarqua qu'il fit des réponses évasives et des allusions sans fondement qui ne satisfaisaient pas les exigences de son enquête psychologique. Ses affirmations et sous-entendus ne coïncidaient pas avec les affirmations incisives d'Anne, dont il connaissait bien la droiture de sa parole. A un moment donné, il avait nié être présent dans les appartements d'Agrippa et cela suffisait pour que le sénateur sache qu'il mentait.

Quant à Pline, effectivement, il ne fut pas trouvé, on obtint seulement le laconique témoignage de son départ pour Massilia, ce qui se produisit réellement la nuit même de la tragédie après l'altercation décisive avec son frère au palais de l'Aventin.

Et c'est ainsi, qu'en compagnie d'Aurélia, il se dirigeait vers les Gaules dans une somptueuse galère, parcourant les eaux calmes de l'ancienne mer romaine.

Mais le sénateur voulut connaître les confidences que sa fille avait à lui faire pour arracher la confession suprême du misérable affranchi de Flaminius dont il n'avait plus de doute sur la culpabilité.

Il chercha, malgré tout, à réaliser dans la plus grande discrétion l'enterrement du fils de son inoubliable ami auquel Saul de Gioras eut l'impudence d'assister avec toute la sérénité empoisonnée de son esprit mesquin.

Sous l'effet pernicieux des poisons mortels administrés par Athée, la traître esclave à la solde d'Aurélia, qui dans son inconscience empoisonnait tous les cosmétiques utilisés par sa maîtresse et destinés au traitement de la peau et des cils, Flavia Lentulia voyait à présent toutes ses souffrances physiques singulièrement aggravées, en plus de la terrible situation morale face aux événements, accablée par le poids de doutes insolubles.