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Le mal de son enfance semblait renaitre, car son corps se couvrait à nouveau de douloureuses plaies tandis que ses yeux semblaient sérieusement attaqués par une maladie implacable.

Trois jours après les obsèques d'Agrippa, Publius Lentulus, très peiné, entendit sa déposition intime et angoissante avec beaucoup d'amour et un très grand intérêt. Une fois l'histoire minutieuse de sa fille terminée dont les malheurs conjugaux touchaient profondément son cœur, le vieux sénateur exigea un nouvel interrogatoire de Saul, en sa présence. Mais quand il envoya un émissaire à la recherche de l'affranchi de Flaminius, il resta stupéfait par une nouvelle surprise.

Après avoir répondu aux accusations personnelles de Publius Lentulus, alors que l'enterrement d'Agrippa Sévérus n'avait pas encore eu lieu, Saul de Gioras qui avait perçu clairement l'attitude mentale de ce dernier envers lui, se dit qu'il ne pourrait duper l'habileté psychologique du vieux sénateur.

Et deux jours après les cérémonies funèbres, l'affranchi alla voir Arax dans son misérable refuge de l'Esquilin, l'esprit exacerbé et inquiet.

Croyant sincèrement en l'intervention merveilleuse du mage, au vu de ses facultés divinatoires, exploitées d'ailleurs par des forces ténébreuses de l'au-delà liées à ses sinistres ambitions financières, Saul remarqua que le devin le recevait avec son mystérieux flegme de toujours. Il laissa bien en vue sa volumineuse bourse bien remplie pour acquérir le talisman de son bonheur, comme pour lui montrer les riches possibilités financières qui s'offraient à lui.

Ridé par l'âge, le vieux sorcier, qui reconnut ses dispositions généreuses, le comblait de sourires d'une bienveillance ambitieuse et énigmatique, semblant percer son regard craintif et soucieux de ses yeux inconstants et pénétrants.

Arax - lui fit Saul, d'une voix presque suppliante -, je suis fatigué d'attendre l'amour de la femme que j'adore ! Je suis affligé et inquiet... J'ai besoin que tu calmes mes pénibles afflictions. Ecoute-moi ! Je veux de tes mains le talisman de la félicité pour mon amour malheureux !...

Le vieux devin garda pendant quelques minutes sa tête entre ses mains dans un geste qui lui était propre, puis il répondit d'une voix presque étouffée :

Seigneur, les voix de l'invisible me disent que vos afflictions ne sont pas le résultat d'un amour incompris et désespéré...

Mais l'affranchi de Flaminius qui souffrait du plus profond désespoir de sa conscience pour avoir éliminé un ami et bienfaiteur en pleine jeunesse, lui coupa la parole en lui disant sur un ton incisif :

Comme oses-tu me contredire, infâme sorcier ?

Toutefois, avec une lueur étrange dans son regard vif, Arax répondit promptement :

Alors, vous pensez que je suis un infâme sorcier ? Je ne cesserai pas pour autant de dire la vérité, si cela me convient.

Je soutiens ce que j'ai dit, car à quelles vérités mystérieuses fais-tu allusion dans tes vagues affirmations ? - fit l'affranchi, vraiment exaspéré.

La vérité, mon ami - fit le mage, avec une sérénité presque sinistre -, c'est que si vous êtes aussi perturbé c'est tout simplement parce que vous êtes un criminel. Vous avez assassiné, froidement, un bienfaiteur et un ami, et la conscience du scélérat craint l'action implacable de la justice !

Tais-toi, misérable ! Comment le sais-tu ? -s'exclama Saul, extrêmement excité, alors même qu'il tirait un poignard d'entre les plis de sa mante.

Et avançant vers le vieux sans défense, il ajouta sur un ton funeste :

Puisque tes sciences occultes te procurent des connaissances pernicieuses pour la tranquillité d'autrui, tu dois aussi disparaître !...

Arax comprit que le moment était décisif. Cet homme emporté était capable de l'éliminer d'un seul coup. En un clin d'œil, il mesura la situation et faisant preuve de toute son argutie pour sauver sa vie, il esquissa un sourire sournois et complaisant, et lui fit :

Allons, allons, si j'ai dit la vérité, c'est uniquement pour que vous puissiez évaluer mes pouvoirs spirituels, et puisque c'est votre désir, je peux immédiatement vous remettre l'indispensable talisman. Grâce à lui, vous serez profondément aimés par la femme de votre préférence... Avec lui, vous modifierez les sentiments les plus personnels de cette créature que vous adorez et qui vous rendra heureux toute votre vie. Quant au reste, vous n'êtes pas le premier à ôter la vie d'un de vos semblables, car tous les jours apparaissent ici des clients dans votre situation pour frapper à ma porte. De plus, entre nous il doit y avoir une grande confiance car vous êtes mon client depuis plus de dix ans.

En entendant ces paroles bienveillantes et calmes, l'affranchi de Flaminius rengaina son arme et face aux nouvelles perspectives de son bonheur, il accepta tout ce que lui disait le devin qui le fit asseoir et retint son attention pendant plus d'une heure sur la description de faits identiques à ceux qu'il vivait, démontrant théoriquement l'efficacité miraculeuse de ses amulettes. La conversation allait bon train quand Saul lui demanda de lui donner le talisman immédiatement car il désirait l'expérimenter le jour même, ce à quoi Arax répondit empressé :

Votre talisman est prêt. Je peux vous livrer cette préciosité sur le champ, cela ne dépend que de vous car vous devrez boire le filtre magique qui vous placera dans la situation spirituelle requise à ces fins.

Saul ne refusa pas de se soumettre aux impositions du vieil Égyptien dans ses pratiques étranges et mystérieuses, et il pénétra dans une pièce, décorée de plusieurs symboles extravagants qui lui étaient totalement inconnus.

Arax faisait les mises en scène les plus suggestives. Il l'habilla d'une toge ordinaire, d'une grande tunique comme la sienne et, feignant les gestes d'une magie incompréhensible, il se rendit dans un petit laboratoire où il prit un violent poison, tout en se disant : - « Tu vas recevoir le talisman qui te convient le mieux en ce monde ».

Il versa quelques gouttes de la dangereuse potion dans un gobelet de vin et, avec de larges gestes spectaculaires comme s'il obéissait à un rituel inconnu, il lui fit boire le contenu tout en continuant avec des gestes exotiques qui étaient bien les expressions pittoresques et sinistres d'une extravagante magie de mort.

Absorbant le vin afin de garder l'amulette de son bonheur, le dangereux affranchi sentit que ses membres se relâchaient sous l'emprise d'une force inconnue et destructrice, alors que sa voix lui faisait défaut pour exprimer ses émotions. Il voulut crier, mais il n'y parvint pas, et tous ses efforts furent inutiles pour se relever. Peu à peu, ses yeux se révulsèrent lugubrement comme embrumés par des ombres épaisses et indéfinissables. Il voulut manifester sa haine au mage meurtrier, se défendre

dans cette angoisse qui étouffait sa gorge, mais sa langue était raide et un froid pénétrant envahit ses centres vitaux. Il laissa tomber sa tête sur ses coudes appuyés sur la grande table qui se trouvait là et compris que la mort violente détruisait toutes les forces vives de son organisme.

Arax ferma tranquillement la pièce, comme si de rien n'était et retourna dans son magasin pour répondre avec sollicitude à sa nombreuse clientèle, sans perdre son habituelle sérénité.

Avant la nuit, néanmoins, il pénétra dans la chambre mortuaire et vida la bourse du cadavre, conservant discrètement les pièces parmi ses abondantes réserves d'avare.

Après vingt-trois heures, alors que la cité dormait, le vieux sorcier de l'Esquilin se mêla aux esclaves qui faisaient le service nocturne des transports, il conduisait une petite charrette dans laquelle il y avait un gros volume.