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Si vous jugez devoir accomplir ici une obligation sacrée, au-dessus de tout sentiment personnel et moins digne, n'attendez pas que je vous demande de la commisération si de fait vous accomplissez votre devoir.

André de Gioras fronça les sourcils, exaspéré par cette réponse inattendue, et marchant de long en large dans le grand cabinet, il cogitait le meilleur moyen d'exécuter sa terrible vengeance.

Après quelques instants d'un funeste silence, comme s'il était arrivé à une solution à la hauteur de ses projets implacables, il appela d'une voix lugubre un des nombreux gardes, et lui ordonna :

Pars immédiatement et dis à Italus, de ma part, qu'il doit être ici demain, à la première heure, afin d'exécuter mes ordres.

Et tandis que l'émissaire sortait, il s'adressa aux deux prisonniers en ces termes :

La chute de Jérusalem est imminente, mais je donnerai la dernière goutte de sang de ma vieillesse pour exterminer les vipères de votre peuple. Votre race maudite est venue s'engraisser dans la cité élue, mais j'exulte à l'idée de ma vengeance sur vous deux, orgueilleux dignitaires de l'empire de l'impiété et du crime ! Quand les portes de Jérusalem s'ouvriront, j'aurai exécuté mes implacables desseins !

Puis il se tut et un geste de lui suffit pour que les deux amis fussent jetés dans un cachot sombre et humide où ils passèrent une nuit terrible de conjectures pénibles à échanger des confidences amères.

Le lendemain matin, ils étaient appelés à l'épreuve suprême.

On entendait déjà dans la cité les premières rumeurs des forces romaines victorieuses qui se livraient à la terreur et au pillage de la population humiliée et terrorisée.

De toute part, c'était l'exode précipité de femmes et d'enfants dans des cris infernaux et angoissants, mais dans cette grande demeure aux murs épais en pierre, un nombre considérable de chefs et de combattants s'étaient réfugiés pour la résistance suprême.

Publius et Pompilius furent conduits dans une vaste salle d'où ils pouvaient entendre le bruit grandissant de la victoire des armes impériales, après les actes dramatiques et cruels en ces temps de terreur, de pillages et de combat ; pourtant, là, dans cette pièce spacieuse et fortifiée, ils avaient devant eux des centaines de guerriers armés et quelques chefs de la résistance Israélite qui les observaient.

Face à l'avancée victorieuse des légions romaines, l'inquiétude et la terreur dominaient tous les visages, mais il y avait un intérêt général pour les deux prisonniers importants de l'Empire, comme s'ils représentaient tout ce qui leur restait pour assouvir leur haine et leur vengeance.

Mettant fin à cette situation, André de Gioras prit la parole sur un ton sinistre et étrange qui résonna dans tous les coins de la demeure :

Messieurs ! Notre défense désespérée touche à sa fin, mais nous avons la consolation de garder deux grands chefs de cette maudite politique de rapine de l'Empire romain !... L'un d'eux est Pompilius Crassus qui a commencé sa carrière d'homme public dans cette malheureuse province, en initiant une longue période de terreur parmi nos malheureux compatriotes ! L'autre, Messieurs, est Publius Lentulus, l'orgueilleux émissaire de Tibère et de ses successeurs dans la Judée humiliée de tous les temps, qui réduit à l'esclavage nos fils encore jeunes et instaura des procès criminels dans toutes les provinces, fomentant la terreur chez nos frères persécutés et flagellés, de sa résidence seigneuriale de Galilée !... Par conséquent ! Avant que les maudits soldats du pillage impérial ne nous emprisonnent et ne nous exterminent, accomplissons nos desseins !...

Tous ceux qui étaient présents l'écoutaient comme s'il s'agissait des ordres suprêmes d'un chef à qui ils devaient obéir aveuglément.

Les deux sénateurs furent alors attachés avec de lourdes chaînes en fer aux poteaux du supplice, sans aucune liberté de mouvement, leur mobilité se limitait à leurs yeux silencieux et sereins dans ce sacrifice.

Notre vengeance - reprit l'odieux Israélite - doit obéir aux critères de l'Antiquité. Pompilius Crassus devra mourir le premier pour être le plus vieux et pour que le vaniteux sénateur Publius Lentulus comprenne notre volonté d'éliminer la force de son maudit empire.

Pompilius fixa longuement son ami, comme s'il lui faisait des adieux angoissants et muets, en cette heure extrême.

Nicandre, cette tâche t'appartient - s'exclama André, en se tournant vers l'un de ses compagnons.

Et donnant au vigoureux soldat une épée menaçante, il ajouta avec une profonde

ironie:

Arrache-lui le cœur pour que son ami conserve à jamais dans sa mémoire la scène d'aujourd'hui.

Les yeux du condamné brillèrent d'une intense angoisse, tandis que ses joues palissaient à l'extrême, accusant les émotions douloureuses qui le blessaient au fond de l'âme. Tous deux échangèrent alors un regard inoubliable.

Quelques minutes après, Publius Lentulus assistait au déroulement de l'opération abominable.

La tête blême du supplicié tomba au premier coup d'épée et de son vieux thorax fut arraché violemment son cœur sanglant encore palpitant.

Le sénateur survivant entendait en même temps le tumulte des patriciens victorieux qui approchaient laissant croire qu'ils combattaient déjà corps à corps, aux portes de cette turbulente assemblée de vengeance et de crime. La monstrueuse scène terrifiait son âme, lui qui était toujours optimiste et déterminé, mais il ne perdit pas la posture hautaine et rigide qu'il s'imposait à lui-même, en cette heure angoissante.

Une fois l'exécution de Pompilius achevée, rapidement réalisée, car tous les participants avaient conscience de l'horrible situation qui les attendait face aux triomphateurs, André de Gioras éleva à nouveau la voix :

Mes amis - affirma-t-il sur un ton lugubre -, le plus vieux a reçu la peine miséricordieuse de la mort, mais à ce patricien infâme qui nous écoute, nous accorderons la peine arrière de la vie dans la tombe de ses illusions délirantes, de vanité et d'orgueil !... Publius Lentulus, l'ancien émissaire des empereurs devra vivre !... Oui, mais vivre sans les yeux qui ont éclairé le chemin de son égoïsme suprême sur nos grands malheurs !... Nous le laisserons en vie pour que dans les ténèbres de sa nuit, il cherche à voir avec les yeux des esclaves qu'il a piétines au cours de son existence.

Il y eut un lourd silence même si, là dehors, on entendait le trépignement des chevaux et le tintement des armures, alliés à la rumeur sinistre des voix menaçantes à l'attaque, face à la résistance désespérée du dernier bastion.

Néanmoins, André de Gioras semblait ivre de la volupté de sa vengeance et, retenant l'attention de l'assistance à cette heure tragique du destin qui les attendait tous, de sa voix magnétique et persuasive, il s'exclama énergiquement :

Italus, c'est à tes mains que revient la tâche de cet instant.

De l'assistance compacte et inquiète, sortit un homme, presque dans la quarantaine qui surprit le sénateur par ses traits fins de patricien. Leurs regards se rencontrèrent et il lui sembla découvrir dans cette âme un lien d'affinité étrange et incompréhensible.

Italus ? Ce nom ne lui rappelait-il pas quelque chose des environs de sa Rome inoubliable ? Pour quelle raison cet homme qui, de toute évidence avait le sang noble, serait-il là à combattre aux côtés des juifs mutinés et remplis de haine ? Quant au bourreau indiqué par la voix autoritaire d'André, il semblait enclin au respect et à la pitié pour cet homme vieux et serein, aux mains et aux pieds attachés au poteau de l'injure, et qui semblait hésiter à exécuter l'ordre sinistre et impitoyable de son chef.

Mais brusquement surgit d'une large porte sombre, un guerrier Israélite avec un grand plateau en bronze et une lame en fer incandescente dont la pointe aiguisée reposait parmi des braises ardentes.

Contemplant avec intérêt l'énigmatique figure d'Italus dans la vitalité de l'âge adulte, le sénateur silencieux ne pouvait dissimuler sa curiosité face à cette silhouette droite et délicate.