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André, quant à lui, jouissait du tableau et, percevant l'évidente attention du condamné, il l'arracha de cet état de conjecture et de surprise, et fit ironiquement :

Alors, sénateur, vous admirez l'allure noble d'Italus ?... Sachez que si les patriciens se paient le luxe de posséder des esclaves Israélites, les seigneurs de Judée apprécient aussi les esclaves de type romain. D'ailleurs, je dois dire que c'est toujours dangereux de garder un esclave comme celui-ci dans la cité, vu l'imprécation du patriciat aujourd'hui excessive de toute part ; mais, j'ai réussi jusqu'à présent à maintenir cet homme travailleur dans le milieu agricole...

Publius Lentulus pouvait à peine deviner le sens caché de ces paroles ironiques, le temps de l'introspection était révolu. Il remarqua qu'André se tut, face à l'urgence avec laquelle l'opération à suivre devait être mise à exécution pour ne pas perdre le rouge incandescent de la lame fatidique. Devant tous ces regards stupéfaits et désespérés qui ne savaient plus s'ils devaient fixer la scène macabre ou s'ils devaient s'occuper de la bruyante pénétration des forces de Titus qui brisait à cet instant même les obstacles du dernier bastion, le bourreau implacable remit à Italus le terrible instrument du sacrifice.

Italus - recommanda-t-il avec le maximum d'énergie -, cette minute est précieuse...

Nous allons luibrûler les pupilles afin de le rendre aveugle tout en le laissant en vie.

Mais le pauvre homme ému jusqu'aux larmes en raison du supplice qu'il devait infliger de ses propres mains, semblait indécis et titubant.

Seigneur.... - dit-il suppliant, sans réussir à formuler d'objection.

Pourquoi hésites-tu?... - rétorqua André, sur un ton tyrannique en lui coupant la

parole.

Devrais-je utiliser le fouet pour que tu m'obéisses ?

Italus prit alors la lame avec humilité. Il s'approcha lentement du condamné plein de résignation et de force intérieure. Avant l'instant suprême, leurs regards se croisèrent, échangeant les vibrations d'une sympathie réciproque. Publius Lentulus observa à nouveau cette silhouette touchée d'une incontestable noblesse, brisé dans ses lignes les plus caractéristiques par les travaux les plus impitoyables et les plus rudes ; et fixé devant ses yeux en pleine lumière pour la dernière fois, l'attraction qu'il éprouva pour cet homme fut si grande, qu'inexplicablement, il en vint à se souvenir de son petit Marcus, se disant que s'il était encore en vie dans un milieu aussi hostile, il devrait avoir cette allure et cet âge.

Les mains d'Italus, tremblantes et hésitantes, s'approchèrent de ses yeux exténués comme si elles le faisaient dans une douce attitude de tendresse ; mais le fer incandescent, avec la rapidité de l'éclair, blessa ses pupilles orgueilleuses et claires, les plongeant pour toujours dans les ténèbres.

A cet instant, la victime poussa un cri infernal qui résonna dans toute la salle.

Une douleur indéfinissable émanait de ses brûlures lui faisant ressentir d'atroces souffrances.

Il ne voyait plus rien si ce n'est les ombres épaisses qui couvraient son esprit, mais pouvait deviner que les forces victorieuses arrivaient tardivement pour le libérer.

Au milieu des bruits assourdissants, André de Gioras s'approcha encore du condamné, et lui dit à l'oreille :

Je pourrais vous tuer, infâme sénateur, mais je veux que vous viviez. Maintenant, je vais vous révéler qui est Italus, votre bourreau du dernier instant !...

Mais un violent coup d'épée, brandie par un légionnaire romain, fit tomber par terre le vieil Israélite, évanoui, tandis qu'un coup de poignard mortel atteignait Italus, indécis dans sa stupéfaction et qui tomba lourdement auprès du supplicié, étreignant ses pieds dans un geste symbolique et suprême.

Des voix amicales entourèrent alors Publius Lentulus, dans cet entourage agité. On lui détacha immédiatement les pieds et les mains, lui restituant sa liberté de mouvements, pendant que d'autres légionnaires retiraient le cadavre de Pompilius Crassus, la poitrine vidée, dans un tableau affreux de sauvagerie sanguinaire.

Une fois les premiers tumultes apaisés et gardant pour lui les doutes les plus poignants concernant les paroles réservées de son ennemi implacable, avant d'être emmené par les bras de ses compagnons au poste de commandement des forces en action où il allait recevoir les premiers secours, Publius Lentulus recommanda que l'on traitât avec le plus grand respect le cadavre d'Italus qui gisait à côté d'un tas de dépouilles sanglantes, ce en quoi il fut exaucé. Mais un compagnon lui fit alors remarquer :

Sénateur, avant tout, n'oubliez pas que votre état réclame les soins les plus urgents.

Et comme s'il voulait provoquer une explication spontanée du blessé sur l'intérêt qu'il portait au défunt, il ajouta délicatement :

N'est-ce pas cet homme qui vous a infligé l'horrible supplice ?

Face à cette question inopinée et devant justifier son attitude à ses compatriotes qui l'écoutaient, Publius s'exclama d'une voix poignante :

-Vous vous trompez, mon ami. Cet homme dont je ne vois pas le cadavre à présent, était des nôtres, prisonnier de longue date de la fureur vindicative d'un puissant seigneur de Jérusalem... Observez ses traits nobles et vous serez d'accord avec moi !...

Et tandis qu'il se retirait soutenu par ses amis, afin de recevoir les premiers secours indispensables, il sentit avoir accompli un devoir en prononçant ces mots car des voix mystérieuses parlaient à son cœur de ce regard généreux qui s'était posé dans ses yeux pour la dernière fois.

Pendant plusieurs jours, Jérusalem fut livrée au pillage et au désordre perpétrés par les soldats de l'empire, assoiffés de plaisirs et empoisonnés du vin sinistre du triomphe. Tous les chefs de la résistance Israélite furent emprisonnés afin de comparaître à Rome pour l'ultime sacrifice, en hommage aux fêtes commémoratives de la victoire. Parmi eux se trouvait André de Gioras qui, rétabli des excoriations reçues, était l'un de ceux qui devaient être exterminés pour réjouir l'assistance festive dans la capitale de l'empire.

Après la tuerie de onze mille prisonniers blessés ou invalides, massacrés par les légions victorieuses ; après les affreux spectacles de la destruction et du pillage du Temple magnifique qu'Israël jugeait être son œuvre éternelle et divine pour toutes les générations de sa postérité prolifique, la grande caravane des vaincus et des vainqueurs prit le chemin du retour, pleine de richesses illicites et de trophées merveilleux, afin d'exhiber à Rome tous les ornements qui illustraient la victoire, au milieu des vibrations tumultueuses et des chants triomphateurs.

Publius Lentulus voyagea dans une galère confortable et paisible, résigné dans la nuit noire de sa cécité, entouré d'amis prévenants qui faisaient tout pour diminuer ses souffrances morales.

Avant d'arriver à Rome, plusieurs fois, il avait réfléchi à la meilleure manière de s'adresser directement à André pour lui arracher la vérité et apaiser ses doutes personnels quant à l'identité de l'esclave de type romain qui lui avait à jamais ôté le précieux don de la vue. Mais à présent, il était aveugle et pour réaliser ce désir, il devait prendre un grand nombre de dispositions, demander la collaboration d'autrui et, même ainsi, il n'avait pas trouvé la meilleure manière d'entendre le juif sans offenser les traditions de sa dignité conservée pendant toute la durée dans sa vie publique.

Ce fut ainsi que devant cette impasse, il arriva à nouveau au palais de l'Aventin en compagnie de nombreux confrères du milieu politique, et surprit amèrement le cœur de sa fille avec la nouvelle tragique et pénible de sa cécité.

Anne, tel un ange fraternel, valeureuse sœur de tous les malheureux, disciple sincère du christianisme, avait attendu affectueusement son Maître auprès de Flavia qui s'exclama pleine d'un incoercible découragement :