- Mon père, mon père, mais quel malheur !...
Néanmoins, avec son optimisme, le vieux patricien réconforta son esprit en lui disant :
- Ma fille, ne te fatigue pas trop à réfléchir aux problèmes de la destinée. Dans tous les événements de la vie, nous devons louer les desseins souverains des cieux et j'espère que tu reprendras courage car il n'y a que comme cela que je vivrai à présent, auprès de toi, dans cette tendre consolation réciproque ! C'est le destin lui-même qui m'a éloigné des affaires d'État, afin de vivre désormais uniquement pour toi.
Dans leur infortune commune, fondant en baisers, ils s'étreignirent alors avec effusion comme deux âmes vibrant d'une même émotion en proie aux mêmes souffrances.
Mais en dépit d'un repos bien nécessaire et malgré la cécité qui l'empêchait de prendre toutes initiatives, Publius Lentulus n'avait pas perdu l'espoir d'entendre son ennemi implacable, une fois encore, et pour cela, il attendait le jour angoissant des festivités souveraines du triomphe que le peuple romain convoitait impatiemment.
Il convient de souligner que le vieux sénateur avait été immédiatement reconduit à la cité, vu sa situation très particulière ; tandis que le vainqueur et ses multiples légions entrèrent dans Rome avec tous les fastes des protocoles des triomphateurs, conformément aux nombreux règlements de l'ancienne République.
Le jour prévu, toute la capitale avec sa population d'un million et demi d'habitants, approximativement, attendait les magnifiques commémorations de la victoire.
Dès les premières heures du jour, commencèrent à s'agrouper aux portes de la ville les légions victorieuses, sans armes, vêtues de délicates tuniques de soie, exhibant de superbes couronnes de lauriers. Une fois les portes de la cité franchies sous les bruyants applaudissements de la foule sans fin, un splendide banquet leur fut offert, présidé par l'empereur lui-même et son fils.
Puis juste après les cérémonies du Sénat, au portique d'Octavie, Vespasien et Titus se dirigèrent vers la porte Triomphale où ils offrirent un sacrifice aux dieux et portèrent les symboles du triomphe aux somptueuses festivités impériales. Une fois cette cérémonie achevée, le grand cortège se mit en route. Publius Lentulus ne manqua pas d'être là car il avait la secrète intention d'entendre les propos révélateurs du chef prisonnier dont le cadavre, après les sacrifices de ce jour, serait jeté aux eaux du Tibre conformément aux traditions en vigueur.
Tous les trophées des batailles sanglantes et tous les vaincus, en nombre considérable, étaient également présents à la procession de cette fête indescriptible.
Devant l'immense cortège, défilait une quantité incalculable d'œuvres en or pur, décorées de couleurs vives et variées, et juste après venaient des pierres précieuses en nombre considérable non seulement posées sur des couronnes d'une beauté fulgurante, mais aussi sur des pièces d'étoffes qui émerveillaient les spectateurs par leur variété. Tous ces trésors étaient portés par de jeunes légionnaires vêtus de tuniques en pourpre avec de gracieux ornements dorés.
Après l'exhibition des trésors conquis par le triomphateur, venaient par centaines, les statues des dieux, de tailles prodigieuses, sculptées dans le marbre, en or ou en argent.
Derrière les dieux, tout un régiment d'animaux, d'espèces les plus variées parmi lesquelles on pouvait distinguer de nombreux dromadaires et des éléphants couverts de magnifiques pierreries.
Les animaux étaient suivis par une foule compacte et affligée de prisonniers abattus qui exhibaient leur misère et leur regard triste, cherchant à cacher aux spectateurs impitoyables et irrévérencieux les lourds fers qui les enchaînaient.
Après les prisonniers éreintés, c'était au tour des simulacres des cités vaincues et humiliées, confectionnés avec soin, portés par les épaules de nombreux soldats, semblables aux chars allégoriques modernes des fêtes carnavalesques. Il y avait des représentations de toutes les villes détruites et pillées, des batailles victorieuses, sans oublier le ravage des champs, la chute des murailles et les incendies dévastateurs.
Après ces symboles, venaient les richissimes butins des peuples vaincus et des villes conquises, principalement ceux de Jérusalem exhibés avec beaucoup d'attention par les légionnaires. Sous les applaudissements bruyants et moqueurs de la foule qui se serrait de toute part, paradaient les statues représentant les personnages d'Abraham et de Sarah, ainsi que toutes les personnalités royales de la famille de David, en plus de tous les objets sacrés du fameux Temple de Jérusalem, tels que la table des Pains de Proposition17, en or massif, les trompettes du Jubilé, le chandelier à sept branches en or, les ornements essentiels d'une grande valeur, les voiles sacrés du Temple, et finalement, la Loi des Juifs qui suivait derrière tous les butins matériels pillés par les forces triomphantes. Chaque objet était posé sur des socles précieux et bien décorés sur les épaules des légionnaires romains couronnés de lauriers.
17 Les pains de proposition, adoptés par les Hébreux pour leurs sanctuaires représentaient, comme idée première, la nourriture du dieu. NDT
Après les textes de la Loi, suivait Simon, l'infortuné chef suprême de tous les mouvements de la résistance de Jérusalem, accompagné de ses trois auxiliaires directs, dont André de Gioras. Tous les chefs de cette résistance longue et désespérée étaient vêtus de noir et marchaient solennellement au sacrifice, après avoir été exhibés à toutes les commémorations festives du triomphe.
Ensuite, venaient les magnifiques chars des triomphateurs. Après le passage éblouissant de Vespasien, paradait Titus dans un océan de pourpre, de soieries et de vermillon, symbolisant Jupiter lui-même dans l'ivresse de sa victoire.
Dans la suite d'honneur, il y avait également le sénateur valétudinaire et aveugle, non plus par plaisir pour les hommages, mais avec la secrète intention d'entendre les révélations d'André, avant le moment tragique où son corps serait jeté dans les eaux boueuses du Tibre, à l'heure de l'ultime supplice, sous les applaudissements délirants du peuple.
L'armée compacte venait après les chars impériaux des vainqueurs et leurs auliques les plus proches, faisant retentir les hymnes de la victoire, tandis que toutes les rues et places, les forums et les portiques, les terrasses et fenêtres regorgeaient d'une foule incalculable de curieux.