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Sénateur - insistait-il, le suppliant tristement -, pardonnez-moi ! Je veux comprendre l'esprit de ma Loi, malgré l'instant suprême !... J'ai avoué mon crime, donnez-moi la force de comparaître devant la lumière de Dieu !...

Publius entendait sa voix suppliante, tandis qu'une larme d'une indicible douleur coulait de ses yeux tristes et éteints.

Pardonner ? Mais, comment ? N'était-ce pas lui, Publius, l'offensé et la victime d'une vie entière ? De singulières émotions l'ébranlaient intérieurement alors que des sanglots mouraient dans sa gorge oppressée.

Devant lui, se trouvait l'ennemi implacable qu'il avait cherché en vain, pendant de longues années consécutives de malheur. Mais dans son introspection, il savait reconnaître, également, ses propres erreurs, se rappelant des excès de sa sévérité vaniteuse. Lui aussi était là comme un cadavre ambulant, entouré d'ombres épaisses. A quoi bon les honneurs et l'orgueil effréné ? Tous ses espoirs de bonheur étaient morts. Tous ses rêves anéantis. Seigneur d'une fortune considérable, il ne vivrait plus au monde que pour porter le lourd poids de ses illusions brisées. Et pourtant, au fond de lui, il se refusait à pardonner à l'heure extrême. A cet instant, il se souvint de Jésus et de sa doctrine d'amour et de miséricorde pour les ennemis. Le Maître de Nazareth avait pardonné tous ses bourreaux et avait enseigné à ses disciples que l'homme doit pardonner soixante-dix fois sept fois. Il se souvint également que pour Jésus, son épouse immaculée était morte dans les horreurs du cirque infâme ; pour Jésus, Flaminius était revenu du royaume des ombres pour l'inciter, un jour, au pardon et à la pitié...

Les bruits de l'extérieur annonçaient que la dernière heure d'André était proche. Simon lui-même marchait déjà vacillant et ensanglanté après le fouet vers l'intérieur de la prison pour la fin de son supplice.

C'est alors que Publius Lentulus, abandonnant toutes ses traditions d'orgueil et de vanité, sentit qu'au fond de son âme jaillissait une source d'eau cristalline. De copieuses larmes coulèrent des orbites sans expression de ses yeux morts sur ses joues ridées et blêmes et, comme s'il désirait regarder son ennemi avec ses yeux spirituels afin de lui montrer sa commisération, il dit d'une voix ferme :

- Vous êtes pardonné...

Et il retourna immédiatement dans la salle contiguë sans attendre une quelconque réponse, sachant que la dernière heure de son ennemi était venue.

Quelques minutes plus tard, le cadavre d'André de Gioras était traîné aux Gémonies pour être ensuite jeté au Tibre silencieux.

Le sénateur ne perçut plus rien du reste des nombreuses cérémonies au Temple de

Jupiter.

Le cortège était à présent illuminé par la clarté de mille torches fixées par les esclaves sur quarante éléphants, conformément aux ordres de Titus, à la tombée des premières ombres de la nuit, mais le sénateur, affligé par ses souffrances morales dans sa litière, retournait au palais de l'Aventin où il s'enferma dans ses appartements privés, prétextant une grande fatigue.

Tâtonnant dans sa nuit, il baisa la croix de Siméon que la croyance de son épouse lui avait laissée, la mouillant des larmes de son malheur.

Dans de profondes et pénibles méditations, il put alors comprendre que Livia avait vécu pour Dieu et lui pour César, recevant tous deux des compensations différentes sur la route de la destinée. Et tandis que le joug de Jésus était doux et léger pour sa femme, son cœur hautain était prisonnier du terrible joug du monde, enseveli dans ses douleurs irrémédiables, sans clarté et sans espoirs.

SOUVENIRS AMERS

Juste après les poignants événements de l'an 70, conformément aux souhaits de Flavia, le sénateur s'installa dans la confortable résidence qu'il possédait à Pompéi, loin du tumulte de la capitale. Là, il pouvait mieux se livrer à ses méditations.

Le vieil homme politicien y fit donc transporter toutes ses volumineuses archives, ainsi que les souvenirs les plus tendres et les plus importants de sa vie.

Deux affranchis grecs, extrêmement cultivés, furent engagés pour les travaux d'écriture et de lecture et c'est ainsi que dans sa retraite, il se tenait au courant de toutes les nouveautés politiques et littéraires de Rome.

En ces temps reculés, alors que l'homme était encore loin des précieux avantages apportés par l'invention de

Gutenberg, les manuscrits romains étaient rares et très disputés par les élites intellectuelles de l'époque. Une maison d'édition disposait, presque toujours, d'une centaine d'esclaves calligraphes intelligents qui confectionnaient plus ou moins un millier de livres par an.

De plus, Publius avait à Rome des amitiés sincères et de nombreuses relations à son service, il recevait ainsi à Pompéi tous les échos des événements de la cité qui avaient absorbé les meilleures énergies de sa vie.

Fréquemment, il recevait aussi des nouvelles de Pline Sévérus par l'intermédiaire d'amis dévoués. Il se réjouissait de sa conduite, à présent digne, d'autant que pour ses mérites conquis en Gaules, il avait été transféré à Rome, après l'an 73, où en vertu de son bon comportement, bien que tardivement, il avait acquis un poste respectable et brillant, poursuivant les traditions de la probité paternelle aux fonctions administratives de l'Empire.

Toutefois, Pline ne retourna pas voir sa femme, ni celui que le destin l'astreignait à considérer comme un père dévoué et affectueux, bien qu'il n'ignorât pas la grande infortune de sa famille. Au fond, l'ancien officier romain ne rejetait pas l'idée de revenir auprès de ses êtres chers ; cependant, il désirait le faire dans des circonstances qui dissiperaient tous les doutes quant au considérable effort de sa régénération. En accédant à des postes de confiance dans l'administration des Flaviens, il voulait atteindre une position aux plus hautes prérogatives morales afin d'apporter à ses proches la certitude de sa réhabilitation spirituelle.

Dans le calme des beaux paysages de Campanie, l'an 78 se déroulait tranquillement. Et si Tibur était une station de cure et de repos régénérateur pour les Romains les plus riches, Pompéi était bien la ville des Romains les plus sains et les plus heureux. Sur ses voies publiques, à chaque pas, on pouvait contempler les marbres magnifiques et le bon goût des plus belles constructions de la capitale aristocratique de l'Empire. Dans ses temples somptueux, se réunissaient de brillantes assemblées de patriciens éduqués et cultivés qui s'installaient dans la belle cité peuplée de chanteurs et de poètes au pied du Vésuve et illuminée par un ciel merveilleux, plein d'un soleil rayonnant ou brodé d'étoiles scintillantes.

À présent, Publius Lentulus appréciait beaucoup la parole simple et convaincante d'Anne qui vieillissait aux côtés de Flavia, telle une belle figure d'ivoire ancien. Il fallait voir son attention, son émotion et sa joie à l'entendre parler de l'excellence des principes chrétiens quand ils évoquaient les souvenirs de la Judée lointaine.

Lors de ces aimables conversations entre eux trois, peu après le dîner, ils parlaient de la personnalité du Christ et des sublimes enseignements de sa doctrine qui par la force des circonstances amenaient le sénateur à méditer plus longuement sur les postulats grandioses de l'Évangile, encore fragmentaires et presque inconnus, pour rapprocher les principes généreux et sacrés du christianisme à la personnalité de son divin fondateur.

Pendant de longues heures, ils s'attardaient sur la vaste terrasse sous la douce lumière des étoiles jouissant des brises caressantes de la nuit qui étaient comme des bouffées d'inspirations célestes pour ces trois créatures marquées par les expériences des années.

Parfois, Flavia jouait quelques notes qui s'échappaient de sa harpe comme un gémissement vibrant de douleur et de nostalgie qui touchait le cœur de son père plongé dans l'abîme des réminiscences douloureuses. Il se trouve que la musique des aveugles est toujours plus spiritualisée et plus pure car dans son art, l'âme parle en profondeur, sans les émotions éparses des sens physiques.