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Angélique poussa un cri d'horreur. Était-ce possible ! Ces garçons, ces petits auxquels on aurait donné le Bon Dieu sans confession !... Florimond se mit à rire, jubilant à ce souvenir.

– Quand elle a commencé à être un peu brûlée, elle a tout dit, mais elle a fait jurer que nous ne vous en parlerions jamais. Et nous avons gardé le secret. Mais nous étions heureux et fiers qu'il fût notre père et qu'il eût échappé aux méchants... Alors Cantor s'est mis dans la tête de partir sur la mer pour le rechercher.

– Pourquoi sur la mer ?

– Parce que c'est très loin, dit-il avec un geste vague.

On devinait que pour lui, la mer c'était une entité dont il n'avait pas une idée très précise, mais qui s'ouvrait sur de verts paradis où se réalisaient tous les rêves, et Angélique le comprenait.

– Cantor avait composé une chanson, reprit Florimond. Je ne me rappelle plus très bien les paroles mais c'était très joli. C'était l'histoire de notre père. Il disait : « Je chanterai partout cette chanson et il y aura bien des gens qui le reconnaîtront et qui me diront où il est... »

La gorge d'Angélique se serra et ses yeux se mouillèrent. Elle les imaginait complotant tous deux l'impossible odyssée du petit troubadour à la poursuite de l'homme de légende.

– Moi je n'étais pas d'accord, dit Florimond. Je n'avais pas envie de partir parce que mon emploi à Versailles me plaisait. Ce n'est pas à courir la mer qu'on peut faire avancer sa carrière, n'est-ce pas ? Cantor est parti. Il arrive toujours à ce qu'il veut, Barbe le disait : « Celui-là, quand il a quelque chose dans la tête, il est pis que sa mère... ». Maman, croyez-vous qu'il ait rejoint mon père ?...

Angélique caressa ses cheveux sans répondre. Elle n'avait pas le courage de lui rappeler une fois de plus que Cantor était mort payant de sa vie, comme les chevaliers du Saint-Graal, la poursuite d'une chimère. Pauvre petit chevalier ! Pauvre petit troubadour ! Son visage fermé aux lèvres closes lui apparaissait flottant derrière les transparences d'émeraude de la mer insondable. L'eau était aussi profonde que son regard chargé de rêve.

– ...À force de chanter, murmura Florimond qui poursuivait son idée...

Elle avait ignoré ce que cachaient ces yeux candides. Le monde enfantin, où se mêlent étrangement folie et sagesse, ne lui était plus accessible.

« Tous les enfants ont en tête dès folies, songea-t-elle. Le malheur, c'est que les miens les font !... »

Et pourtant elle n'était pas au bout du compte. La soirée lui réservait d'autres surprises.

Chapitre 4

Florimond, après être resté silencieux un long moment, releva la tête. Son visage mobile reflétait soudain une expression de gêne et de tristesse.

– Maman, reprit-il, est-ce le Roi qui a condamné mon père ? J'y ai beaucoup pensé et cela m'a tourmenté, car le Roi est juste...

Il souffrait de renverser une idole. Elle dit, pour l'apaiser :

– Ce sont les jaloux qui ont causé sa perte et c'est le Roi qui lui a fait grâce.

– Oh ! Je suis bien content, s'exclama Florimond. Car j'aime le Roi mais j'aime encore plus mon père. Quand reviendra-t-il ? Puisque le Roi lui a fait grâce. Ne pourrait-il reprendre son rang ?

Angélique soupira, le cœur lourd.

– C'est une histoire bien obscure et bien difficile à démêler, mon pauvre garçon. Jusqu'à ces derniers temps je croyais moi-même que ton père était mort et maintenant il y a des moments où j'ai l'impression que je rêve. Il n'est pas mort, il s'est échappé, il est venu ici pour y chercher de l'or... C'est incontestable... et pourtant c'est impossible. Les portes de Paris étaient gardées, des sentinelles étaient postées aux abords de l'hôtel, par où aurait-il pu y pénétrer ?

Elle vit que Florimond la regardait en hochant la tête avec un sourire supérieur et comme elle n'en était plus à une révélation près sur cet étonnant gamin, elle s'écria :

– Toi, tu le sais ?

– Oui.

Tendu vers elle, il chuchota :

– Par le souterrain du puits !

– Que veux-tu dire ?

Mystérieux, Florimond se redressa et lui saisit la main.

– Viens !

En passant dans le couloir, il prit une veilleuse qui brûlait près de la porte d'entrée, puis il entraîna sa mère dans les jardins. La lune à demi pleine éclairait suffisamment les allées tracées entre les buis taillés, jusqu'au fond, près du grand mur, où Angélique avait voulu qu'on laissât des herbes folles et le désordre poétique de ce coin médiéval. Une colonne à demi brisée, un écusson fleuri contre un banc et le vieux puits au dôme de fer forgé y rappelaient l'ancienne splendeur du XVe siècle, lorsque ce même quartier du Marais ne formait qu'un seul et immense palais aux cours nombreuses, résidence des rois de France et des princes.

– C'est Pascalou qui nous a montré le secret, expliquait Florimond. Il disait que mon père avait lui-même veillé à remettre en état le vieux souterrain quand il faisait construire l'hôtel. Il avait payé fort cher trois ouvriers pour qu'ils gardent le secret. Pascalou en était. Alors il nous a tout montré puisque nous étions ses fils. Regardez.

– Je ne vois rien, dit Angélique en se penchant au-dessus du trou noir.

– Attendez.

Florimond posa la veilleuse à l'intérieur du grand seau de bois cerclé de cuivre qui pendait à la chaîne et le fit descendre doucement. La lumière éclairait les parois luisantes d'humidité.

À mi-chemin, le garçonnet arrêta la chaîne.

– Voilà ! En se penchant on distingue dans la paroi une petite porte de bois. C'est là. Quand le seau est arrêté exactement devant on l'ouvre, on pénètre dans le souterrain. Il est très profond. Il passe sous les caves des maisons voisines. Il franchit les remparts du côté de la Bastille, et autrefois il aboutissait dans le faubourg Saint-Antoine où il rejoint de vieilles catacombes et l'ancien lit de la Seine. Mais comme on a bâti dessus, mon père l'a fait prolonger jusque dans la forêt de Vincennes. On sort dans une petite chapelle en ruines. Et voilà, le tour est joué. Mon père avait beaucoup de prudence, n'est-ce pas ?

– Comment savoir si ce souterrain est toujours praticable ? murmura Angélique.

– Oh ! il l'est. Le vieux Pascalou l'a entretenu avec soin. Le pêne de la porte est toujours huilé. Elle s'ouvre à la moindre pression et le mécanisme de la trappe qui donne dans la chapelle de Vincennes fonctionne très bien aussi. Le vieux Pascalou disait qu'il fallait que tout soit en état pour quand le maître reviendrait. Mais il n'est pas revenu encore et quelquefois, dans la chapelle de Vincennes, tous les trois : le vieux Pascalou, Cantor et moi, nous l'attendions. Nous écoutions. Nous espérions entendre son pas. Le pas du Grand Boiteux du Languedoc...