Выбрать главу

Angélique regarda son fils avec acuité.

– Florimond, tu ne vas pas me faire croire que toi et Cantor, vous... vous êtes descendus dans ce puits ?

– Si fait ! Si fait ! dit négligemment Florimond, et plus d'une fois vous pouvez m'en croire.

Il se mit à remonter le seau et pouffa tout à coup.

– Barbe nous attendait ici en disant son chapelet, terrifiée comme une poule qui a couvé des canards.

– Cette grosse folle était au courant !

– Il fallait bien qu'elle nous aide à remonter le seau !

– C'est indigne ! Elle vous a laissé commettre de telles imprudences et sans m'en rien dire...

– Dame ! Elle avait peur de se faire encore brûler les pieds.

– Florimond, te rends-tu compte que tu mérites une paire de gifles ?...

Florimond ne dit ni oui ni non. Il s'affaira à ranger le seau et posa la veilleuse sur la margelle. Le puits était redevenu obscur et mystérieux. Angélique passa la main sur son visage, essayant de mettre de l'ordre dans ses pensées.

– Ce que je ne comprends pas... dit-elle.

Elle réfléchit encore.

– Oui. Comment a-t-il pu sortir seul du puits, sans complice ?

– Ce n'est pas difficile. Il y a des petits crampons de fer plantés dans les parois à cet effet. Mais Pascalou ne voulait pas que nous nous en servions parce que nous étions trop petits et, lui, il commençait à être un peu trop vieux. Alors il fallait supporter Barbe et ses jérémiades pour nous remonter. Quand le vieux Pascalou a senti qu'il allait mourir, il m'a fait mander. J'étais à Versailles. Nous avons sauté à cheval, l'abbé et moi. Maman, c'est triste de voir mourir un bon serviteur. Je lui ai tenu la main jusqu'à la fin.

– Tu as bien fait, mon Florimond.

– Et il m'a dit : « Il faut veiller sur le puits pour quand le maître reviendra. » Je le lui ai promis. Chaque fois que je retourne à Paris je descends et je vérifie si tout le mécanisme est en état.

– Tu fais cela... seul ?

– Oui. J'en ai assez de Barbe. Je suis assez grand maintenant pour me débrouiller seul.

– Tu descends par les crampons de fer ?

– Eh oui ! C'est fort simple, vous dis-je. Une petite gymnastique.

– Et l'abbé ne s'est jamais opposé à tes folies ?

– L'abbé n'est pas au courant. Il dort. Je ne crois pas qu'il se soit jamais douté de rien.

– Ah ! mes enfants sont bien gardés, dit Angélique, amère. Alors c'est la nuit que tu te livres à ces fantaisies dangereuses ? Et... tu n'as jamais eu peur, Florimond, quand tu te trouvais seul ainsi la nuit dans un souterrain ?

Le garçonnet remua la tête. S'il avait eu peur parfois, il ne l'avouerait pas.

– Mon père s'occupait de mines, m'a-t-on dit. C'est peut-être à cause de cela que j'aime être sous la terre.

Il la regardait par en dessous, flatté de l'admiration qu'elle ne pouvait dissimuler, et dans la lueur du clair de lune qui marquait d'ombre le visage enfantin, elle reconnaissait le pli d'une lèvre moqueuse, l'étincelle d'un regard noir et cette expression un peu diabolique du dernier des Seigneurs de Toulouse qui aimait tant scandaliser, effrayer et faire béer de stupeur les bourgeois timorés.

– Si vous voulez, ma mère, je vous y conduirai.

Chapitre 5

La galère royale entra lentement dans le port de Marseille. La rade, bleu miroir, refléta comme un incendie ses bannières de soie cramoisie, tordant au vent leurs glands d'or, ses flammes écussonnées, portant à la pointe des mâts la marque de l'amiral, et l'étendard de la marine, rouge aussi et brodé de fleurs de lys d'or.

Ce fut aussitôt sur les quais un mouvement général de curiosité. Les poissonnières et les fleuristes saisirent leurs paniers de figues et de mimosas, de melons ou d'œillets, de rascasses ou de coquillages et. tout en échangeant des commentaires sonores se dirigèrent vers le point où le beau navire devait accoster. Des élégantes qui flânaient suivies de leurs petits chiens, des pêcheurs en bonnet rouge occupés à ravauder leurs filets, se rapprochèrent à leur tour. Deux portefaix turcs, en culotte bouffante verte ou rouge, le torse acajou ruisselant de sueur, laissèrent choir les énormes ballots de poissons sèches qu'ils transportaient, s'assirent dessus et tirèrent de leur ceinture leur longue pipe qu'ils allumèrent. L'arrivée de la galère allait leur permettre de tirer quelques bouffées car le travail de fourmilière du grand port se relâchait. Les capitaines surveillant le chargement d'un vaisseau, les commerçants bedonnants, courant ici et là suivis de leurs greffiers et de leurs commis, décidaient de poser les balances et de souffler un peu. On allait à la galère comme au spectacle, moins pour admirer sa grâce ailée glissant sur l'eau du bassin et ses officiers chamarrés, que pour voir passer la chiourme. Spectacle horrible qui faisait se signer les femmes bien qu'elles n'en fussent jamais lasses.

*****

Angélique se leva de l'affût du canon où elle attendait assise depuis de longues heures. Flipot la suivit tenant son arc. Ils se mêlèrent à la foule. Là-bas, près de la Tour Saint-Jean, la galère semblait hésiter, comme un grand oiseau rutilant, et la lumière accrochait des étincelles à l'or de ses sculptures. Enfin, elle glissa vers le quai, à grands coups d'aile de ses vingt-quatre rames, blanches et fleuries d'arabesques. Elle achevait de virer de bord, tournant vers le large un long éperon effilé de bois d'ébène, que terminait une géante sirène en bois doré ; elle présentait maintenant à la foule des quais sa poupe ouvragée, garnie d'écussons et de sculptures de bois doré, que surmontait le tendelet de brocart rouge et or. C'était une vaste tente carrée qu'on appelait aussi tabernacle, là se tenait le corps des officiers. Un peu avant d'accoster les rames se relevèrent et demeurèrent immobiles. On entendit hurler les sifflets des comités, les roulements d'un gong qui arrêtait la vogue, puis dominant le tout les injures du capitaine aux mariniers qui roulaient les voiles. Un groupe d'officiers en grand uniforme apparut à la rambarde, près de l'escalier de bois doré. L'un d'eux se pencha en avant, ôta son chapeau à grandes plumes et se mit à faire des signes en direction d'Angélique. Elle se retourna et à son grand soulagement vit un groupe de jeunes dames et d'élégants qui venaient de descendre d'un carrosse. C'était à eux qu'on s'adressait. L'une des jeunes femmes, une brune au visage piquant bien qu'un peu trop constellé de « mouches », s'exclama avec ravissement :

– Oh ! ce délicieux Vivonne ! Il a beau être amiral et plus puissant à Marseille que Sa Majesté le Roi, il n'en reste pas moins si aimable, et d'une telle simplicité ! Il nous a aperçus et ne dédaigne pas de nous adresser ses hommages.

En reconnaissant le duc de Vivonne, Angélique s'était précipitamment reculée dans la foule. Le frère de Mme de Montespan posait son talon rouge sur les pavés visqueux et venait droit vers la jeune femme brune, les bras tendus.

– Ravi de vous apercevoir sur les rives, belle Ariane. Et vous aussi, Cassandre. Mais n'est-ce pas ce cher Calistro que j'aperçois là ? Quelle joie !

Dans un remue-ménage mondain, que les badauds contemplaient bouche bée, l'Amiral et ses amis échangeaient leurs révérences. Le duc de Vivonne était. fort à son avantage dans son rôle de presque vice-roi. Son teint hâlé allait bien à ses yeux bleus et à son abondante chevelure blonde. De grande taille il portait sans mal une légère corpulence, savait en jouer pour imposer sa présence en acteur consommé. Rieur, enjoué, l'esprit vif, il y avait beaucoup en lui de sa brillante sœur, la maîtresse du Roi.