Выбрать главу

– Ça ne tient pas debout, votre histoire !... Elle était là, dites-vous, et puis elle n'est plus là... Vous avez eu la berlue, c'est tout... Vous avez des visions... Il faudra vous purger.

Le policier prit le parti de se retirer, l'oreille basse. Vivonne derrière lui haussa les épaules. Un de ses amis s'approcha et dut s'informer de l'incident, car Angélique entendit le jeune amiral répondre d'un ton maussade :

– Ce grossier personnage prétendait que je recevais dans mes salons la belle Angélique, la dernière passion du Roi.

– Mme du Plessis-Bellière ?

– Elle-même ! Dieu me garde d'avoir sous mon toit cette putain intrigante !... Ma sœur devient folle de toutes les avanies que l'autre lui fait endurer... Elle m'écrit des missives désespérées. Si la sirène aux yeux verts parvient à ses fins, Athénaïs pourra baisser pavillon et les Mortemart passeront un mauvais quart d'heure.

– Serait-elle à Marseille cette beauté dont la réputation nous fait rêver ? J'ai toujours brûlé de la connaître.

– Vous brûlerez en vain. C'est une coquette, cruelle à tuer. Les admirateurs en savent quelque chose qui s'attachent en vain à ses pas. Elle n'est pas de celles qui se dispersent en oiseux badinages lorsqu'elle a un but à atteindre. Et ce but c'est le Roi... Une intrigante, vous dis-je... Dans sa dernière lettre, ma sœur me disait...

La conversation se perdit car les deux hommes s'éloignaient et rentraient dans les salons. « Mon cher, tu me paieras cela », pensa Angélique, outrée des propos de Vivonne à son égard. Elle s'enfonça dans le couloir ténébreux et après avoir tâtonné le long des cloisons trouva une porte dont elle tourna avec précaution la poignée. La chambre était déserte, éclairée seulement par les lueurs venues de la fenêtre ouverte. Angélique, à bout de forces, se laissa aller sur un épais divan oriental, recouvert de tapis et de coussins. Il y eut un bruit de gong car elle avait donné du pied dans une sorte de plateau de cuivre posé à terre. Elle écouta, anxieuse, puis trouva enfin un chandelier pour éclairer la situation. L'appartement – un boudoir, une chambre à coucher et un cabinet de toilette attenant – devait être celui du duc de Vivonne. Appartement d'un marin qui, à terre, ne compte plus ses bonnes fortunes. Angélique ne fut pas longue à dénicher parmi le désordre des longues vues, des cartes, des mappemondes et des uniformes, une penderie contenant une collection impressionnante de robes et de déshabillés vaporeux.

Angélique en choisit un, de mousseline de Chine blanche et brodée. Elle se lava dans un bassin où l'on avait préparé pour le maître et pour sa maîtresse une eau parfumée à la lavande de Provence. Elle brossa ses cheveux poussiéreux. En soupirant d'aise elle s'enveloppa dans le vêtement moelleux. Pieds nus sur les épais tapis turcs, elle revint dans le boudoir. Elle se sentait tituber de fatigue. Elle écouta encore un instant les bruits assourdis de l'hôtel, puis s'effondra sur le divan. Qu'importaient l'avenir et tous les policiers du monde ! Elle allait dormir.

– Oh !

Le cri aigu éveilla Angélique. Elle se dressa, une main sur les yeux, éblouie par la lumière.

– Oh !

La jeune femme brune, au visage constellé de mouches, se tenait à son chevet, vivante image de la stupeur et de l'indignation. Brusquement, elle se retourna et gifla quelqu'un à toute volée.

– Goujat ! Voilà donc la surprise que vous me réserviez... Félicitations ! Elle est réussie. Je n'aurai garde d'oublier un aussi cuisant affront. De ma vie, je ne vous reverrai !

Dans un grand frou-frou de robe et d'éventail claqué, elle franchit la porte, disparut. Le duc de Vivonne, se tenant la joue, regarda tour à tour la porte, Angélique et son valet qui portait deux chandeliers.

Le domestique se ressaisit le premier. Il posa les chandeliers sur la console, s'inclina devant son maître et, à tout hasard, devant Angélique, puis s'esquiva en refermant la porte avec douceur.

– Monsieur de Vivonne... je suis désolée, murmura Angélique en ébauchant un sourire contrit. Au son de sa voix, il parut enfin comprendre qu'il avait affaire à une créature de chair et d'os et non à un fantôme.

– C'était donc vrai... ce que racontait cet abruti tantôt... Vous étiez à Marseille... Vous étiez sous mon toit... Pouvais-je me douter ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas présentée ?...

– Je ne tenais pas à être reconnue. À plusieurs reprises, j'ai failli être arrêtée.

Le jeune homme passa la main sur son front. Il alla à un petit secrétaire d'ébène, dont il rabattit la tablette pour y prendre un carafon d'eau-de-vie et un verre.

– Ainsi Mme du Plessis-Bellière a toute la police du royaume à ses trousses !... Vous avez assassiné quelqu'un ?

– Non ! Pire !... J'ai refusé de coucher avec le Roi.

Les sourcils du courtisan se haussèrent d'étonnement.

– Pourquoi ?

– Par amitié pour votre chère sœur, Mme de Montespan.

Le carafon en main, Vivonne la regarda interdit. Puis son visage se détendit et il éclata de rire. Il se versa un verre et vint s'asseoir à ses côtés.

– Je crois que vous vous payez ma tête.

– Un peu... Mais pas autant que vous le pensez.

Elle continuait à lui adresser un demi-sourire timide. Ses paupières, alourdies encore de sommeil, battaient lentement sur son regard vert et par instants elle fermait les yeux laissant ses cils projeter leur ombre sur ses joues lisses.

– J'étais si lasse, soupira-t-elle. J'avais marché dans cette ville des heures entières, je m'étais égarée... Ici, je me suis trouvée comme dans un refuge. Pardonnez-moi. J'avoue que j'ai été très indiscrète. Je me suis baignée dans votre salle de bains et j'ai pris ce peignoir dans votre garde-robe.

Elle désigna la mousseline drapée autour de son corps nu. À des reflets plus rosés on devinait la ligne des cuisses et des hanches sous la blancheur vaporeuse. Vivonne regarda le peignoir et détourna les yeux. Il avala d'un seul coup un verre d'alcool.

– Une bougrement sale histoire ! grommela-t-il. Le Roi vous recherche et on va m'accuser d'être votre complice.

– Monsieur de Vivonne, protesta Angélique en se cabrant, seriez-vous sot ? Je vous croyais plus attaché à la fortune de votre sœur... dont dépend un peu la vôtre. Souhaiteriez-vous vraiment me voir tomber dans les bras du Roi et Athénaïs disgraciée ?

– Non, certes, bafouilla le pauvre Vivonne débordé par cette situation cornélienne, mais je ne voudrais pas non plus déplaire à Sa Majesté... Libre à vous de lui refuser vos faveurs... Mais pourquoi êtes-vous à Marseille ?... et chez moi ?...

Elle posa doucement la main sur la sienne.

– Parce que je voudrais aller à Candie.

– Hein ?

Il sauta en l'air et se leva comme si une mouche l'avait piqué.

– Vous partez demain, n'est-ce pas ? insista Angélique. Emmenez-moi.

– De plus en plus fort ! Je crois que vous perdez la raison. À Candie ! Vraiment ! Savez-vous seulement où cela se trouve ?

– Et vous ? Savez-vous seulement que je suis consul de Candie ? J'y ai des affaires très importantes et le moment m'a semblé opportun pour aller les surveiller, tout en laissant à l'impatience du Roi le temps de se calmer. N'est-ce pas une excellente idée ?

– C'est de l'inconscience !... Candie !...

Il leva les yeux au ciel, renonçant à lui faire mesurer sa folie.

– Oui, oui, je sais, dit Angélique, le harem du Grand Turc, les Barbaresques, les pirates, etc... Mais, précisément, avec vous, je ne craindrai rien. Escortée par l'escadre royale française, que pourrait-il m'arriver ?

– Chère madame, déclara Vivonne solennel, j'ai toujours eu pour vous infiniment de respect...

– Trop peut-être, glissa-t-elle avec un sourire enjôleur.