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Elle avait mis dans ces derniers mots une intonation un peu méprisante qui cingla le gentilhomme ; il devint rouge jusqu'à la racine des cheveux et protesta avec hauteur.

– Croyez-vous que je sois un lâche, un valet ?

– Je ne l'ai jamais cru.

– La question n'est pas là, reprit le jeune amiral d'un ton sévère. Vous oubliez un peu trop facilement, madame, que je suis chef d'escadre, et que la mission pour laquelle la flotte royale prend la mer demain est une mission militaire, c'est-à-dire dangereuse. Je suis chargé de maintenir la police au nom du roi de France, dans cette pétaudière de la Méditerranée. Mes consignes sont intransigeantes : Pas de passagers, encore moins de passagères.

– Monsieur de Vivonne...

– NON ! tonna-t-il, apprenez que je suis maître à bord et que je sais ce que j'ai à faire. Une croisière en Méditerranée n'est pas une promenade sur le grand canal. Je sais l'importance du rôle dont je suis chargé et je reste convaincu qu'à ma place le Roi lui-même parlerait et agirait comme je le fais.

– Croyez-vous ?... Je suis persuadée, au contraire, que le Roi ne ferait pas fi de ce que je vous offre.

Elle avait parlé avec gravité. Vivonne changea à nouveau de couleur, et ses tempes battirent violemment. Il la fixa d'un air hagard, interrogateur. Pendant une minute interminable il lui sembla que toute la vie s'était réfugiée en la lente et douce palpitation de ces seins de femme au bord du décolleté de dentelle.

La surprise le figeait. Mme du Plessis passait pour hautaine, difficile à émouvoir et elle-même se reconnaissait capricieuse. Courtisan dans l'âme, il ne lui était pas venu à l'esprit qu'on pût lui offrir ce qu'on refusait au Roi.

Il se sentit les lèvres soudain sèches, avala d'un trait son verre et le reposa avec précaution sur la tablette du secrétaire, comme s'il eût craint de le laisser échapper.

– Entendons-nous bien... dit-il.

– Mais... je crois que nous nous entendons très bien, murmura Angélique.

Elle le regardait dans les yeux, avec une moue légère.

Fasciné, il fit quelques pas et tomba à genoux près du divan. Ses bras se jetèrent autour de la taille fine. Avec un geste d'hommage et de passion, il inclina la tête et colla ses lèvres à la chair satinée du décolleté, à la naissance des seins et demeura là, penché sur ce mystère d'ombre d'où s'exhalait un parfum capiteux, le parfum d'Angélique.

Elle n'avait marqué aucun recul, à peine un imperceptible mouvement du buste, tandis que ses belles paupières voilaient un instant l'éclat de son regard. Puis il sentit qu'elle se cambrait, s'offrant à la caresse. Une folie le prit, une faim de cette chair ambrée, drue, résistante, et cependant d'un grain serré de porcelaine fragile. Ses lèvres la parcouraient avidement. Il se haussa, l'étreignant, cherchant la rondeur lisse de l'épaule, le creux du cou dont la tiédeur le fit défaillir. Le bras d'Angélique revint vers lui, emprisonnant la tête masculine contre elle, tandis qu'elle posait doucement sa main sur sa joue et le forçait à la regarder. Les prunelles d'émeraude, assombries d'un reflet glauque se heurtèrent aux prunelles bleues et dures des Mortemart pour une fois vaincues. Dans un éclair, Vivonne eut encore le temps de penser qu'il n'avait jamais vu une créature pareille, éprouvé un si foudroyant plaisir.

– M'emmènerez-vous à Candie ? demanda-t-elle.

– Je crois... Je crois que je ne pourrai faire autrement, répondit-il d'une voix rauque.

Chapitre 8

À cet amant de passage, Angélique sut dispenser toute sa science. Elle s'était juré de se l'attacher et le gentilhomme, viveur blasé, n'était pas de ceux qu'une étreinte passive eût contenté.

Tour à tour câline, rieuse et soudain comme inquiète, un peu farouche, elle s'abandonnait, puis devant une exigence nouvelle, se dérobait, et il devait la supplier tout bas, la convaincre, mourant d'impatience.

– Est-ce sage ? disait-elle.

– Pourquoi serions-nous sages ?

– Je ne sais pas... Nous ne nous connaissions pas hier... à peine.

– C'est faux. Je vous ai toujours admirée, adorée en silence.

– Moi, j'avoue que je vous trouvais seulement amusant. C'est comme si ce soir je vous voyais pour la première fois. Vous êtes beaucoup plus... troublant que je ne croyais. Vous me faites un peu peur.

– Peur ?

– Ces cruels Mortemart ! On dit tant de choses sur eux.

– Sottises !... Oubliez vos méfiances... Chérie !...

– Non... Monsieur le duc, oh ! laissez-moi respirer, de grâce. Écoutez. J'ai pour principe qu'il y a des choses qu'on ne peut faire qu'avec un amant de très, très longue date.

– Vous êtes adorable ! Mais je me chargerai bien de vous faire renier vos principes... Ne m'en croyez-vous pas capable ?

– Peut-être... Je ne sais plus.

Ils chuchotaient passionnément, dans la pénombre où tressautaient les dernières lueurs d'une chandelle et Angélique se laissait prendre au jeu terrible et doux et se mettait à trembler sans feinte entre les bras solides qui la ployaient et l'asservissaient. L'ombre qui les enveloppa, après un dernier sursaut de la flamme, parut l'entraîner dans son flot complice. Et elle se laissa glisser, aveugle et consentante dans le gouffre, toujours surprenant et nouveau pour elle, de la volupté. L'oubli de tout la fit sincère dans ses soupirs, dans son combat heureux et vaillant, la rendit émouvante dans les aveux et les plaintes qu'arrachait d'elle le plaisir. Il s'endormit en l'étreignant. Mais malgré sa lassitude et le languissant vertige qui l'entraînait comme en eau profonde, elle refusa le sommeil. L'aube n'était pas loin et elle voulait être éveillée lorsqu'il ouvrirait les yeux. Elle se méfiait des promesses des hommes lorsque leur désir est apaisé.

Elle resta les yeux ouverts, fixés sur l'écran bleu de la nuit qui s'inscrivait par la fenêtre et d'où venait le traînement sourd de la mer sur une grève. Machinalement, sa main caressait le corps musclé de l'homme endormi, retrouvant d'anciennes tendresses inachevées qu'elle avait rêvées jadis près de Philippe.

*****

Le jour se pressentit à une clarté grise moirée de mauve comme la gorge d'une tourterelle, qui doucement vira au blanc puis au vert pâle avec des délicatesses de nacre. On gratta à la porte.

– Monsieur l'Amiral, c'est l'heure, disait le valet.

Vivonne se redressa avec la promptitude de l'homme de guerre habitué aux alertes.

– C'est toi, Giuseppe ?

– Oui, monsieur le Duc. Dois-je entrer pour vous aider à vous habiller ?

– Non, je m'arrangerai. Dis seulement à mon Turc de me préparer du café.

Il adressa un sourire complice à Angélique tandis qu'il ajouta à l'adresse du domestique :

– Tu lui diras de mettre deux tasses et des pâtisseries. Le valet s'éloigna.

Angélique répondit au sourire de Vivonne. Elle posa sa main sur la joue de son amant.

– Comme tu es beau ! dit-elle.

Le tutoiement emplit le gentilhomme d'une exaltation proche du délire. Elle l'avait refusé au Roi ! Il attrapa au vol la main fine, la baisa.

– Tu es belle, toi aussi. Je crois rêver !

Dans le demi-jour, enveloppée de ses longs cheveux, elle semblait presque enfantine.

– M'emmèneras-tu à Candie ? murmura-t-elle.

Il sursauta.

– Certes ! Me crois-tu assez goujat pour ne pas tenir mes promesses lorsque tu as si merveilleusement tenu les tiennes ? Mais il faut faire vite car nous devons appareiller dans l'heure suivante. As-tu des bagages ? Où dois-je les faire chercher ?

– Un petit laquais doit m'attendre près du môle avec mon sac. Pour l'instant je vais puiser dans cette garde-robe si bien garnie de tout ce qui peut plaire à une dame. Sont-ce les atours de ta femme ?