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Il la prit par le menton et la contraignit à le regarder en face.

– J'aurais pu refuser cette mission, encore que le Roi me la confiait à cause de ma réputation. Il n'ignorait pas que pour vous retenir si vous vous étiez mis en tête de vous enfuir, ce n'était pas trop que mobiliser les meilleurs policiers de Paris. J'aurais pu refuser, mais il m'a parlé de vous avec anxiété, inquiétude, d'homme à homme... Et moi-même, j'étais comme je vous l'ai déjà dit décidé à mettre tout en œuvre pour vous empêcher de détruire une fois de plus votre existence.

Ses traits s'adoucirent et une tendresse profonde bouleversa son regard tandis qu'il contemplait le petit visage fermé retenu de force entre ses mains.

– Folle ! chère folle, murmura-t-il. N'en veuillez pas à votre ami Desgrez. Je veux vous épargner de vous lancer dans une aventure désastreuse, dangereuse. Vous risquez de tout perdre, de ne rien gagner. Et la colère du Roi sera terrible. On ne peut le braver au-delà d'une certaine mesure. Écoutez, petite Angélique,... pauvre petite Angélique...

Jamais il ne lui avait parlé avec une telle gentillesse, comme à une enfant qu'il faut à tout prix défendre contre elle-même, et elle avait envie d'appuyer son front sur son épaule et de pleurer tout bas.

– Promettez-moi, dit-il, promettez-moi de vous tenir tranquille et de mon côté je vous promets de tout mettre en œuvre pour vous aider dans vos recherches... Mais promettez-moi !

Elle secoua la tête. Elle avait envie de céder, mais elle se méfiait du Roi, elle se méfiait de Desgrez. Ils chercheraient toujours à l'emprisonner, à la retenir. Ils auraient voulu qu'elle oublie et qu'elle consente. Et elle se méfiait d'elle-même aussi, d'une certaine lâcheté, d'une certaine lassitude qui un jour lui ferait dire : À quoi bon ? Le Roi reviendrait la supplier. Elle était seule, entièrement seule et désarmée en face des forces liguées pour l'empêcher de rejoindre son amour.

– Promettez-moi, insistait Desgrez.

Elle eut à nouveau un signe négatif.

– Tête de mule ! fit-il en la lâchant avec un soupir. C'est donc désormais à qui de nous deux sera le plus fort. Eh bien ! entendu. Bonne chance, Marquise des Anges.

Angélique chercha un peu de sommeil, malgré l'aube qui blanchissait les vitres. Elle ne put s'endormir complètement et demeura dans une sorte d'état second, le corps engourdi mais l'esprit travaillant activement. Elle essayait de suivre l'odyssée mystérieuse du vagabond lépreux, imaginant la personnalité de son mari derrière cet être solitaire et rebutant qu'on avait vu clopiner sur les routes d'Ile-de-France, remontant vers Paris. Ce dernier détail aurait dû, à lui seul, condamner toutes les illusions. Comment un prisonnier évadé, au signalement précis et se sachant poursuivi, aurait-il eu l'audace de retourner vers Paris, ce guêpier ? Joffrey de Peyrac n'aurait pas été assez dément pour commettre cette folie. Ou plutôt, si ! Angélique se disait, à la réflexion, que cela lui ressemblait. Elle essayait de deviner sa pensée. Serait-il revenu à Paris pour la chercher ?... Mais quelle audace ! À Paris, la grande ville qui l'avait condamné, il ne trouverait plus ni ami, ni demeure... Sa demeure du quartier Saint-Paul était scellée, ce bel hôtel du Beautreillis qu'il avait fait construire en l'honneur d'Angélique. Elle se souvenait des fréquents voyages qu'il avait faits alors du Languedoc vers la capitale pour surveiller lui-même les travaux. Joffrey de Peyrac, proscrit, aurait-il songé à se réfugier en cette demeure ? Démuni de tout, peut-être avait-il conçu le projet de venir chercher l'or et les bijoux qu'il avait dissimulés dans des cachettes connues de lui seul ? Plus elle réfléchissait, plus cela lui paraissait évident. Joffrey de Peyrac était bien capable de risquer le pire pour rentrer en possession de quelques richesses. Avec de l'or et de l'argent, il pourrait se sauver, tandis que nu et misérable il était condamné à errer sans recours. Les paysans lui jetteraient des pierres, un jour ou l'autre on le livrerait. Tandis qu'avec une seule poignée d'or il gagnerait sa liberté ! Et il savait où trouver cet or. Dans son hôtel du Beautreillis, dont il connaissait les moindres recoins.

Angélique croyait l'entendre, suivait son raisonnement, reconnaissait son argumentation familière un peu méprisante. « L'or peut tout », disait-il. Ce principe avait été mis en échec par l'ambition d'un jeune roi, plus forte que la cupidité. Mais la règle restait commune. Avec un peu d'or, le malheureux cessait d'être désarmé. Il était revenu vers Paris. Il était venu ici : elle en était sûre maintenant. C'était plausible. À l'époque, le Roi n'avait pas encore fait main basse sur tout. Il n'avait pas encore offert l'hôtel au prince de Condé. L'hôtel était désert, demeure maudite, avec des sceaux de cire en travers de sa porte et gardé par un seul portier terrorisé et un vieux valet basque qui n'avait su où aller. Le cœur d'Angélique se mit à battre à coups irréguliers. Tout à coup,... elle tenait le fil de la certitude. « Moi je l'ai vu... Oui je l'ai revu, le comte maudit, dans la galerie du bas... Je l'ai vu. C'était une nuit peu après le bûcher. J'ai entendu du bruit dans la galerie et j'ai reconnu son pas... »

Le vieux valet basque parlait ainsi, appuyé à la margelle du puits moyenâgeux, au fond du jardin, un soir où elle l'avait rencontré alors qu'elle venait de prendre possession de l'hôtel du Beautreillis.

– « Qui ne reconnaîtrait son pas ?... Le pas du Grand Boiteux du Languedoc !... J'ai allumé ma lanterne et quand je suis arrivé au tournant de la galerie, je l'ai vu. Il s'appuyait à la porte de la chapelle et se tournait vers moi... Je l'ai reconnu, comme un chien reconnaît son maître mais je n'ai pas vu son visage. Il portait un masque... Tout à coup, il s'est enfoncé dans le mur et je ne l'ai plus vu... »

Angélique s'était enfuie, terrorisée, refusant d'écouter les divagations de ce pauvre vieux presque innocent, qui croyait avoir vu un fantôme...

*****

Elle se dressa sur son lit et agita violemment sa sonnette. Janine se présenta. C'était une fille rousse et maniérée, qui avait remplacé Thérèse. Elle renifla d'un air pincé et surpris les relents de tabagie qu'avait laissés Desgrez dans l'appartement et s'informa de ce que désirait Mme la marquise.

– Va me chercher tout de suite le vieux valet... Comment s'appelle-t-il ? Ah oui. Pascalou. « Grand-père Pascalou ».

La servante haussa ses sourcils pâles d'un air étonné.

– Tu sais bien, voyons, insista Angélique, un très vieux, qui tire les seaux d'eau au puits et porte les bûches pour les feux...

Janine eut l'expression résignée de quelqu'un qui ne comprend pas mais qui va s'informer. Elle revint quelques instants plus tard en annonçant que le grand-père Pascalou était mort depuis deux ans.

– Mort ? répéta Angélique, atterrée. Mort ! Oh ! mon Dieu ! C'est terrible !

Janine trouvait que sa maîtresse se montrait bien bouleversée subitement pour un événement qui, deux ans auparavant, lui était passé inaperçu. Angélique la retint pour s'habiller. Elle se laissa revêtir machinalement. Ainsi le pauvre homme était mort, emportant son secret. Elle était à la Cour à cette époque et ne s'était même pas trouvée présente pour tenir la main du fidèle serviteur, à sa dernière heure. Elle payait chèrement d'avoir manqué à ce devoir. Les paroles entendues jadis restaient gravées dans sa mémoire en lettres de feu.

« Il s'appuyait à la porte de la chapelle... »

Elle descendit, suivit la galerie aux arceaux gracieux que pastellisait le reflet des vitraux et ouvrit la porte de la chapelle. C'était plutôt un oratoire, avec deux prie-Dieu en cuir de Cordoue, un petit autel de marbre vert que surmontait un magnifique tableau d'un peintre espagnol. Une odeur de cierge et d'encens y régnait. Angélique savait que lorsqu'il était présent à Paris, l'abbé de Lesdiguières y célébrait sa messe. Elle s'agenouilla.