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– Oh ! mon Dieu, dit-elle à voix haute, j'ai commis bien des fautes, mon Dieu, mais je vous en supplie, je vous en supplie...

Elle ne savait plus dire autre chose.

Il était venu là une nuit. Comment avait-il pénétré dans cet hôtel ? Comment avait-il pénétré dans Paris ? Que venait-il chercher dans cet oratoire ? Les yeux d'Angélique firent le tour du petit sanctuaire. Tous les objets qui s'y trouvaient dataient du comte de Peyrac. Le prince de Condé n'y avait pas touché. À part l'abbé de Lesdiguières et un petit laquais qui lui servait d'enfant de chœur et faisait le ménage, peu de gens y pénétraient.

S'il y avait une cachette dans cet oratoire, le secret pouvait s'en être conservé assez facilement... Angélique se leva et se mit à chercher minutieusement. Elle explora le marbre du maître-autel, introduisant l'ongle dans chaque fissure, dans l'espoir d'y déclencher un mécanisme secret. Elle étudia chaque motif des bas-reliefs. Elle frappa avec patience les carreaux d'émail du dallage puis les boiseries qui recouvraient les murs. Sa patience fut récompensée. Vers la fin de la matinée, il lui parut qu'un emplacement du mur derrière l'autel rendait un son creux. Alors elle alluma un cierge, approcha la flamme. Habilement dissimulée dans le dessin d'une moulure, elle distingua les traces d'une serrure. C'était là !

Fébrilement, elle s'évertua à trouver le secret pour l'ouvrir mais dut y renoncer. En s'aidant d'un couteau et d'une clef pris parmi les bibelots de sa ceinture, elle parvint à faire craquer le bois précieux. Elle passa la main à l'intérieur et trouva un loquet, qu'elle fit sauter. La petite porte de la cachette s'ouvrit en grinçant. À l'intérieur, dans une excavation, elle aperçut une cassette. Point ne fut besoin d'ouvrir celle-ci. On avait déjà forcé sa serrure. La cassette était vide...

Angélique serra sur son cœur le coffret poussiéreux.

– Il est venu ! Il a pris ici l'or et les bijoux qu'il savait y trouver. Dieu l'a conduit ! Dieu l'a préservé.

Mais ensuite ?...

Riche de la petite fortune qu'il avait retrouvée au péril de sa vie dans son propre hôtel condamné, qu'était devenu le comte de Peyrac ?...

Chapitre 3

Lorsqu'elle voulut se rendre à Saint-Cloud pour y chercher Florimond, Angélique comprit que les avertissements de Desgrez n'étaient pas des plaisanteries. Elle dédaigna, en montant dans son carrosse, la présence de « l'admirateur » dont le visage rougeoyait sous ses fenêtres depuis trois jours. Elle ne prit pas garde aux deux cavaliers qui, surgis d'un cabaret voisin, s'élancèrent sur ses traces à travers les rues. Mais à peine avait-elle franchi la porte Saint-Honoré qu'un groupe d'hommes du guet armés entoura sa voiture, tandis qu'un jeune officier la priait fort poliment de rentrer dans Paris.

– Ordre du Roi, madame !

Elle protesta. Il dut lui présenter la lettre contresignée par le Préfet de Police, M. de La Reynie, qui recommandait de ne pas laisser Mme du Plessis-Bellière sortir de la ville.

« Et quand on pense que c'est Desgrez qui a été chargé d'appliquer cette sanction ! » songea-t-elle. « Il aurait pu m'aider mais maintenant il ne le fera pas ! Il me donnera tous les renseignements possibles sur l'ancienne affaire de mon mari, tous les conseils, mais il mettra aussi tout en œuvre pour obéir aux ordres du Roi. »

Elle serrait les dents et les poings, après avoir donné l'ordre au cocher de faire tourner les chevaux. La contrainte exaspérait son instinct combatif. Joffrey de Peyrac, perclus et traqué, avait réussi jadis à entrer dans Paris. Elle réussirait bien, elle, à en sortir aujourd'hui !... Elle envoya un messager à Saint-Cloud. Peu après Florimond arriva, flanqué de son précepteur. Celui-ci dit que, selon les instructions de Mme du Plessis, il avait commencé des pourparlers pour vendre la charge de Florimond. M. de Loane était preneur pour son neveu. Il offrait bon prix. « Nous verrons cela », dit Angélique. Elle ne voulait pas s'éloigner et s'attirer la colère du roi sans avoir pris toutes les précautions pour ses enfants.

– Pourquoi dois-je revendre ma charge ? demandait Florimond. M'avez-vous trouvé meilleur emploi ? Vais-je retourner à Versailles ? J'étais bien en place à Saint-Cloud, Monsieur1 avait remarqué mon zèle.

Poussant des cris de joie, Charles-Henri accourait. Il adorait son frère aîné et celui-ci le lui rendait bien. Chaque fois qu'il venait à Paris, il prenait en charge le petit, le faisait galoper sur ses épaules, lui mettait en main son épée. Derechef, Florimond s'extasia sur la beauté de Charles-Henri.

– Maman, n'est-ce pas le plus bel enfant du monde ? Il mériterait d'être dauphin à la place du vrai, qui est si balourd.

– Ne parlez pas ainsi, Florimond, recommanda l'abbé de Lesdiguières.

Angélique détourna les yeux du tableau que formaient ses deux fils. Charles-Henri, blond, rose et rond, levant ses yeux d'azur vers les douze années du brun Florimond. Elle éprouvait un sentiment mitigé de regrets et d'impuissance lorsque son regard tombait sur la tête bouclée du fils de Philippe. Pourquoi avait-elle fait ce mariage ? Joffrey de Peyrac avait envoyé un émissaire pour la rechercher et il avait appris qu'elle s'était remariée. C'était une situation épouvantable et sans issue. Dieu ne devrait pas laisser faire des choses pareilles !

*****

Elle cacha soigneusement ses préparatifs de départ. Elle enverrait Charles-Henri avec Barbe et ses domestiques au Plessis, dans le Poitou. Le Roi n'oserait, même dans sa colère, s'attaquer à l'enfant et aux biens du Maréchal. Pour Florimond, elle avait d'autres projets, plus secrets.

« Le Roi m'en voudra-t-il tant ? se disait-elle pour se rassurer. Oui, parce que je lui aurai désobéi. Mais pourra-t-il bien longtemps me reprocher un simple voyage à Marseille ? Je reviendrai... »

Afin d'égarer les soupçons et de donner des gages apparents de sa docilité, elle demanda son frère Gontran. Enfin, elle trouvait le temps de faire faire le portrait de ses enfants. Tandis qu'elle se penchait sur des comptes fastidieux afin de laisser toutes ses affaires en ordre, elle entendait Florimond inventer mille folies pour obtenir la tranquillité du benjamin.

– Petit ange au sourire de chérubin, vous êtes mignon. Petit gourmand gras comme un chanoine, vous êtes mignon, récitait-il, parodiant des litanies des Saints.

Et la voix de l'abbé de Lesdiguières :

– Florimond, vous ne devriez pas plaisanter de ces choses. Il y a en vous un tour d'esprit libertin qui m'inquiète.

Florimond, indifférent, chantonnait :

– Petit mouton frisé qui broute des bonbons, vous êtes mignon... Charles-Henri riait à pleine gorge. Gontran grognait, à son habitude et, sur la toile, naissaient ces têtes brune et blonde des fils d'Angélique. Florimond de Peyrac, Charles-Henri du Plessis-Bellière, en qui elle reconnaissait le reflet des deux hommes qu'elle avait aimés.

Florimond, léger comme un papillon, n'en pensait pas moins. Il vint trouver Angélique, un soir, devant le feu.

– Ma mère, demanda-t-il à brûle-pourpoint, que se passe-t-il ? Vous n'êtes donc point la maîtresse du Roi, que celui-ci semble vous tenir en pénitence à Paris ?

– Florimond, s'écria Angélique offusquée, de quoi te mêles-tu ? Florimond connaissait la fougue de sa mère et veillait à ne pas la heurter de front. Il s'assit à ses pieds sur un petit tabouret et leva sur elle son regard sombre et brillant dont il connaissait la séduction.

– N'êtes-vous pas la maîtresse du Roi ? répéta-t-il avec un sourire suave.

Angélique se demanda si elle allait clore le débat d'une gifle bien appliquée mais elle se retint à temps. Florimond ne pensait pas à mal. Il s'interrogeait au même titre que toute la Cour depuis le premier gentilhomme au dernier des pages, sur l'issue du duel qui opposait Mme de Montespan et Mme du Plessis-Bellière. Et cette dernière étant sa mère, il s'y intéressait particulièrement, car les bruits de la faveur royale l'avaient mis en posture avantageuse près de ses camarades. Les courtisans en herbe, déjà stylés et intrigants, recherchaient ses bonnes grâces.