Émerveillé, il s'extasia.
– C'est ma foi vrai que tu aimes l'amour !... Je n'aurais pas cru.
– Je t'aime aussi, Colin.
– Chut ! Faut pas dire ces mots-là... Pas encore. Tu te sens bien maintenant ?
– Oui.
– C'est vrai, que je t'ai donné du plaisir ?
– Oh ! oui, tellement.
– Dors, mon agneau.
*****
Privés de tout ils jouissaient, en affamés, de s'aimer. L'élan qui les poussait à s'unir était aussi puissant que celui qui les aurait portés vers une source pour y puiser la force de survivre. L'oubli de toutes les douleurs et la revanche sur le sort jaillissaient de leurs étreintes, les emportaient sur les eaux vives de l'espérance et ils goûtaient sur les lèvres l'un de l'autre la sublime découverte que l'amour a été créé pour la consolation du premier homme et de la première femme et pour leur donner le courage de mener à bien leur dur pèlerinage terrestre. Jamais Angélique n'avait été dans les bras d'un homme aussi grand et fortement bâti. Elle aimait s'asseoir sur ses genoux, se blottir contre cette massive charpente et tandis que ses mains puissantes la caressaient, ils s'embrassaient, les yeux baissés, longtemps, religieusement.
– Te souviens-tu de ce que j'avais ordonné aux pauvres compagnons ? murmurait-il :
« Elle n'est pour aucun de vous et elle n'appartiendra à aucun... » Et voilà que je t'ai prise et que tu es mon trésor. Je suis un parjure !...
– C'est moi qui t'ai voulu.
– J'avais dit cela pour me défendre contre toi. Déjà de t'avoir tenue dans mes bras dans le jardin de Rodani, j'avais le sang qui bouillait. Alors j'ai posé des barrières. Comme cela, je me disais : « Colin, tu seras bien forcé de tenir le coup... »
– Tu avais l'air si sévère, si rude.
– Toi, tu ne disais rien, jamais. Tu as tout subi avec humilité et comme en t'excusant d'être là. Je sais toutes les fois où tu as eu peur, où tu n'en pouvais plus. Déjà, j'aurais voulu te porter. Mais il y avait le pacte avec les camarades.
– C'était mieux ainsi. C'était vous qui aviez raison, Majesté.
– Quelquefois, quand on t'observait, tu souriais. C'est ton sourire qui est le plus beau de tout ce que j'aime en toi. Tu m'as souri lorsque le serpent t'avait piquée et que tu m'attendais sur le chemin... Comme si tu avais eu peur de moi, plus encore que de la mort... Bon Dieu ! Je ne savais pas ce qu'était la douleur avant cet instant où j'ai cru que tu étais perdue. Si tu étais morte, je me serais étendu à tes côtés et je ne me serais jamais relevé !
– Ne m'aime pas si fort, Colin, ne m'aime pas si fort ! Mais embrasse-moi encore.
Chapitre 9
Pas par pas, caillou après caillou, ils avançaient. Le Rif autour d'eux avait changé. Les cèdres avaient disparu et les pentes d'herbe verte. Avec leur disparition, le gibier s'était fait rare et les sources aussi. La faim et la soif avaient recommencé à tenailler les fugitifs. Cependant, la jambe d'Angélique était guérie et elle avait fini par convaincre son compagnon de la laisser marcher un peu. Avançant tranquillement, ils allaient de jour et de nuit, par petites étapes, gravissant lentement les défilés et les cols, entre les falaises sombres et les broussailles monotones.
Angélique n'osait plus demander s'ils étaient encore loin du but. Celui-ci semblait reculer indéfiniment avec l'écran roux des montagnes. Il fallait marcher, marcher encore !
Angélique s'arrêta.
« Cette fois, je vais mourir », se dit-elle.
Sa faiblesse s'éleva en elle, devint immense. Dans ses oreilles naissait un bourdonnement confus, un carillon d'église et ce signe prémonitoire l'emplit d'effroi.
– Cette fois, c'est la mort...
Elle tomba à genoux en poussant un faible cri. Colin Paturel qui était déjà presque au sommet d'une falaise dont l'arête se dessinait durement sur le ciel implacable, redescendit vers elle.
Il s'agenouilla, la releva contre lui. Elle sanglotait sans larmes.
– Qu'y a-t-il, ma douce ? Allons, encore un peu de courage...
Il caressait sa joue et baisait ses lèvres desséchées comme pour y insuffler son inépuisable force.
– Relève-toi, je vais te porter un peu.
Mais elle secouait la tête, désespérée.
– Oh ! non, Colin... Cette fois c'est trop tard. Je vais mourir. J'entends déjà des cloches d'églises qui sonnent mon glas.
– Fariboles que tout cela ! Reprends courage. Au delà de cette falaise...
Il s'arrêta, l'œil vaguement fixe devant lui, attentif.
– Qu'y a-t-il Colin ? Les Maures ?
– Non, mais il y a que... moi aussi j'entends...
Il se dressa brusquement et cria d'une voix étranglée :
– J'ENTENDS LES CLOCHES !...
Comme un fou, il se mit à courir vers le sommet de la falaise. Elle le vit agiter les bras et hurler quelque chose qu'elle n'entendit pas. Mais oubliant toute fatigue et sans souci des pierres aiguës qui la blessaient, elle se redressa et se hâta.
– La mer ! ! !
C'était cela que criait le Normand. Comme elle arrivait, il la happa par le bras, la jeta contre lui, la serrant éperdument et ils restèrent là éblouis, n'en pouvant croire leurs yeux. Devant eux la mer s'étendait, blonde et ourlée de vagues dorées et sur la gauche une ville hérissée de clochers, bien close dans ses remparts.
CEUTA ! Ceuta-la-Catholique. C'étaient les cloches de la cathédrale Saint-Ange, sonnant l'Angélus du soir qu'ils avaient entendues et prises pour une hallucination de leur esprit épuisé.
– Ceuta ! murmura le Normand, Ceuta !
Puis il se ressaisit, retrouva sa pensée prudente et soupçonneuse. Car Ceuta, c'était aussi la ville assiégée par les Maures !... Un lointain coup de canon fit résonner les contreforts du mont Acho et un nuage de fumée fleurit au bord des remparts pour s'évaporer doucement dans le crépuscule paisible.
– Allons par là, marmonna Colin Paturel en ramenant sa compagne à l'abri des rochers.
Tandis qu'elle se reposait, il se glissa en rampant le long de la crête. Il revint, ayant aperçu le camp des Maures et ses mille tentes dressées, surmontées d'oriflammes vertes, juste au pied de la falaise. Peu s'en eût fallu que dans leur marche hasardeuse, ils ne tombassent d'emblée sur les sentinelles. Il fallait maintenant attendre la nuit. Il avait un plan ! Avant le lever de la lune, ils se glisseraient au bas de la montagne et gagneraient la plage. De rocher en rocher ils essaieraient d'atteindre l'isthme sur lequel était construit la ville, ils ramperaient jusqu'au pied de la muraille et chercheraient à se faire reconnaître des sentinelles espagnoles. Quand l'obscurité fut assez profonde, ils laissèrent là armes et bagages et descendirent, retenant leur souffle, craignant jusqu'à la chute d'un caillou. Comme ils atteignaient la plage, ils entendirent des chevaux marchant au pas. Trois Arabes passèrent, regagnant le camp. Par chance, leurs féroces lévriers ne les accompagnaient pas. Dès qu'ils se furent éloignés, Colin Paturel et Angélique traversèrent la plage en courant et se jetèrent dans les rochers du rivage. À demi plongés dans l'eau, ils commencèrent à s'avancer d'une anfractuosité à l'autre. Ils tâtonnaient, s'écorchant aux aspérités des coquillages, de temps à autre trébuchant dans un trou d'eau, se hissant de nouveau tout en prenant garde de ne pas se redresser, car peu à peu la clarté de la lune s'était répandue alentour. La masse haute de la ville semblait proche avec ses créneaux ourlés d'argent, ses dômes et ses clochers dressés sur le ciel étoilé.
La vision à laquelle ils avaient tant rêvé décuplait leur courage. Ils n'étaient plus loin de la première tour, bâtie en avancée fortifiée, lorsque des bruits de voix arabes, se mêlant au souffle léger du ressac, les immobilisèrent, collés à la roche visqueuse, essayant de faire corps avec elle. Un groupe de cavaliers maures apparut. Leurs casques pointus brillaient au clair de lune. Ils mirent pied à terre et s'installèrent sur la plage où ils allumèrent un grand feu.