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Desjani fit la grimace. « En ne faisant que le strict nécessaire et en laissant le reste aux commandants de vaisseau, il faut croire. Et les systèmes d’assistance à votre disposition sont très efficaces. » Elle vérifia l’heure et parut s’alarmer. « Capitaine Geary, avec votre permission, je dois vraiment regagner la passerelle.

— Permission accordée. » Desjani s’éloignait déjà en toute hâte que le bras de Geary frémissait encore en prévision d’une réponse à un salut qui ne vint jamais. Vais-je m’y faire ou faudra-t-il que je change leurs méthodes ? Il jeta un coup d’œil vers le fusilier spatial toujours au garde-à-vous, tout près, devant l’entrée de la salle de conférence. « Merci. » L’homme se fendit d’un salut aussi raide que correct, que Geary lui retourna.

Il s’apprêtait à suivre Desjani, conscient qu’il aurait dû lui aussi se trouver sur la passerelle, quand il sentit ses jambes flageoler comme si toute force s’en était de nouveau retirée. Il tendit le bras pour s’appuyer à la cloison et, quand il fut certain d’avoir recouvré la stabilité, entreprit de regagner à petits pas sa cabine.

Il se laissa tomber avec soulagement dans un fauteuil, en respirant pesamment. Je ne peux pas me le permettre maintenant. Il y a trop à faire. Il fouilla dans un tiroir, en retira un kit médical contenant, selon l’estimation approximative des médecins de la flotte, ce qu’il lui fallait pour aller de l’avant. On m’a dit que cette substance ne m’empêcherait pas de réfléchir. Mais qu’arrivera-t-il si c’est le cas ? Il faut pourtant bien que je me l’administre, sinon je ne serai plus en mesure de faire mon boulot.

Je dois absolument cesser de me fourrer dans des situations où toutes les issues sont virtuellement bouchées. Il plaqua le kit contre son bras et sentit le léger picotement signalant qu’il opérait. Il faudrait un certain temps pour qu’il en ressente l’effet, aussi activa-t-il les systèmes d’assistance dont lui avait parlé Desjani.

Un message du commandant Cresida du Furieux s’afficha aussitôt. Il contenait le projet promis de repositionnement des vaisseaux de la flotte en vue d’une fuite éperdue vers le point de saut. Geary l’étudia aussi attentivement qu’il le put ; il sentait la pression du temps peser sur lui. Moins d’une demi-heure, peut-être, avant que les Syndics n’entrent en action. Et sans doute un peu moins s’ils avaient menti sur la durée du délai accordé aux commandants de vaisseau pour prendre leur décision. Le plan prévoyait le lancement d’un signal portant le nom de code Ouverture, qui déclencherait le retrait de la flotte vers le point de saut dès que les vaisseaux de l’Alliance seraient en position ou les Syndics passés à l’acte (s’ils s’y décidaient avant).

Il éprouva une poussée de frustration en parcourant la liste des vaisseaux ; il regrettait de n’en pas savoir davantage sur leur mobilité et leurs aptitudes au combat. Numos avait raison : mes connaissances sont dépassées, mais mes ancêtres savent que je reste un meilleur commandant que lui, meilleur qu’il ne le sera jamais. Et, ainsi qu’il l’avait dit à Numos, agir sur-le-champ plutôt que d’attendre était urgent.

Il cocha la case approuvé du projet en marmottant une brève prière et indiqua qu’il devait être transmis à toute la flotte.

Il se leva, éprouva un autre étourdissement et se rassit puis se contraignit à patienter quelques instants. Revenant aux statistiques de la flotte, il se remit à les compulser en s’efforçant d’enregistrer le plus grand nombre de renseignements possibles sur les vaisseaux. Comme il s’en était douté, ils étaient tous neufs ou quasiment. Si leur moyenne d’âge avait bien la signification qu’il pressentait, les pertes avaient dû être effroyables et devaient encore l’être.

Bien sûr, celle d’un vaisseau n’impliquait pas nécessairement celle de tout son équipage, néanmoins, nombre de gens mouraient.

Geary fixa le rebord rugueux de sa table, prenant enfin conscience de ce que ces relevés lui apprenaient. On fabriquait des vaisseaux à la va-vite pour remplacer ceux qui disparaissaient pendant les combats. On instruisait tout aussi rapidement officiers et jeunes recrues pour servir sur ces vaisseaux neufs. Et, tandis que ces équipages inexpérimentés étaient précipités dans la bataille sur ces bâtiments hâtivement conçus, ils continuaient de subir de lourdes pertes et de mourir trop vite pour apprendre. Depuis quand la flotte était-elle aspirée dans cette spirale mortelle ? Pas étonnant qu’ils oublient de saluer. Qu’ils ne sachent plus comment une flotte doit être commandée. Ce sont tous des novices. Des amateurs entre les mains desquels reposent la vie de leurs collègues et le sort de l’Alliance. Serais-je le seul professionnel chevronné de cette flotte ?

Qu’est-il advenu des vaisseaux et des gens que j’ai connus ? Sont-ils tous tombés au combat pendant mon sommeil ?

Préférant n’y plus penser, Geary s’efforça de se concentrer sur les données qui défilaient sous ses yeux, si vite qu’il avait du mal à les suivre avec attention. Il fronça soudain les sourcils, tout juste conscient d’avoir levé un lièvre, et revint en arrière plus attentivement. Là ! Le cuirassé de l’Alliance Riposte, commandant en chef Michael J. Geary. Michael Geary, c’était le nom de mon frère. Mais il doit être mort depuis longtemps et, à ma connaissance, il ne s’est jamais engagé dans la flotte. Pas avant que je ne m’endorme pour un siècle, en tout cas.

Ai-je le temps de poursuivre ? Mais nous allons livrer bataille et, s’il se passe quelque chose, je ne serai peut-être pas prévenu. Il hésita puis tapa un code pour parler avec le commandant du Riposte. Cela prit quelques instants, puis un visage qui, de façon déconcertante, lui sembla presque familier, apparut sur l’écran. « Oui, capitaine ? »

Ni le ton ni l’expression du commandant du Riposte n’étaient très affables, mais Geary ne pouvait s’empêcher de se poser des questions, surtout après avoir vu ce visage. « Excusez-moi, commandant Geary, mais j’aimerais savoir si nous ne serions pas apparentés. »

Le visage de son interlocuteur restait tout aussi dur et inflexible. « Si.

— Comment ? Seriez-vous…

— Votre frère était mon grand-père. »

La glace menaça de nouveau de l’investir. Son frère. Jadis de quelques années son cadet. Geary contemplait un visage trahissant un atavisme que son frère avait légué à son petit-fils ; subitement, sa propre époque lui manqua insupportablement, et pas seulement parce que le commandant du Riposte semblait plus vieux que lui-même de quelques années. Son arrière-petit-neveu avait sans doute dépassé la moyenne en survivant jusque-là, mais il donnait l’impression de n’en tirer aucune joie. « Que… » Geary détourna les yeux et inspira une longue et frémissante goulée d’air. « Je suis désolé. Je ne sais rien de vous ni… ni sur mon frère. Qu’est-il devenu ?

— Il a vécu et il est mort », répondit platement son arrière-petit-neveu.

Quelque chose dans ce ton hostile déchaîna la fureur de Geary : « Ça, je le savais. C’était mon frère, espèce de salaud.

— Avez-vous besoin d’autre chose, capitaine ? »

Geary lui jeta un regard noir, tout en percevant les marques du temps sur ce visage dont les rides signalaient que son propriétaire avait connu de rudes émotions. Son arrière-petit-neveu avait probablement vingt ans de plus que lui, et ces vingt années n’avaient pas été tendres, « Oui. Il y a autre chose. Quel mal ai-je bien pu vous faire ? »