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— Les bâtiments de cette flotte sont sous mon commandement et ils combattront sous mes ordres », déclara Geary en s’efforçant d’instiller dans son ton toute la glace qui l’imprégnait naguère. Il savait que les siens entendraient sa déclaration bien plus tôt que le vaisseau amiral adverse, nettement plus éloigné, et qu’elle ferait vaciller tout commandant de l’Alliance tenté par l’idée de se rendre. « La flotte de l’Alliance n’est pas encore vaincue et ne se rendra pas. » Il espérait que ses paroles véhiculeraient une assurance qu’il n’éprouvait pas réellement. Mais, tant qu’il donnerait l’impression d’être sûr de lui, ni ses propres vaisseaux ni les Syndics ne sauraient ce qu’il ressentait véritablement en son for intérieur.

La conversation à longue distance se poursuivait déjà depuis près de vingt minutes quand Geary vit le commandant en chef du Syndic jeter un regard en biais, visiblement pour consulter un de ses écrans holographiques. « J’ai l’impression qu’il va me falloir rééduquer mes services de renseignement. Je ne trouve aucune trace de vous dans mes banques de données sur les officiers de l’Alliance.

— Vous ne cherchez pas où il faut, répondit Geary en se permettant un petit sourire sans joie. Regardez plutôt à “Officiers décédés”. Aussi loin que remontent vos dossiers. » Six minutes encore s’écoulèrent. « Vous êtes donc mort ? » Le commandant en chef secoua la tête. « Subterfuge inepte et pure perte de temps. Une recherche effectuée dans toute la base de données et portant sur l’intégralité des officiers de l’Alliance dont on sait qu’ils ont servi au cours de cette guerre n’a fourni aucune correspondance avec… » Le commandant en chef du Syndic s’interrompit brusquement, le regard encore rivé sur ce qu’affichait son écran.

Geary sourit de nouveau, cette fois en dévoilant les dents. « Vous m’avez trouvé, je suppose. Il y a plus d’un siècle. »

Quand la dernière réponse de son interlocuteur lui parvint, son visage était rouge de colère. « Une ruse aussi grossière que stupide. Si vous vous imaginez que je suis assez bête pour tomber dans ce panneau, vous vous fourvoyez sérieusement. Vous cherchez seulement à gagner du temps. Je ne tolérerai plus aucun délai.

— Je me moque royalement de ce que vous croyez. » Conscient que sa flotte écoutait la conversation, Geary ne lâcha que très lentement les paroles qui suivirent : « Je suis le capitaine John Geary. Je commande désormais cette flotte. Vous aurez maintenant affaire à moi. Ces vaisseaux sont les miens. Battez en retraite. »

Quand son message suivant se fit entendre, le Syndic avait viré à l’écarlate. « Seriez-vous cet homme que vous ne pourriez rien faire. Vous êtes inférieurs en nombre, surclassés en armement et coupés de toute retraite. Votre seul choix est de vous rendre ! Je répète… je ne tolérerai plus aucun délai. Ma patience est à bout. »

Geary s’efforça de son mieux de ne pas avoir l’air impressionné. « J’ai déjà vaincu les Syndics une fois et je peux encore les vaincre. » Il savait ce qu’il lui fallait dire. Il parlait autant pour ses propres vaisseaux que pour le commandant du Syndic. Peut-être parviendrait-il à faire hésiter ce dernier et, du même coup, à raffermir la confiance de la flotte. D’ailleurs, il commençait même à y prendre un certain plaisir. Le fait d’être Black Jack Geary aux yeux des spatiaux de l’Alliance avait sans doute été une épreuve constante, mais, en revanche, recourir à sa légende pour ébranler les Syndics ne manquait pas d’humour. « Un bon commandant peut toujours trouver une solution. Je le répète, cette flotte n’est pas vaincue. Si vous avez la sottise de donner l’assaut, vous nous trouverez prêts à vous envoyer rebondir à mi-chemin du premier système stellaire. » Il savait que rien n’était plus faux, mais bluffer du bout des lèvres ne lui rapporterait plus rien désormais.

Six autres minutes. Le commandant en chef du Syndic reluquait maintenant Geary d’un œil cauteleux, bien qu’il tentât encore de manifester une assurance arrogante. « C’est absurde et vous en êtes conscient. Votre situation est désespérée. Rendez-vous ou vous mourrez tous. Cette conversation est terminée. J’attends votre reddition pour toute réponse. »

Geary ignora ce dernier ultimatum. « Navré de vous décevoir. La flotte du Syndic a déjà cru m’avoir tué une fois. Qu’est-ce qui vous fait croire que vous jouerez davantage de bonheur cette fois-ci ? Vous, en revanche, n’êtes encore jamais mort. Et, après avoir vu ce que vous avez fait à l’amiral Bloch, je serai très heureux, croyez-moi, de vous envoyer ad patres. »

Le Syndic s’efforçait de son mieux de cacher ses sentiments, mais Geary crut déceler comme une incertitude dans son expression. Ce qui, s’il ne se trompait pas, était parfait. Rien de tel pour assurer la défaite de l’ennemi que d’ébranler la confiance en soi de son chef.

D’un autre côté, le capitaine Desjani et les autres hommes d’équipage et officiers de l’Indomptable qu’il avait sous les yeux semblaient partagés entre la liesse et l’inquiétude : tout à la fois heureux de voir Geary narguer le Syndic et angoissés à l’idée que ses défis risquaient de déclencher une attaque immédiate de sa part.

Geary patienta en regardant du coin de l’œil les vaisseaux de la flotte de l’Alliance continuer de lentement se repositionner. Combien de temps encore parviendrait-il à retenir l’assaut avant que tous ses vaisseaux ne soient prêts à foncer vers le point de saut ?

« Je n’ai ni la patience ni le temps de traiter avec un imbécile », cracha finalement le commandant en chef du Syndic, six minutes plus tard, avant de couper la connexion.

Geary soupira et adopta une posture moins rigide. « Dans quel délai nos vaisseaux seront-ils tous en position, capitaine Desjani ? »

Elle consulta ses écrans holographiques. « Vos… euh… pourparlers avec le commandant du Syndic nous ont fait gagner une demi-heure, capitaine Geary, mais, selon mon estimation, nous aurions encore besoin d’environ trente minutes. Le Titan lambine. Il a subi d’importants dégâts, ajouta-t-elle précipitamment.

— Ouais. » Geary contrôla l’état de ce dernier vaisseau. Peut-être devrait-il ordonner à son équipage de l’évacuer… Non. Le Titan était un bâtiment auxiliaire, un bassin de radoub mobile chargé de restaurer les vaisseaux de la flotte qu’il accompagnait. Fondamentalement un petit chantier naval destiné à réparer les avaries des vaisseaux trop sérieusement amochés pour se soigner eux-mêmes, et à usiner des pièces détachées à partir de matériaux bruts. La flotte comprenait deux bâtiments de la même classe. Le second avait été réduit en miettes pendant le dernier combat. Il restait bien d’autres vaisseaux de réparation et de reconstruction, mais aucun ne présentait l’éventail de capacités d’un Titan. J’ai besoin du Titan pour rapatrier cette flotte. Mais il est déjà trop lent au départ et, maintenant, les avaries infligées à ses moteurs pendant la bataille l’ont encore ralenti. Ne me reste plus qu’à espérer avoir assez ébranlé ce Syndic pour qu’il impose à sa flotte une autre demi-heure d’inaction.

Autant qu’il le vît, la flotte du Syndic n’avait pas encore bougé et maintenait la même position par rapport à celle de l’Alliance. Consécutivement à leur redéploiement, les vaisseaux de Geary étaient passés de la formation en croissant à celle d’un ovale grossier qui, sur les écrans holographiques, évoquait un bouclier protégeant les plus lents ou sévèrement endommagés des bâtiments, lesquels, entre-temps, avaient mis le cap de façon discrète (du moins fallait-il l’espérer) vers le point de saut. Geary regarda ramper sur fond de vide spatial les symboles qui représentaient ses vaisseaux en priant pour un petit délai supplémentaire.