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« Nous décelons du mouvement parmi les vaisseaux du Syndic. Ils passent dans le bleu. »

Ça signifiait qu’ils avaient accéléré dans leur progression vers ceux de l’Alliance. Geary jura sotto voce et fixa l’hologramme montrant les forces ennemies. La flotte du Syndic gardait toujours la même formation, ce mur mouvant de puissance de feu, mais, alors même qu’il scrutait l’écran, les senseurs optiques à longue portée de l’Indomptable attribuèrent à tous ces vaisseaux, l’un après l’autre, des vecteurs de direction et de mouvement signalant qu’ils piquaient vers ceux de l’Alliance à une vélocité croissante. Comme tous les capitaines que Geary avait connus, il regrettait de ne pas disposer d’un système de détection magique permettant de lui fournir des données à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Mais, tout comme les transmissions, les senseurs étaient limités à cette vélocité dans l’espace conventionnel. Ce qui signifie qu’ils ont commencé d’accélérer il y a moins de trois minutes, de sorte qu’ils viennent déjà sur nous. « Ils maintiennent la formation et règlent leur allure sur les plus lents. »

Desjani opina, les traits tendus. « Ils ne doivent donc pas suspecter votre plan. »

Mon plan. Ouais. J’espère qu’il opérera. « Comment puis-je contacter la flotte ? lui demanda-t-il.

— Vous êtes en ligne », répondit-elle après avoir pressé quelques boutons.

Il inspira profondément. « À tous les vaisseaux. Ici le capitaine John Geary, commandant de la flotte. Exécution immédiate, dès réception, d’Ouverture. » On n’avait plus le temps de procéder à une manœuvre impeccable, coordonnée au préalable et laissant à chaque bâtiment le temps de recevoir le signal avant que la flotte fasse mouvement de conserve. Mais elle n’était pas à ce point dispersée. Chaque vaisseau pouvait recevoir le message dans un délai d’une minute et prendrait son cap dès que l’ordre lui parviendrait.

Sur son écran, les vaisseaux qui accusaient réception de l’ordre s’éclairaient d’un point vert ; à mesure que les bâtiments donnaient acte, la vague verte se répandit de tous les côtés à partir de la position de l’Indomptable. De la même façon, la flotte de l’Alliance piqua vers le point de saut en formation dépenaillée, en partant des appareils les plus proches du vaisseau amiral. Les moteurs de l’Indomptable s’activèrent à leur tour, le guidant vers le centre de l’armada. Geary regarda accélérer ses bâtiments et, tout en suivant des yeux les Syndics afin de percevoir leurs premiers signes d’intelligence quant aux intentions de la flotte de l’Alliance (pas seulement battre en retraite pour retarder une bataille inéluctable dans ce système, mais parer à un danger immédiat en sautant vers un autre), en vit quelques-uns réduire leur vélocité autour des plus lents pour les escorter. « Le Titan continue de prendre du retard. » Geary répondit à Desjani d’un hochement de tête et, tout en suivant du regard la progression du gros et lent bâtiment, sentit ses tripes se nouer. « J’aurais aimé qu’il se rapproche un peu plus du point de saut.

— Compte tenu des dommages qu’il a subis, du temps qui lui était imparti et des contraintes du plan, il ne pouvait pas s’en approcher davantage. »

Geary grinça des dents, mais ce n’était pas de colère contre Desjani. Elle faisait ce qu’elle devait… ne pas lui cacher la vérité quand elle lui sautait aux yeux. Mais il avait donné son approbation au plan. Il y avait inclus le Titan durant le court laps de temps dont il avait disposé pour l’étudier, et ne s’était pas rendu compte que l’énorme bâtiment de radoub poserait problème. N’avait pas su prévoir qu’il serait si lent. Ce n’était pas comme si l’on avait pu prendre tout son temps pour l’attendre, ni trahir clairement ses objectifs, mais il avait approuvé le plan, il n’avait pas su retenir assez longtemps les Syndics, et, maintenant, le Titan était en grand danger.

Car, à présent, les signes que l’ennemi réagissait enfin crevaient les yeux ; il avait finalement pris conscience que la flotte fuyait vers le point de saut. Les images retardées du front de leur formation montraient qu’elle s’étirait et se déformait vers la flotte, tandis que les vaisseaux les plus rapides s’écartaient des plus lents. Trois minutes encore avant qu’ils ne comprennent réellement ce que nous faisons, encore quelques instants avant de percer nos intentions à jour, et trois autres minutes avant que nous ne les voyions réagir à cette information. Ils doivent maintenant se rapprocher de nous, et l’information nous parviendra de plus en plus vite, mais ce n’est, pas un bon point puisqu’elle signifiera que l’ennemi sera assez proche pour engager le combat avec nos éléments retardataires. Difficile d’appeler ça une arrière-garde, puisque les vaisseaux de queue n’y avaient pas été placés délibérément mais par pure et simple nécessité.

Geary se surprit à souhaiter l’irruption d’escadres de vaisseaux embusquées dans quelque improbable cachette et attendant de voir surgir la tête de la formation du Syndic pour la décapiter. Mais il ne disposait pas de ces escadres, ni même des moyens de les dissimuler, et tout vaisseau qu’il enverrait frapper ceux, vulnérables, qui formaient l’avant-garde de la formation du Syndic serait incapable de se replier en sécurité avant le déferlement du corps principal.

Il continuait d’observer les vaisseaux et de regarder leurs vecteurs de déplacement traverser en glissant l’écran holographique ; nul besoin de calculer pour connaître le résultat. Sa propre expérience en matière de mouvements relatifs suffisait à lui fournir la réponse à chaque minute qui passait. « Les intercepteurs du Syndic arrivent trop vite. Le Titan ne pourra pas atteindre le point de saut avant que certains d’entre eux ne soient à portée de tir. »

Desjani opina. « D’accord avec vous.

— Les escorteurs du Titan peuvent-ils les arrêter ? »

Elle pesa un instant le pour et le contre puis secoua la tête. « Pas avec leur armement de poupe. Il leur faudrait se retourner.

— Et ils seraient anéantis. » J’aurai peut-être à le faire moi-même. À en donner l’ordre. Je refuse de perdre ces vaisseaux, ces équipages, mais c’est le Titan ou eux, et si tous les autres ont besoin du Titan pour rentrer…

Nouveau signe de tête de Desjani. « On ne peut pas abandonner le Titan. Essayons de récupérer son équipage.

— On a besoin du bâtiment. »

Desjani hésita puis hocha une troisième fois la tête. « Oui.

— Alors on ne peut pas le laisser choir. » Desjani lui jeta un regard anxieux. Tu essaies de deviner comment le légendaire Black Jack Geary va se tirer de ce merdier, hein ? Si tu connais la solution, n’hésite pas à m’en faire part. Comment gagner du temps au Titan ? Geary fixait les écrans en fronçant les sourcils, cherchant un moyen de modifier les lois de la physique, mais il avait beau se creuser les méninges, il parvenait toujours à la même conclusion :

Échanger au moins un vaisseau contre un autre. Soit un escadron de bâtiments plus légers, soit un appareil assez puissant mais moins « essentiel » que le Titan, pour essayer d’endiguer à lui seul la ruée des éléments de tête du Syndic. Je ne peux pas donner l’Indomptable. Ce serait pourtant un soulagement, non ? Un dernier exploit avant d’en finir, pour de bon cette fois-ci. Fini le fardeau de ce commandement, plus de légions de désespérés voyant en moi leur dernier espoir. Le sort de l’Alliance ne pèserait plus sur ma tête et je n’entendrais plus jamais parler de Black Jack Geary, le héros de l’Alliance. Mais je ne peux pas. La clef est à bord. J’ai donné ma parole. Et, même si je n’avais pas fait cette promesse, je ne peux pas renoncer à mes responsabilités envers tous ces gens. Mais alors quel vaisseau choisir ? Qui envoyer à une mort certaine ? Ses yeux fouillaient la liste des vaisseaux, s’efforçant de faire un choix qui lui répugnait.