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La seule réponse à cette question résidait de l’autre côté de la porte de sa cabine.

Durant les quelques jours qui suivirent, Geary consacra pratiquement la moitié de son temps à l’étude et l’autre moitié à déambuler dans les coursives de l’Indomptable. Il s’était vaguement fixé le but d’essayer de visiter tous les compartiments du vaisseau, ne serait-ce que parce qu’il savait qu’en se montrant à l’équipage il lui remontait le moral. Il aspirait aussi désespérément à lui prouver qu’il n’était qu’un homme avant de donner de nouveau la preuve de sa faillibilité, mais il n’était pas persuadé de beaucoup progresser dans ce sens.

Au cours d’une de ces errances, il s’arrêta devant le compartiment contenant le projecteur de champ de nullité du vaisseau. Ses servants se tenaient autour de l’appareil, souriants, tandis qu’il examinait l’engin massif et trapu. Quelque chose dans la silhouette et la taille de l’arme lui évoquait un troll géant mythique accroupi et attendant patiemment qu’une proie se présente à sa portée. Geary dissimula de son mieux ses inquiétudes et leur sourit en retour. « L’arme est-elle parée pour l’emploi ?

— Oui, capitaine ! » Le chef de l’équipe, si jeune d’apparence que Geary se demanda s’il se rasait depuis longtemps, posa sur le monstre une main jalouse. « Elle est en parfaite condition. Nous procédons tous les jours à des tests de contrôle, comme l’exige le manuel, et, dès que quelque chose donne l’impression d’être légèrement déréglé, nous veillons aussitôt à le réparer. »

Une fille de l’équipe prit la parole, sur un ton tout aussi orgueilleux que celui de son supérieur direct. « Nous serons prêts, capitaine. Tout vaisseau du Syndic passant à notre portée sera proprement brumisé. »

Geary mit un bon moment à comprendre que le terme « brumisé » faisait allusion à ce qui restait d’un objet (ou d’un être) après qu’un champ de nullité l’avait réduit en particules subatomiques. Il hocha néanmoins la tête et accueillit la fanfaronnade d’un sourire. Les canonniers aiment leur pièce. Ç’avait toujours été le cas et ça le serait toujours. C’était pour cela qu’ils étaient canonniers. Et ses ancêtres savaient combien la flotte avait besoin de bons canonniers. « La prochaine fois qu’on se rapprochera des Syndics, nous veillerons à vous autoriser ce tir. » L’équipe tout entière sourit et brandit victorieusement le poing.Je n’ai pas le cœur de leur avouer qu’il nous est impossible de mettre l’Indomptable en danger, du moins si je peux l’empêcher. Mais, que cela me plaise ou non, nos chances de nous retrouver à proximité des Syndics avant la fin de cette odyssée ne sont, hélas, que trop fortes.

Les servants de la batterie de lances de l’enfer n’étaient pas aussi exaltés, mais, en revanche, leurs joujoux personnels n’étaient pas, comme le projecteur de champ de nullité, des armes flambant neuves qu’ils seraient les premiers à servir. Geary les reconnut sur-le-champ, bien qu’elles fussent trois fois plus massives que celles qu’il avait connues jadis.

Un sous-off vétéran de la batterie tapota une des armes. « Je parie que vous regrettez de n’avoir pas disposé d’une de ces gamines au cours de votre dernière bataille, hein, capitaine ? »

Geary réussit à afficher le même sourire poli. « Elle m’aurait été bien utile.

— Mais vous n’en aviez nullement besoin, capitaine, ajouta précipitamment le chef. Votre bataille… Tout le monde la connaît par cœur. Les armes d’aujourd’hui sont fabuleuses, mais on ne fait plus de spatiaux ni de vaisseaux comme autrefois. »

Geary savait qu’il parlait vrai, mais il était aussi informé d’une autre vérité. Il contempla un instant la surface mate du projecteur de lances de l’enfer puis secoua la tête. « Vous vous trompez, chef. » Il arqua ensuite un sourcil en dévisageant les autres. « Un des avantages du poste de commandant de la flotte, c’est que je peux dire à un chef qu’il se trompe. » Tous éclatèrent de rire puis cessèrent tout net quand il reprit la parole d’une voix mesurée : « On fait encore de bons vaisseaux et de bons équipages. Vous avez tous pu voir le Riposte. » Sa voix avait grippé sur le dernier mot, mais ce n’était pas grave, car il avait vu la réaction des spatiaux et su qu’ils comprenaient et ressentaient la même chose. « Nous allons réparer les avaries de nos vaisseaux, réapprovisionner notre stock de munitions et, la prochaine fois que nous croiserons la flotte du Syndic, nous lui ferons payer la perte du Riposte au centuple. »

Ils applaudirent. Lui se sentait vaguement dans la peau d’un charlatan, prononçant des paroles auxquelles il ne croyait pas lui-même. Mais ils devaient avoir foi en eux et, abusés ou non, en lui.

« Vous serez fier de nous avoir sous vos ordres, Black Jack ! » beugla le chef en couvrant les acclamations de sa voix alors que Geary tournait déjà les talons.

Puissent mes ancêtres me venir en aide ! Mais il se retourna et reprit la parole tandis que son auditoire se taisait pour l’écouter : « Je le suis déjà. »

Et ils l’acclamèrent de nouveau, mais ce n’était pas grave car, cette fois, il avait dit l’entière vérité.

Il dut se faire escorter par le capitaine Desjani pour aller voir la clef de l’hypernet dans sa zone sécurisée. De la taille environ de la moitié d’un conteneur de chargement, le dispositif occupait la plus grande partie de l’espace du compartiment où il reposait. Geary en fit le tour, vit les câbles d’alimentation qui s’y insinuaient en serpentant et ceux des commandes qui y entraient ou en sortaient. Il le fixa longuement, en se demandant comment un objet d’aspect aussi banal pouvait bien être aussi important.

« Capitaine Geary. » Le seul bon point de l’expression de la coprésidente Victoria Rione, c’était qu’elle était un tantinet moins froide que sa voix.

« Madame la coprésidente. » Geary recula d’un pas pour la laisser entrer dans sa cabine. Il s’était efforcé de se passer des médocs et n’en avait pris aucun aujourd’hui, de sorte qu’il se sentait encore plus mal que d’habitude et n’était guère d’humeur à recevoir. Mais, compte tenu de l’autorité qu’elle exerçait sur certains vaisseaux de la flotte, il ne pouvait décemment pas la renvoyer. « À quoi dois-je l’honneur de votre visite ? »

De toute évidence, il n’avait pas entièrement réussi à effacer tout sarcasme de sa voix, car la froideur de l’expression de Rione descendit encore de quelques degrés vers le zéro absolu. Mais elle entra, attendit qu’il eût fermé la porte puis le dévisagea sans mot dire.

Si elle essaie de me démonter, elle y réussit pleinement. Pressentant que Rione se servait de la colère de ses adversaires pour les pousser à dire ou faire des choses qu’ils regrettaient ensuite, il s’efforça de ne pas la laisser lui porter sur le système. « Voulez-vous vous asseoir ?

— Non. » Elle se tourna et fit les trois pas qui la rapprochaient de la cloison opposée, apparemment absorbée dans la contemplation du diorama qui y était accroché. C’était un reliquat de l’amiral Bloch, bien entendu ; une stupéfiante vue de l’espace, exactement ce qu’on pouvait s’attendre à trouver dans la cabine d’un officier de la flotte. Rione consacra une bonne minute à l’observer puis se tourna de nouveau vers lui. « Aimez-vous les images de champs d’étoiles, capitaine Geary ? »