Выбрать главу

La pluie et le beau temps. Il ne s’était pas attendu à ça et sa méfiance ne fit qu’augmenter. « Pas particulièrement.

— Vous pouvez en changer. Afficher ici toutes les images de l’iconothèque du vaisseau.

— Je sais. » Il n’ajouta pas qu’il n’avait pu se résoudre à l’effacer car c’était pour lui un témoignage de l’ancienne présence en ces lieux de l’amiral Bloch.

Rione le scruta encore quelques secondes avant de reprendre la parole. « Quelles sont vos intentions, capitaine Geary ? »

Mes intentions sont parfaitement honorables, madame. Cette pensée incongrue lui vint spontanément, le poussant à feindre une quinte de toux pour éviter d’éclater de rire. « Excusez-moi, madame la coprésidente. Je compte ramener cette flotte dans l’espace de l’Alliance, comme nous en avons déjà discuté.

— N’éludez pas la question, capitaine. Nous nous dirigeons vers le système de Corvus. J’aimerais savoir ce que vous comptez faire ensuite. »

Si je le savais, je vous le dirais. Mais peut-être la visite de Rione n’était-elle pas une si mauvaise chose après tout. Elle faisait partie des rares personnes qui ne vénéraient pas jusqu’à l’espace où Geary évoluait, avait déjà fait clairement comprendre qu’elle n’hésiterait pas à exprimer son opinion et, autant qu’il pût en juger par leur conversation précédente, elle avait la tête sur les épaules. D’accord, elle n’essayait pas non plus de dissimuler l’inimitié qu’il lui inspirait, mais, à la différence de gens comme les capitaines Numos et Faresa, au moins le mépris de la coprésidente de la République était-il tempéré par une certaine dose de sens commun. « J’aimerais en parler avec vous.

— Vraiment ? » Tant le ton que l’expression de Rione trahissaient son scepticisme.

« Bien sûr. »

Geary fit un pas vers la table et entreprit de manipuler laborieusement les commandes, toujours aussi peu familières, de son écran. Des étoiles scintillèrent au-dessus de la table, puis clignotèrent et s’éteignirent. Il essaya de nouveau en jurant dans sa barbe et, cette fois, l’hologramme resta stable. « Nous avons plusieurs possibilités.

— Possibilités ?

— Oui. » Si elle peut se faire comprendre à demi-mot, moi aussi. Il manipula de nouveau soigneusement les commandes et une image miniaturisée de la flotte de l’Alliance, telle qu’elle apparaîtrait actuellement aux yeux d’un observateur divin, remplaça les étoiles. « Nous traverserons probablement le système de Corvus avec une tête d’avance sur les vaisseaux du Syndic qui sortiront après nous de l’espace du saut. De quelques heures, à tout le moins. »

Rione fronça les sourcils et vint se placer à côté de lui en frôlant presque son bras du sien, mais sans réagir davantage à sa présence, apparemment, que s’il n’était qu’une des cloisons. « La flotte du Syndic nous talonnait quand nous avons sauté. Elle nous soufflera encore dans le cou, probablement, quand nous entrerons dans le système de Corvus.

— Je ne crois pas. » Geary montra l’hologramme. « Nous serons disposés de cette manière en sortant de l’espace du saut. C’est une formation très convenable. Plus capital encore, notre puissance de feu sera considérable à l’arrière-garde.

— Supérieure à celle du Syndic ? »

La raillerie, décidément, ne seyait guère à la coprésidente Rione. « Ponctuellement, oui. Quand nous avons sauté, les Syndics s’efforçaient d’arrêter ou de ralentir suffisamment certaines de nos unités les plus lentes pour permettre à leurs gros vaisseaux de les rattraper et de les détruire. Mais, s’ils sortent de l’espace du saut juste derrière nous, la situation sera différente. Leurs unités légères fonceront bille en tête sur le gros de notre flotte. Nous pourrions dépêcher de l’avant nos vaisseaux les plus lents pendant que les meilleurs s’attarderaient pour canonner leurs bâtiments légers à leur sortie du saut. » Il s’interrompit puis secoua la tête. « Non, ils ne nous auront certainement pas suivis dans la foulée. Ils auront pris le temps de regrouper leurs forces. Ils ne peuvent pas sauter en adoptant leur formation en front, car elle se déploie si largement que ses ailes les plus extérieures ne se trouveraient plus dans le point de saut. Ils rappelleront leurs avisos et leurs autres unités légères, redisposeront les plus lourdes, puis… »

Elle arqua un sourcil. « Puis ?

— Vaste question. » Geary la regarda en se demandant s’il pouvait se fier à elle et à son jugement. Que tu t’y fies ou non, elle soulèvera peut-être un lièvre que tu n’as pas su voir. « J’aimerais connaître votre avis sur une question. »

Rione lui lança un regard circonspect, trahissant toujours le même scepticisme. « Mon avis ?

— Oui. Sur la suite.

— Alors, avant de poursuivre, permettez-moi de vous dire ceci : ne surestimez pas vos forces, capitaine Geary. »

Il se rembrunit, conscient de sa faiblesse physique et la méprisant, tout comme l’allusion que venait apparemment d’y faire Rione. « Qu’entendez-vous exactement par là ? Je suis physiquement capable de…

— Non. Pas vos forces personnelles. Celles de votre flotte. » Elle balaya d’un geste négligent l’hologramme de l’armada de l’Alliance. « Cela ne vous en donne qu’une image superficielle. Vous ne savez rien de son aspect interne.

— Essayez-vous de me dire que je ne peux pas me fier à mes informations ?

— Vos informations sur la flotte sont fiables jusqu’à un certain point. » Elle réitéra son geste avec un dépit manifeste. « Je ne connais pas le terme exact pour décrire le problème. Cette flotte est comme un morceau de métal qui donne l’impression d’être très solide, mais qui se brise assez aisément au moindre choc. Vous voyez ce que je veux dire ? »

Il voyait parfaitement. « Friable. Ce que vous suggérez, c’est que la flotte est friable. D’aspect robuste, mais cassante. Je me trompe ? »

Rione lui jeta un regard surpris. « C’est exactement ce que je veux dire.

— Mais pas pour des raisons matérielles. Pas en raison de défectuosités des vaisseaux ou de leur armement.

— Je commence à croire que vous savez pertinemment que ce n’est pas à cela que je faisais allusion. »

Je commence à croire, moi, que vous êtes davantage que ce que vous paraissez, coprésidente Rione. « J’apprécie votre sincérité.

— Mais elle ne semble pas vous désarçonner. En toute franchise, j’aurais cru que vous prendriez la mouche. »

Geary lui adressa un sourire visiblement affecté. « J’adore surprendre les gens. » Excellente raison, au demeurant, de lui cacher que je n’ai aucune intention de laisser cette flotte rester friable si je peux l’en empêcher. On peut reforger le métal, le tremper. Et cette flotte aussi. Que moi ou un autre puisse y parvenir dans les circonstances actuelles est une autre paire de manches. « J’ai tenté d’apprendre à mieux connaître… (il faillit dire “ces gens” mais se reprit) cette flotte. Tous ces hommes sont courageux mais, comme on me l’a expliqué voilà quelque temps… (un peu plus d’une semaine) ils sont harassés.

— Ce n’est pas un épuisement qu’on peut soigner par une nuit de sommeil, capitaine Geary.

— Je sais, madame la coprésidente.

— Si vous jetez ces vaisseaux dans une autre bataille, même dans les conditions que vous dépeignez, ils risquent de vous faire faux-bond. »

Geary baissa les yeux en se mordant les lèvres. Précisément ce que je redoute, mais j’ignore ce qu’elle pourrait répéter à d’autres. « Je n’ai pas l’intention, à l’heure actuelle, d’engager cette flotte dans un combat décisif.