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— Je vois. Ce qui ne leur laissera guère de jeu pour Caliban. Si vous ne vous trompez pas. Mais comment pouvez-vous certifier qu’ils négligeront la possibilité que vous choisissiez Caliban ?

— Je ne pense pas qu’ils la négligeront, rectifia-t-il. Je pense qu’ils n’y verront que la moins probable de nos destinations et la regarderont comme moins cruciale que Yuon ou Voss. Le choix d’une de ces étoiles poserait immédiatement un grave problème aux Syndics. Si nous options pour Caliban, nous n’en resterions pas moins un problème, mais un problème qu’ils auraient, selon eux, tout le temps de régler. » Il baissa les yeux sur la représentation de Caliban. Si seulement je savais ce dont ils disposent dans ce système… Le peu de renseignements dont nous jouissons sont vieux d’un demi-siècle. Enfer, j’aimerais bien savoir aussi ce qu’ils ont à Corvus !

« Pourquoi m’expliquez-vous tout ça ? »

Il lui jeta un regard. « Comme je vous l’ai dit, je voulais avoir votre avis.

— Vous avez déjà pris votre décision, me semble-t-il. »

Il s’efforça de masquer son irritation. « Non. J’essaie d’échafauder un plan et j’hésite entre plusieurs options. Vous réfléchissez d’une manière différente et je tiens à connaître vos impressions. »

L’espace d’un instant, Geary aurait juré que Rione avait l’air légèrement amusée. « Eh bien, à votre place, je choisirais Yuon…

— Je vois.

— Je n’ai pas fini. Moi, j’aurais choisi Yuon. Mais ce que vous avez dit était vrai et je vous ai moi-même prévenu contre un engagement décisif. Je crois désormais, tout comme vous, que Caliban serait le meilleur choix. »

Geary lui fit un sourire en coin. « Puis-je en conclure, en ce cas, que les vaisseaux de la République et du Rift se plieront à mes ordres et gagneront Caliban ?

— Oui, capitaine Geary. » Son expression s’altéra. « Mais la tâche d’obtenir la même approbation du reste de la flotte de l’Alliance ne sera dévolue qu’à vous seul, je le crains. »

Elle pense que ça me posera un problème. Je n’avais pas vu si loin. Les commandants des vaisseaux m’ont tous suivi hors du système mère du Syndic. Mais ils étaient menacés d’une mort imminente… pourtant certains d’entre eux voulaient encore en débattre.

Et tous sont épuisés et souhaitent rentrer chez eux.

Rione semblait de nouveau étudier l’hologramme. « Je connais bien peu de détails de votre vie personnelle, capitaine Geary, à mon grand regret. Aviez-vous laissé quelqu’un derrière vous ? »

Il médita la question. « Tout dépend de ce que vous entendez par là. Mon père et ma mère étaient encore en vie. Mon frère était marié. Mais il n’avait pas d’enfants. » Bizarre de pouvoir dire une chose pareille sans voir aussitôt l’image de l’homme mûr qu’avait été le petit-fils de son frère, mort sur le Riposte.

« Pas de compagne ?

— Non. » Il se rendit compte qu’elle le regardait et se demanda comment une réponse monosyllabique pouvait lui en révéler autant sur lui. « Rien de durable.

— Peut-être aussi bien, non ?

— Ouais, en regard de ce qui m’est arrivé. » Il secoua la tête. « J’aurais cru qu’on aurait enfin trouvé le moyen d’allonger l’espérance de vie.

— Non, hélas. » De toute évidence, Rione continuait en parlant d’étudier l’hologramme. « Vous savez ce qui s’est passé chaque fois qu’on a essayé. La nature nous permet de maintenir les êtres humains vigoureux et en bonne santé presque jusqu’à la fin, mais celle-ci survient toujours, bien que les scientifiques aient réussi à dématérialiser le corps humain, pratiquement au niveau quantique, pour le reconstruire ensuite dans l’espoir de modifier la donne. »

Se sentant à nouveau fatigué, Geary s’assit, s’adossa à son siège et ferma un instant les yeux. « Voilà qui suffirait à redonner foi en Dieu.

— À inciter les gens à y réfléchir, du moins. » Elle lui jeta un regard. « Y a-t-il une demeure ancestrale dans la famille ?

— Non, à moins qu’on n’en ait construit une depuis mon dernier séjour.

— Où vivrez-vous quand nous aurons regagné l’espace de l’Alliance ?

— Je n’en sais rien. » Il fixait le vide, les pensées vagabondes. « Je dois contacter quelqu’un sur l’Intrépide, où que se trouve ce vaisseau. »

Rione ne chercha pas à cacher sa surprise. « Vous connaissez quelqu’un sur un vaisseau dans l’espace de l’Alliance ?

— Pas vraiment. J’ai un message pour elle, qu’on m’a demandé de lui transmettre. » Il rumina quelques instants le sujet pendant que Rione attendait la suite, puis il haussa les épaules. « Ensuite, j’irai peut-être à Kosatka.

— Kosatka ?

— C’était une belle planète autrefois. Il paraît que c’est toujours vrai.

— Kosatka, répéta Rione. Je ne crois pas que votre destinée réside à Kosatka, capitaine Geary.

— Prédiriez-vous l’avenir comme vous lisez dans les pensées ?

— Je ne lis que dans les yeux, capitaine. » La coprésidente regagna l’écoutille et s’arrêta dans le sas. « Merci de m’avoir consacré quelques instants, et merci aussi pour vos confidences.

— Quand vous voudrez. » Il se redressa à demi pour la regarder partir puis se laissa lourdement retomber, de nouveau épuisé, en se demandant pourquoi il avait une boule dans l’estomac.

« Caliban ? » Le capitaine Desjani dévisagea Geary. « Mais le trajet de retour passe par Yuon.

— Les Syndics savent que vous en êtes convaincue, capitaine. Ils nous y attendront.

— Mais pas en force suffisante pour…

— Comment pouvez-vous le savoir ? » Geary se rendit compte qu’il aboyait et réprima sa fureur. « Vous me l’avez dit vous-même. Les vaisseaux du Syndic présents dans leur système natal pourraient gagner… euh… Zaqi par l’hypernet puis sauter vers Yuon en un peu moins de temps qu’il ne nous en faudrait pour arriver à Corvus, traverser ce système et sauter vers Yuon. Toute leur foutue flotte, hormis les bâtiments qui nous pourchassent et jailliraient du point d’émergence pour nous frapper dans le dos, pourrait nous y guetter.

— Mais Yuon… » Elle ne termina pas sa phrase.

Geary perçut son épuisement et son désespoir, et il eut honte de s’être fâché. « Je suis désolé, Tanya. Je sais à quel point vous avez envie de rentrer. Moi aussi, je tiens à nous ramener à bon port.

— L’Alliance a besoin de cette flotte, capitaine Geary. Et aussi de l’Indomptable et de ce qu’il transporte. Le plus tôt sera le mieux.

— Les Syndics nous attendront à Yuon, Tanya. Si nous passons par là, nous ne rentrerons jamais. »

Elle finit par hocher la tête. « Ils ne nous comprennent que trop bien, n’est-ce pas ? Les Syndics savaient que nous sauterions sur l’appât qu’ils nous tendaient… Frapper leur système mère, ajouta-t-elle, voyant qu’il ne répondait pas tout de suite. Et, maintenant, ils savent que nous allons rentrer chez nous en passant par Yuon.