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Geary en était encore à secouer virtuellement la tête en réponse à la déclaration de Desjani quand un carillon se fit entendre, attirant son attention sur l’écran. Il regarda s’y dérouler, avec un temps de retard, les données sur la planète habitée. L’analyse de l’imagerie et des divers effluents chimiques rejetés dans l’atmosphère indiquait que la planète maintenait toujours une économie industrielle, mais aussi, par certains signes, que nombre d’installations étaient inactives et qu’elle n’était pas aussi massivement peuplée qu’on aurait pu s’y attendre compte tenu de l’ancienneté de sa colonisation. Tout cela correspondait parfaitement à ce qu’on lui avait appris sur ces systèmes qui agonisaient lentement, évincés de l’hypernet. Une vingtaine d’objets célestes orbitaient autour de la planète, dont sept ne présentaient aucune signature thermique et n’étaient sans doute plus que des boules de naphtaline, et dont deux autres étaient catalogués comme des installations certainement militaires. On ne distinguait aucun vaisseau sur cette image vieille de plus de huit heures.

« L’installation de la quatrième planète est toujours en activité et probablement militaire, signala la vigie. Deux petits vaisseaux de combat s’activaient encore près de la base il y a quarante et une minutes. »

Geary tourna brusquement la tête pour scruter l’image holographique de la planète gelée. Ils ne disposaient encore d’aucune image en temps réel de la zone située près de la base du Syndic, mais deux de ses vaisseaux s’y trouvaient quarante minutes plus tôt. Nous ne sommes arrivés dans ce système qu’il y a moins de dix minutes, de sorte qu’ils ne nous repéreront pas avant une demi-heure. Entre-temps, nous nous en serons rapprochés. « Ont-ils été formellement identifiés comme des vaisseaux du Syndic ? En sommes-nous sûrs ? »

Desjani fronça les sourcils, prenant sans doute pour elle les doutes pesant sur les informations transmises à son vaisseau. « L’identification des deux vaisseaux proches de la base ? Oui, capitaine Geary. Leur type et classe avec certitude. Leur modèle est encore incertain.

— Que je sois pendu ! » Il jeta à Desjani un regard interrogateur tout en montrant l’écran du doigt. « De mon temps, on appelait ces engins des “corvettes de cinq sous”.

— De cinq sous ?

— Ouais. Comme la pièce de monnaie. Elles sont utiles mais ne durent pas bien longtemps quand on en a besoin. Elles étaient déjà à moitié obsolètes quand je suis… (ne sachant pas trop par quel terme désigner sa mort apparente dans un combat vieux d’un siècle, Geary laissa mourir sa voix) quand j’ai livré mon dernier combat. »

Desjani poussa un grognement d’étonnement. « Je n’avais encore jamais vu de vaisseaux de cette classe. Ces corvettes ont dû rester sur place parce qu’il était plus simple de les laisser entre les mains des autorités locales du système que de les mettre au rancart.

— Probablement. » L’espace d’un instant, Geary s’imagina lui-même dans la base du Syndic ou à bord d’un de ces vaisseaux alors que la flotte de l’Alliance continuait de se déverser hors de l’espace du saut par le point d’émergence. Si l’âge de ces corvettes était une indication, le système ne pouvait même plus prétendre au titre de base arrière dans cette guerre. Des décennies, au minimum, avaient dû s’écouler depuis que Corvus avait pris part pour la dernière fois au conflit opposant les systèmes de l’Alliance à ceux du Syndic, sauf peut-être pour envoyer des impôts ou, indubitablement, des contingents de jeunes gens en âge de porter les armes. Pendant quelques minutes ou quelques heures, selon l’emplacement qu’ils occupaient à l’intérieur du système, ces gens pourraient encore se croire les habitants d’un patelin reculé. Puis ils commenceraient enfin à voir débouler la flotte de l’Alliance, chaque vaisseau apparaissant l’un après l’autre dès que la lumière annonçant leur arrivée atteindrait les guetteurs du Syndic. Et, pendant quelques instants encore, ils refuseraient d’y croire ! De croire que la guerre les avait rattrapés et fondait subitement sur eux sous la forme d’une puissante armada.

Le circuit de communication de la flotte s’activa. « Capitaine Geary, ici le commandant Zeas du Truculent. Nous sommes à portée de tir d’un émetteur radar actif braqué sur le point d’émergence.

— Ici Geary. Détruisez-le. » Il se tourna vers Desjani. « Je sais qu’il ne s’agit sans doute que d’une assistance à la navigation, mais il adresse probablement des rapports sur ses contacts à la base.

— D’accord avec vous, convint-elle. Mais ces rapports ne seront transmis qu’à la vitesse de la lumière, de sorte qu’ils n’atteindront pas la base avant qu’elle ne nous ait captés en visuel.

— Chaque minute gagnée compte. La base elle-même envoie-t-elle des signaux de senseurs ? » Sachant qu’il y trouverait la réponse à sa question, Geary vérifiait son écran en môme temps qu’il la posait.

« Non, capitaine, répondit Desjani en lui montrant le tableau de données adéquat. Vous vous y attendiez ?

— Non. » Il avait failli se rebiffer mais, finalement, trouva à la question un côte amusant. « Même à mon époque primitive, on savait pertinemment qu’un radar mettrait deux fois plus de temps qu’un senseur visuel à repérer un objet, puisque le bip du radar doit faire l’aller-retour tandis que la lumière émise par l’objet ne doit parcourir que le trajet lui-même. » L’écart temporel restait insignifiant à la surface d’une planète, mais, quand le champ de bataille se mesurait en heures-lumière, il avait une énorme importance.

Desjani ravala ostensiblement sa salive. « Je ne voulais pas vous manquer de respect…

— Je sais. Je me sais aussi dépassé de multiples façons, alors j’aime autant que vous continuiez de partir du principe que j’ignore certaines choses. C’est plus sûr, capitaine, et je m’en remets à votre conscience de mes lacunes.

— Oui, capitaine. » Desjani sourit. « Et vous savez aussi à quel point mon équipage et moi-même avons confiance en vous. »

Cette fois, Geary réprima une grimace et indiqua son écran d’un signe de tête pour tenter de changer de sujet de conversation. « Je regrette que ce soit si lent. Dommage que nous ne puissions procéder par micro-sauts plus rapides que la lumière à l’intérieur des systèmes stellaires.

— En effet. Pour moi aussi, l’attente a toujours été le moment le plus pénible, avoua-t-elle. On voit l’ennemi, on sait qu’il est là, mais on va mettre encore près de quatre heures et demie à ramper assez près de cette base de la quatrième planète pour la réduire en un cratère fumant.

— Vous pourriez activer le mouvement. » Tous deux se retournèrent et constatèrent que la coprésidente Rione venait d’apparaître sur la passerelle de l’Indomptable. Elle dévisageait Geary. « Je me trompe ? »

Il haussa les épaules et s’efforça d’ignorer le dédain qu’affichaient les traits de Desjani, qu’il voyait du coin de l’œil. « On pourrait. Mais je n’y tiens pas.

— Pourquoi ? » Rione s’avança, prit place dans un fauteuil inoccupé destiné aux observateurs et s’y sangla avec des gestes aussi précis que prudents.

« Entre autres, parce que les vaisseaux de cette flotte se déplacent déjà à près de 0,1 c. Nous sommes dans l’espace conventionnel et donc soumis aux lois physiques qui le gouvernent. Ce qui signifie, autrement dit, que plus nous irons vite, plus nous subirons les effets relativistes. » Rione le fixait toujours, attendant manifestement qu’il développât ; Geary se posa à nouveau la question : que savait-elle exactement et dans quelle mesure ne le mettait-elle pas à l’épreuve ? « Pour parler le plus simplement possible, plus notre vélocité est élevée, plus notre vision du monde extérieur au vaisseau est distordue. À 0,1 c, nous pouvons encore reconnaître ce que nous voyons avec une certaine précision. Mais plus nous nous rapprochons de la vitesse de la lumière, plus il devient malaisé de déterminer la situation exacte de chaque chose. J’ai déjà le plus grand mal à dire où se trouve l’ennemi et à repérer la trajectoire de ses vaisseaux. Me demander aussi où sont les miens est bien la dernière chose au monde dont j’aie besoin. »