Rione montra l’écran d’un geste. « J’avais cru comprendre que ces écrans présentaient des images compensant si besoin les effets relativistes.
— Madame la coprésidente, répondit le capitaine Desjani, sentant que l’honneur de son vaisseau était de nouveau en jeu, ces systèmes compensent effectivement les effets relativistes avec une efficacité raisonnable parce qu’ils savent ce que fait ce bâtiment. S’agissant de tout autre vaisseau, ils ne peuvent que procéder à une estimation fondée sur leurs observations. Nous n’en recevons qu’une image distordue et décalée dans le temps, de sorte que la précision des corrections subséquentes est variable. L’image que nous en captons peut présenter des différences significatives à chaque instant, en fonction de sa position, de son cap et de sa vélocité. »
Si Rione comptait poser d’autres questions, l’intervention d’une vigie des transmissions l’en empêcha. « Capitaine Desjani, les forces du Syndic présentes dans le système viennent de nous envoyer une sommation. »
Desjani, bien sûr, se tourna vers Geary. Celui-ci fixa l’écran, rembruni, en réfléchissant au délai. « Trop rapide. Corrigez-moi si je me trompe, mais la base de la quatrième planète ne devrait capter qu’à cette minute même un visuel du premier vaisseau de la flotte surgissant du point d’émergence.
— Absolument. » Desjani balaya la passerelle du regard. « Ce signal ne peut que provenir d’une source du Syndic située à quinze minutes-lumière du point d’émergence. Trouvez-la », ordonna-t-elle à ses guetteurs.
Il ne leur fallut que quelques instants, grâce au vaste éparpillement de la flotte. Par triangulation, en collationnant les coordonnées du point à partir duquel divers bâtiments de la flotte particulièrement espacés avaient reçu le signal du Syndic, on localisa aisément son origine. Les senseurs à large spectre se focalisèrent dessus et finirent par repérer un petit objet céleste. « Très petit, précisa la vigie. Ce n’est pas un vaisseau et il n’est pas non plus habité. On peut en conclure qu’il s’agit d’un système automatique chargé de réguler le trafic.
— Pourquoi ne l’avons-nous pas repéré plus tôt ? s’enquit Desjani.
— Il donne l’impression d’être là depuis fort longtemps, capitaine. Très profondément enfoui. Les balayages préliminaires l’avaient vraisemblablement classé comme un fragment d’une ancienne épave dérivant dans le système. »
Conscient du parallèle qu’offrait cette définition avec le dernier siècle de son existence, Geary étudia l’écran en se frottant le menton. Le croiseur Ardent, vaisseau le plus proche de l’objet, s’en trouvait à moins d’une minute-lumière. Ce machin n’est sans doute pas équipé d’un armement, mais il doit en revanche disposer de senseurs qui pourraient aider cette base à nous localiser, voire d’un système d’autodestruction susceptible d’endommager un vaisseau qui s’en approcherait d’assez près. Mieux vaut prévenir que guérir. « Ici le capitaine Geary à bord de l’Indomptable. Ardent, débarrassez-nous de ce truc. »
Il dut attendre deux minutes la réponse. « Ici l’Ardent. C’est fait. » Il fixa son écran, sachant que plusieurs minutes encore s’écouleraient avant qu’il ne vît la preuve de la destruction du satellite par le croiseur.
« Devons-nous répondre au signal, capitaine Desjani ? » insista la vigie.
Elle regarda encore Geary. « Il a dû envoyer un rapport à la base.
— Oui. Il lui parviendra peu après le visuel qu’elle aura reçu de nous, j’imagine. » Geary rumina la question, conscient de mettre en branle des événements et des décisions dont les conséquences seraient lourdes au cours des prochaines heures. Il évitait de songer au nombre de vies humaines dont le sort reposerait sur celles qu’il allait prendre, tant dans le système de Corvus que dans sa flotte.
« Capitaine Desjani, déclara-t-il prudemment, non sans repenser aux défenseurs ébranlés du système de Corvus, veuillez, je vous prie, informer les autorités du Syndic que nous sommes prêts à accepter leur reddition. Diffusez le message dans tout le système. »
Elle lui jeta un regard aussi intrigué que désappointé. « Jusque-là, tout porte à croire que leurs défenses sont extrêmement réduites et désespérément dépassées. Nous n’aurons aucun mal à les vaincre.
— C’est vrai. Mais, s’ils se rendent paisiblement, nous pourrons leur extorquer davantage de provisions et de pièces détachées qu’en les soumettant par la force. Nous pourrions même les persuader d’en produire plus, pourvu qu’ils s’imaginent que ça nous empêchera de ravager tout leur système.
— Ne serait-il pas plus sûr d’éliminer toute velléité de résistance ?
— Non. » Geary secoua ferment la tête. « La perte de leurs possessions dans ce système ne ferait ni chaud ni froid aux Mondes syndiqués, mais, en revanche, tout dégât causé à l’un de nos vaisseaux et toute munition gaspillée nuirait à l’Alliance. À vaincre sans combat, nous nous en tirerions beaucoup mieux. Si nous diffusons immédiatement une demande de reddition, elle sera captée dans tout le système une demi-heure après notre détection. Ce qui leur laissera le temps de prendre conscience d’un rapport de forces écrasant et de commencer à vraiment paniquer au moment de la recevoir. »
Desjani n’en montrait pas moins sa déception, mais elle ravala ses objections suivantes. Quelques minutes plus tard, l’Indomptable diffusait le message tandis que la flotte de l’Alliance continuait de se déverser vers l’intérieur du système à dix pour cent de la vitesse de la lumière.
Geary fixait son écran en regrettant que temps et distance ne s’écoulent pas plus vite. La base du Syndic avait dû maintenant repérer la flotte de l’Alliance mais, même si les corvettes à cinq sous s’ébranlaient en ce moment même, l’Indomptable ne s’en apercevrait que dix minutes plus tard. Il se concentra sur ses propres vaisseaux, s’efforçant de démêler l’écheveau de leurs vecteurs de direction pour tenter de se rendre compte de leur efficacité à prendre la formation. À en juger par leurs difficultés d’interprétation, ils ne se débrouillaient pas si bien que ça. Certes, la vélocité de la flotte lui rendait plus difficultueuse sa redisposition, mais il n’en restait pas moins qu’individuellement les vaisseaux donnaient l’impression d’avoir le plus grand mal à redresser la barre.
« Le commandement du Syndic a répondu à notre sommation, grommela le capitaine Desjani.
— Très bien. » Geary regarda l’heure : la réponse à leur demande de reddition avait dû être promptement envoyée. Il mit un moment à repérer la bonne commande puis se retrouva en train de contempler l’image holographique d’un homme âgé, vêtu d’un uniforme d’officier supérieur du Syndic d’une netteté impeccable mais élimé.
L’homme déglutit ostensiblement, mais il secouait la tête en s’efforçant d’afficher une mine déterminée. « Nous accusons réception de votre message. Mais nous devons décliner votre requête. Je ne suis pas autorisé à livrer à l’ennemi quelque force ou installation de ce système que ce soit. Fin de la transmission. »
Oh, par… Geary laissa échapper un soupir d’exaspération. « “Nous devons décliner votre requête.” Il plaisante ou quoi ? On dirait presque qu’il refuse de nous accorder une valse.