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Il réprima un nouveau juron. Les positions retransmises sur son écran de nombre de ses vaisseaux devenaient de plus en plus indistinctes et il faudrait plusieurs minutes au plus éloigné pour recevoir son dernier ordre. « Aux vaisseaux du troisième escadron de frégates, engagez le combat avec les corvettes du Syndic. Toute unité susceptible d’intercepter le courrier doit s’efforcer de l’arrêter. »

Il s’interrompit et attendit de voir la suite, conscient de ne pas pouvoir mieux faire pour l’instant. Quelques minutes s’écouleraient encore avant qu’il ne sache si on l’écoutait.

Au moins pouvait-il constater que ses croiseurs de combat les rejoignaient. Sans doute ne rattraperaient-ils pas les retardataires avant trois heures, mais ils obéissaient aux ordres.

Au cours des quinze minutes suivantes, il devint évident qu’un peu plus de la moitié des vaisseaux de la flotte qui chargeaient les corvettes avaient commencé de se plier, la queue entre les jambes, à sa dernière instruction. Malheureusement, alors que certains ralentissaient tandis que d’autres continuaient d’accélérer, toute apparence d’ordre s’évanouit au sein de la flotte. Le bout émoussé du cône n’était plus qu’une masse informe, où la position de nombreux vaisseaux de Geary demeurait plus qu’incertaine.

L’image holographique de ses franges extérieures clignotait de manière quasi stroboscopique, à mesure que les images décalées dans le temps se réactualisaient et fusaient d’un point à un autre. Une vingtaine de ses vaisseaux donnaient l’impression d’avoir rebroussé chemin pour intercepter le courrier du Syndic. Pourtant trop loin de tout pour intercepter quoi que ce fût, l’Orion, pour une raison incompréhensible, avait lâché plusieurs spectres vers l’estafette du Syndic, alors que la distance et leurs vitesses relatives interdisaient tout espoir de faire mouche.

Et le croiseur léger du Syndic avait brusquement changé de position ; l’Indomptable le vit finalement accélérer vers la flotte de l’Alliance. Qu’est-ce qu’il fabrique ? Il n’est pas en mesure de protéger ce courrier. L’énorme globule de la flotte s’étirait maintenant dans trois directions différentes : une branche assez mince « s’élevait » un peu de côté vers la trajectoire du courrier, une masse plus importante de vaisseaux continuait de piquer vers les corvettes et la base, et, vers l’arrière, où les unités retardataires commençaient enfin d’assumer la position qui leur avait été assignée, s’amassait une nuée de vaisseaux en expansion. Le croiseur léger avait fait le tour de la quatrième planète et semblait encore accélérer, mû par son puissant système de propulsion, comme s’il se proposait de frôler le fond de la masse de la flotte.

Geary fixait son écran en s’efforçant de percer les intentions du croiseur léger. Les estimations des vecteurs de vitesse et de direction de ce dernier continuaient d’hésiter alors que sa vélocité dépassait 0,1 c et continuait de grimper. Il modifiait aussi légèrement sa trajectoire, par à-coups, de sorte que, tandis que les vaisseaux de l’Alliance n’en captaient que des images décalées et distordues par les effets relativistes, sa position « compensée » sautait d’un point à l’autre et sa trajectoire prévue oscillait férocement dans l’espace. Seules deux certitudes se dessinaient : il accélérait encore et piquait droit sur la flotte de l’Alliance.

Pourquoi ? S’il cherche à fuir, pourquoi traverser notre flotte ? Mais comment compte-t-il engager le combat avec nous ? Si proche et à cette vitesse, il passera à toute allure devant nos vaisseaux sans mieux connaître leur position qu’ils ne connaîtront la sienne. Même avec ce système de propulsion, le temps de ralentir suffisamment pour combattre, il sera…

« Malédiction ! » Geary ne prit même pas garde à la réaction qu’avait déclenchée son juron tonitruant sur la passerelle de l’Indomptable. J’aurais dû m’en rendre compte. J’aurais dû m’en douter bien avant. Un vaisseau doté d’une telle capacité de propulsion est nécessairement conçu pour une procédure particulière. Il désigna d’un geste la zone de son écran où la tache lumineuse représentant le croiseur léger du Syndic clignotait d’un point à un autre. « Il fonce sur le Titan.

— Quoi ? » Le capitaine Desjani avait suivi son geste, stupéfaite. « Comment le pourrait-il ? À cette vitesse, il serait bien incapable de déterminer la position exacte du Titan.

— C’est dans ce but qu’il a été conçu, capitaine Desjani ! J’aurais dû le savoir dès que je l’ai vu ! » Il larda de nouveau l’image holographique de l’index et traça un arc qui traversait le front de la flotte et s’achevait au Titan. « Capacité de propulsion maximale, de manière à pouvoir accélérer si vite et atteindre de si hautes vélocités que les effets relativistes interdisent pratiquement de le prendre pour cible. Une fois qu’il aura esquivé toutes nos unités défensives, bien incapables de le coucher en joue, il se retournera et se servira de la même puissance de propulsion pour freiner, assez rudement pour décélérer à une vitesse lui permettant d’attaquer les cibles faciles protégées par les vaisseaux de guerre. »

Desjani poussa un grognement en étudiant l’écran. « Que les ancêtres me pardonnent ! Il aura atteint sa vélocité maximale en traversant les lignes de nos unités de tête. Nos chances de le toucher sont des plus réduites, à moins de déterminer sa trajectoire avec précision…

— Mais nous ne le pouvons pas ! Nous sommes incapables de la prévoir, puisque nous ignorons où il se trouve exactement ! » Geary s’interrompit puis montra les dents. « Mais, en revanche, nous savons parfaitement où il va.

— Au Titan ? » Les mains de Desjani pianotaient déjà sur ses commandes. Un cône démesurément allongé, dont l’extrémité la plus large était braquée sur la position actuelle (selon les systèmes du vaisseau) du croiseur léger du Syndic, s’inscrivit sur l’écran. « Là. S’il se dirige bien vers le Titan et doit freiner pour décélérer, assez pour obtenir des données fiables en passant à portée de tir, il devra commencer à le faire là, de sorte qu’il croisera la trajectoire du Titan ici ! » Elle montrait du doigt le point où le cône s’était étréci pour ne plus former qu’une aiguille étroite.

Geary opina, momentanément saisi d’une flambée d’exultation. Voilà donc pourquoi le Syndic n’avait pas construit davantage de vaisseaux comme ce croiseur léger. Une fois qu’on avait déterminé quelle était leur cible, les escorteurs postés derrière le gros de la flotte pouvaient l’intercepter juste avant. Mais sa jubilation se dissipa rapidement dès qu’il entreprit d’étudier la zone entourant la trajectoire dessinée par Desjani. Il n’y a strictement rien sur place pour l’arrêter. Les escorteurs du Titan sont encore trop loin, retour de leur traque après ces foutues corvettes, les escadrons de réserve éparpillés un peu partout, et le Titan a pris encore plus de retard depuis que la flotte s’en est éloignée en accélérant.

Et le commandant du croiseur léger du Syndic avait eu la présence d’esprit de comprendre que le Titan était le talon d’Achille de la flotte de l’Alliance. Plus malin que moi, dut reconnaître Geary. Un excellent officier. Dommage que je doive faire mon possible pour le tuer ou la tuer.