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Il se pencha sur le dernier signe d’activité du Syndic dans le système de Corvus. Il pouvait certes déterminer le lieu où parvenaient déjà les ondes lumineuses signalant l’entrée de sa flotte, en observant l’expansion, à la vitesse de la lumière, d’une sphère dans ce système. Bizarre de se dire que le seul monde habité ne serait pas informé avant un certain temps de l’arrivée des bâtiments de l’Alliance et de la destruction, quelques heures plus tard, des trois vaisseaux du Syndic. La guerre avait enfin atteint Corvus, mais la plupart des habitants de ce système n’en auraient vent que dans plusieurs heures.

Il n’avait plus reçu de nouvelles du commandant du Syndic. Soit cet homme s’absorbait dans la lecture de ses « instructions » pour savoir ce qu’il devait faire ensuite, soit il était mort lors du bombardement préliminaire de la base. En songeant à la perte des équipages de deux vaisseaux du Syndic qui avaient combattu jusqu’à la mort, il ne pouvait s’empêcher de pencher pour la seconde explication.

Il tripatouilla ses commandes, finit par trouver celle qui lui permettait d’obtenir des informations sur la base toute proche du Syndic. Certaines images semblaient confirmer qu’elle avait effectivement stocké des provisions et des fournitures pour les vaisseaux qui transitaient par le système. Présumer qu’elles seraient toujours là, même en cas d’abandon de la base, restait assez peu risqué, dans la mesure où les réexporter aurait entraîné des frais supérieurs à leur valeur, tandis que conserver des vivres congelés et à l’abri des intempéries posait rarement un problème sur des planètes habituellement trop éloignées de leur étoile pour jouir d’une atmosphère digne de ce nom. Ces stocks sont censément réservés aux vaisseaux de guerre du Syndic, bien sûr, mais je n’ai nullement l’intention de me montrer pointilleux. J’espère que leur tambouille est meilleure que celle qu’on sert à bord des vaisseaux de l’Alliance, mais j’en doute.

Par mes ancêtres ! Voilà que je me mets à plaisanter, maintenant. Je dois réellement commencer à dégeler.

Je me demande si j’y tiens.

« Capitaine Geary. » Il jeta un regard derrière lui et vit la coprésidente Rione, toujours assise sur son siège de la passerelle, le visage impassible. « Pensez-vous que toute résistance du Syndic dans le système de Corvus a été annihilée ?

— Non. » Il désigna l’écran devant son fauteuil en se demandant ce qu’il devait en montrer à Rione. « Comme vous avez pu le voir, nos fusiliers sont en train de prendre la base militaire de la quatrième planète. Il en existe deux autres autour de la deuxième, celle qui est habitée. On n’y est même pas encore prévenu de notre arrivée.

— Représentent-elles des menaces pour la flotte ?

— Non. Elles sont obsolètes et conçues pour défendre la planète, dont nous n’avons rien à faire. Je ne compte pas me les mettre à dos si je peux m’en passer. »

Elle lui jeta un regard surpris. « Ne devrions-nous pas anéantir tous les moyens militaires du Syndic dans ce système ?

— Ces forteresses ne sont pas une menace pour nous et ne vaudraient d’ailleurs même pas la peine d’être déménagées si le Syndic le souhaitait, répondit Geary. Mais il faudrait que je distraie des vaisseaux pour les détruire, en gaspillant des munitions et en me demandant si les débris de ces forteresses ne risqueraient pas d’endommager des cibles civiles quand elles pénétreraient dans l’atmosphère.

— Je vois. » Desjani opina. « Il serait stupide de dilapider sur elles nos réserves déjà limitées de munitions, et vous ne tenez pas non plus à diviser la flotte.

— Exact. » Rien ne montrait qu’il avait noté l’absence de réaction de Desjani à son évocation de cibles civiles. Du coin de l’œil, il vit que Rione les fixait tous les deux intensément.

La coprésidente montra d’un geste l’écran de Geary. « Vous avez rappelé les forces qui gardaient le point de saut ?

— Oui. Si une flotte en émergeait maintenant, elle serait trop puissante pour que mes croiseurs s’y opposent et je ne suis pas prêt à les sacrifier, eux ni aucun autre vaisseau, dans le seul dessein d’affaiblir l’avant-garde de la flotte du Syndic lancée à nos trousses. »

Rione étudia de nouveau l’hologramme. « Selon vous, nos bâtiments ne battraient pas en retraite assez vite pour nous rejoindre ?

— Oui, madame la coprésidente, c’est bien mon avis. » Tout en parlant, Geary faisait courir son doigt sur l’hologramme. « Voyez-vous, tout ce qui émergerait du point de saut serait probablement lancé à grande vitesse, 0,1 c, disons, exactement comme nous à notre émergence. Tant qu’ils montaient la garde, mes croiseurs épousaient le mouvement du point de saut dans le système, mais son déplacement est beaucoup trop lent. Les Syndics auraient sur eux un très gros avantage en matière de vitesse ; trop important pour que mes croiseurs, ou tout autre vaisseau de cette flotte, puissent les distancer avant d’être réduits à l’état d’épaves. »

Desjani avait suivi l’échange sans l’interrompre, mais elle se tournait à présent vers Rione. « Si nous disposions de vaisseaux automatisés, nous pourrions en sacrifier quelques-uns à cette mission sans prendre le risque de perdre du personnel. Mais nous n’en avons aucun. »

Pressentant, au vu de l’expression de Desjani et de Rione, que cette déclaration cachait un lourd passé, Geary fronça les sourcils. « Cette suggestion a-t-elle été émise ? La construction de vaisseaux de guerre automatisés ?

— Effectivement », répondit sèchement Rione.

Les traits du capitaine Desjani se durcirent. « De l’avis de nombre d’officiers, si la construction de vaisseaux dépourvus d’équipage et contrôlés par des intelligences artificielles était approuvée, nous en tirerions de gros avantages dans une situation comme celle-ci. »

Rione soutint le regard de Desjani. « Eh bien, je crains fort que ces officiers ne connaissent une grosse déception. Une de mes dernières activités avant de quitter l’espace de l’Alliance avec cette flotte a été de participer à un vote de l’assemblée de l’Alliance sur le lancement d’un tel programme. La motion a été largement battue. Le gouvernement civil de l’Alliance ne tient pas à confier des armes, ni la décision quant à leur emploi, à des intelligences artificielles, surtout si on laisse à ces IA le contrôle de vaisseaux capables d’infliger d’énormes dégâts à des planètes habitées. »

Desjani piqua un fard. « Si l’on mettait aussi en place des IA de surveillance…

— Elles seraient sujettes aux mêmes faiblesses potentielles ; instabilité et comportement imprévisible.

— Installons une directive ! »

Rione secoua implacablement la tête. « Toute IA capable de contrôler un vaisseau de guerre serait aussi en mesure d’apprendre à l’outrepasser. Et qu’arriverait-il si l’ennemi apprenait à y accéder par l’espionnage ou l’expérimentation ? Je me refuse à lui donner le contrôle de vaisseaux que nous avons construits. Non, capitaine, nous ne pensons pas pouvoir nous fier à des IA opérant de façon autonome. Et je vous promets que l’assemblée de l’Alliance n’est pas prête à se laisser fléchir là-dessus. Pas pour l’instant, ni même dans un futur proche. »

Fumace, Desjani se fendit d’un signe de tête tout juste courtois et se tourna vers son écran.

« Quoi qu’il en soit, reprit Geary en feignant d’ignorer la querelle qui venait de les opposer, maintenant que nous avons éliminé les forces spatiales du Syndic dans ce système, je vais, par la force, exiger de cette planète habitée qu’elle nous fasse parvenir des cargos remplis à ras bord de tout ce qu’il nous faut. De vivres, principalement. Et peut-être aussi quelques batteries d’énergie, du moins si nous pouvons adapter au nôtre le matériel du Syndic. »