Un officier aux cheveux striés de gris secoua la tête à côté de lui. « Impossible, capitaine. Il est délibérément conçu pour rester incompatible. Tout comme leurs armes. Mais, si nous parvenons à leur extorquer les matériaux bruts requis, le Titan et le Djinn pourront usiner d’autres armes. Le Titan peut également fabriquer d’autres batteries. Le Sorcier aussi.
— Merci. » Geary s’était efforcé de témoigner autant d’appréciation qu’il en éprouvait pour ce court et précis briefing. « Ces vaisseaux peuvent-ils me faire part de leurs besoins ?
— Nous détenons toutes les informations nécessaires à bord de l’Indomptable, capitaine. Pourvu, bien sûr, que les dernières actualisations soient fiables.
— Vous êtes aux Fournitures ? »
L’officier grisonnant salua maladroitement, comme si ce geste lui était inhabituel. « Au Génie, capitaine.
— Vérifiez que nous sommes bien informés des besoins prioritaires de chacun de ces vaisseaux.
— À vos ordres, capitaine ! » L’officier rayonnait, visiblement honoré de se voir confier une mission par Geary.
Ce dernier se tourna vers Desjani. « Au moins aurai-je la certitude d’exiger des Syndics de ce système un tribut approprié. »
La coprésidente Rione se leva, fit quelques pas et se pencha sur Geary. « En faisant de telles réquisitions, capitaine Geary, vous informez aussi les Syndics de nos plus graves lacunes », murmura-t-elle, assez bas pour ne se faire entendre que de lui et de Desjani.
Celle-ci fit la grimace. Geary la devina mécontente, mais il devait reconnaître que Rione avait raison. « Des suggestions ? marmonna-t-il sur le même ton.
— Oui. Incluez quelques fausses pistes dans vos requêtes. Les Syndics ne sauront pas distinguer celles de vos exigences qui correspondent à nos besoins réels de celles qui ne seront qu’un “luxe”, faute d’un terme mieux adapté.
— Bonne idée. » Geary lui adressa un sourire en biais. « Vous n’auriez pas aussi, par hasard, une petite idée de l’autorité à laquelle nous devrions présenter ces requêtes ?
— Seriez-vous en train de me recruter, capitaine Geary ?
— Je n’emploierais pas ce terme, madame la coprésidente. Mais vous avez tous les talents requis, et, si vous consentiez à vous porter volontaire pour cette fonction avant que je ne vous l’offre, ce serait fort aimable à vous.
— J’y songerai. » Rione désigna de nouveau l’écran de Geary du menton. « Je crois comprendre la majeure partie de ce qui se produit actuellement, à l’exception de l’activité qui règne autour de la corvette qui s’est rendue.
— On la dépouille de toutes les pièces détachées qui pourraient nous servir », lui assura Geary. Il concentra lui-même son attention sur cette information puis se rembrunit et l’étudia plus attentivement. Il lança à Desjani un regard inquisiteur, mais elle lui signifia qu’elle ne voyait strictement rien d’anormal, ce qui ne manqua pas de le turlupiner davantage, et il tendit la main vers ses commandes de communication. « Audacieux, pourquoi toutes les capsules de survie de la corvette du Syndic convergent-elles vers vous ? »
L’autre vaisseau n’était pas loin, de sorte que sa réponse leur parvint presque en temps réel. « Nous pouvons cannibaliser certains équipements de ces modules, capitaine. Les rations et les supports vitaux d’urgence en particulier.
— Comptez-vous laisser la corvette intacte ? » Non qu’elle représentât d’ailleurs une très grande menace, mais Geary n’avait nullement l’intention de laisser derrière lui un seul vaisseau de guerre ennemi opérationnel, que ses systèmes de combat eussent ou non été détruits.
« Non, capitaine, répondit l’Audacieux. Elle sera désintégrée dès que nous aurons fini de la dépouiller, par la surcharge d’un réacteur dont l’explosion sera déclenchée par télécommande. »
Geary patienta, mais, constatant que l’Audacieux n’ajoutait rien, il enfonça la touche des communications. « Qu’avez – vous l’intention de faire de son équipage, Audacieux ? » s’enquit-il. Il ne tenait pas à distraire un vaisseau de la flotte en l’envoyant déposer les prisonniers à la surface d’une planète ou en quelque autre lieu sûr.
« Il est toujours à bord de la corvette, capitaine. » Au son de sa voix, on comprenait que la question de Geary avait surpris son interlocuteur.
Geary attendit encore un instant que l’Audacieux finît de répondre à sa question. Il allait de nouveau presser la touche des communications quand il se rendit compte, horrifié, que la réponse était achevée. « Qu’avez-vous l’intention de faire de son équipage ? – Il est toujours à bord de la corvette, capitaine. » Et la corvette allait être détruite par l’explosion de son propre réacteur.
Il regarda sa main, son index toujours posé sur la touche, et constata que son avant-bras tremblait. Il se demanda dans quelle mesure son organisme réagissait au choc qu’il venait d’éprouver en comprenant les implications de cette réponse. Ils vont tout bonnement faire sauter les prisonniers avec leur bâtiment. Par mes ancêtres, qu’est-il donc advenu des miens ? Il jeta un regard au capitaine Desjani, qui discutait avec une des vigies de l’Indomptable et avait l’air de se désintéresser de sa conversation avec l’Audacieux. Rione, quant à elle, semblait de nouveau assise derrière lui, hors de son champ de vision.
Il ferma les yeux en essayant de rassembler ses idées puis les rouvrit lentement et, finalement, avançant le doigt avec la plus grande prudence, il relança la communication. « Audacieux, ici le capitaine Geary. » Vous vous apprêtez à commettre un meurtre collectif, tas de salauds. « Renvoyez immédiatement ces modules de survie à la corvette du Syndic. »
Quelques secondes s’écoulèrent. « Capitaine ? demanda l’Audacieux. Vous vouliez qu’on les détruise, non ? Nous pouvons réemployer certains de leurs composants. »
Geary fixa le vide devant lui et répondit d’une voix sourde : « Ce que je veux, Audacieux, c’est qu’on autorise l’équipage de cette corvette à l’évacuer dans ces modules de survie pour se mettre à l’abri avant sa destruction. Est-ce bien clair ? »
De nouveau un blanc, encore plus long. « Nous sommes censés les laisser partir ? » La voix du capitaine de l’Audacieux trahissait son incrédulité.
Geary remarqua que le capitaine Desjani le fixait. Il reprit la parole, ignorant son regard, et martela lentement et pesamment chacun de ses mots. « C’est exact, Audacieux. La flotte de l’Alliance n’assassine pas ses prisonniers. Elle n’enfreint pas non plus les lois de la guerre.
— Mais… mais… nous avons… »
Le capitaine Desjani se pencha sur lui. « Les Syndics… » murmura-t-elle d’une voix pressante.
Geary perdit tout contrôle. « Je me moque de ce qui s’est passé avant ! rugit-il, s’adressant tout à la fois au circuit de communication et à la passerelle de l’Indomptable. Je me moque de ce que fait l’ennemi ! Je ne permettrai pas à un seul vaisseau sous mon commandement de massacrer des prisonniers ! Je ne laisserai pas déshonorer cette flotte, l’Alliance et les ancêtres de tous ceux qui se trouvent à bord de mes vaisseaux par des crimes de guerre perpétrés sous les yeux des étoiles omniscientes ! Nous sommes des spatiaux de l’Alliance et nous nous conformerons au sens de l’honneur auquel croyaient nos ancêtres ! D’autres questions ? »