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Geary opina de nouveau ; le regard de Rione le mettait mal à l’aise. « Je n’ai jamais cru que l’Alliance ait pris tout à trac la décision d’enfreindre les lois de la guerre. Le processus a dû s’enclencher comme vous venez de le décrire. On commence par dévaler la pente glissante pour se retrouver tout en bas sans avoir vraiment compris ce qui s’était passé. Tout cela en raison de ce vieil argument : qui veut la fin veut les moyens. On se donne le droit de transgresser les règles parce qu’il est essentiel de gagner.

— Vieux et erroné, n’est-ce pas ?

— Il me semble. Si l’Alliance prend modèle sur le Syndic, à quoi bon en triompher ?

— Je vous ai entendu le dire. Je suis d’accord. » Rione le salua d’une inclinaison de la tête. « Vous nous avez remis en mémoire qui nous étions jadis, capitaine Geary. Et vous avez eu le courage et la correction de vous conformer aux comportements honorables auxquels vous tenez, serait-ce en prenant le risque de vous aliéner ceux qui croient en vous dans cette flotte et sont prêts à vous suivre. »

Geary secoua la tête. « Je ne suis pas un homme courageux, madame la coprésidente. J’ai simplement agi d’instinct.

— En ce cas, j’espère que vous continuerez de suivre cet instinct. À notre première rencontre, je vous ai dit que je n’avais pas besoin de héros et que je craignais de vous voir mener cette flotte à sa perte. Je reconnais volontiers m’être trompée jusque-là. » Elle inclina de nouveau la tête et prit congé.

Geary réfléchit à ce que Rione venait de lui dire en se frottant le front. Elle ne m’a pas exactement approuvé sans condition, pas vrai ? Je n’ai pas, « jusque-là », réalisé ses pires prévisions. Mais ce n’est pas grave. Elle m’aidera à rester honnête avec moi-même. Pas envie de me retrouver à croire que je mérite tous ces regards d’adoration qu’on me prodigue dans cette flotte.

Il songea à remonter sur la passerelle de l’Indomptable puis se dit qu’il lui faudrait affronter les visages de ceux qui s’y trouveraient. J’ai eu ma dose de drame pour aujourd’hui, me semble-t-il. Il se contenta donc de l’appeler pour annoncer qu’il allait prendre un peu de repos et s’assurer qu’on le réveillerait s’il se passait quelque chose d’important.

Sept heures plus tard, une sonnerie le tirait du sommeil en sursaut. « Ici Geary. » Il s’efforça de se réveiller complètement, désagréablement surpris de se sentir si fatigué après avoir dormi si longtemps. De toute évidence, il ne s’était pas rétabli autant qu’il l’avait cru de sa longue hibernation.

« Ici la passerelle, capitaine Geary. Pardon de vous réveiller, capitaine. Vous avez demandé qu’on vous prévienne…

— Ouais, ouais. De quoi s’agit-il ?

— Nous avons repéré d’importants éléments de la flotte du Syndic au point d’émergence. Le capitaine Desjani estime qu’il s’agit du principal détachement lancé à notre poursuite. »

Six

« Je crains de devoir tomber d’accord avec votre estimation, capitaine Desjani. » Geary avait comptabilisé les vaisseaux sortis jusque-là du point d’émergence. Un essaim d’avisos ouvrait la voie à de nombreux escadrons de croiseurs lourds. Dans la mesure où la flotte de l’Alliance faisait directement face au point de saut, les éléments de pointe du Syndic tendaient à masquer ceux qui les suivaient, mais la présence à l’arrière de plusieurs escadrons de croiseurs et de cuirassés était d’ores et déjà confirmée. « Un tas de cochonneries bloquent la vue du point de saut. »

Desjani sourit. « Vous avez ordonné qu’on pose des mines à la sortie, capitaine. »

Oh, ouais. Geary jeta un nouveau coup d’œil. « Combien en a-t-on eu ?

— Ils ont exploré le champ de mines avec des chasseurs et des croiseurs légers, capitaine. À leurs dépens. Nous estimons que quinze de leurs vaisseaux sont perdus ou gravement endommagés. Les champs de débris que nous voyons corroborent cette évaluation. »

Émerger de l’espace du saut pour foncer droit dans un champ de mines. Ils n’ont sans doute même pas compris ce qui les frappait. « À votre avis, leurs forces se réduisent-elles à ce que nous pouvons en voir ? »

Desjani lui jeta un regard signifiant qu’elle le croyait désireux de combattre davantage d’ennemis puis étudia son écran. « Il pourrait y avoir une autre vague derrière. Mais, si c’est tout, nous pouvons les vaincre. »

Geary remarqua que sa voix, à cette perspective, oscillait entre excitation et anxiété. Tout l’entraînement de Desjani la poussait à foncer tête baissée dans l’action, mais, la dernière fois qu’elle avait affronté une flotte importante du Syndic, la bataille s’était soldée pour elle par une sévère rossée.

« Nous pourrions », renchérit-il avec une assurance qu’il n’éprouvait pas réellement. Après avoir vu sa flotte transformer en un sombre méli-mélo son dernier engagement avec une force plus réduite du Syndic, il n’aspirait pas franchement à la lancer de sitôt dans une bataille plus décisive. Il était néanmoins conscient de devoir feindre la plus grande confiance. Si d’aventure le bruit courait (et ça ne manquerait pas) qu’il ne croyait pas lui-même à la capacité de ses troupes à l’emporter, leurs chances seraient réduites à néant avant même le premier tir. « Mais il nous faudrait rebrousser chemin pour les combattre. Je ne vois aucune raison de m’y résoudre. » Il s’était efforcé, par son ton, de laisser croire que la flotte du Syndic ne méritait pas ce dérangement. « Je n’ai pas envisagé de livrer d’autres combats dans ce système. »

Visiblement, il y avait plus ou moins réussi. Desjani et les vigies présentes sur la passerelle de l’Indomptable opinèrent toutes d’un air entendu.

Il tripota ses commandes en tentant de décider son écran à afficher les probabilités pour que la flotte du Syndic rattrape celle de l’Alliance. « Est-ce que j’ai bien fait mon compte ? » marmonna-t-il à l’intention de Desjani.

Elle jeta un regard sur l’hologramme et, au bout d’une minute, hocha de nouveau la tête. « Oui. Nous ne sommes plus qu’à quatre heures-lumière environ de notre destination. Soit quarante heures encore de traversée si nous continuons de filer à 0,1 c, mais, même si nous devions ralentir pour une raison ou une autre, nous conserverions une bonne avance. Nous atteindrons le point de saut pour Caliban avant qu’ils n’aient pu nous rattraper et nous retarder davantage. Desjani sourit. « Certains capitaines de la flotte se demandaient pourquoi nous n’avions pas pris plus de temps pour piller ce système. Ça devrait répondre à leur question. »

Ébranlé tant par le ton confiant de Desjani, laissant clairement entendre qu’elle voyait dans ce succès la preuve de l’infaillibilité de Black Jack Geary, que par l’annonce qu’elle venait de lui faire, selon laquelle quelques-uns de ses capitaines avaient assez ouvertement contesté ses décisions devant quelqu’un d’aussi manifestement loyal qu’elle, Geary eut un sourire fugitif.

Puis il remarqua un autre détail sur son écran. « C’est quoi, ça ? Qui sont ces gens ? » Il montra un amas de vaisseaux montant de la planète habitée à une allure nonchalante. S’ils se déplaçaient certes plus lentement que la flotte de l’Alliance, ils n’en venaient pas moins au-devant d’elle sur une trajectoire d’interception. « Ce sont des Syndics, mais ils sont classés comme non hostiles. »