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— Vous voulez parler de ce qui s’est passé avec Vebos ?

— Oui. C’était destiné à encourager les autres, j’imagine ? »

Il fronça les sourcils en se demandant où il avait déjà entendu cette phrase. « Pas tout à fait. Vebos a donné la preuve qu’il n’était pas assez intelligent pour assumer le commandement d’un vaisseau. Il ne s’agit pas de moi. Mais du sort de l’équipage de l’Arrogant et de tous ceux qui dépendront du comportement de ce vaisseau. »

Elle lui jeta un regard empreint d’une infime touche de scepticisme. Geary lui décocha le plus fugace des sourires puis quitta la passerelle.

S’étant préalablement assuré qu’on le sonnerait pour le réveiller, il y revint quelques heures plus tard lorsque la flotte de l’Alliance sauta hors du système stellaire de Corvus, talonnée de très loin par ses poursuivants du Syndic.

Il contemplait depuis un bon moment les étranges lueurs de l’espace du saut, affalé sur un fauteuil de sa cabine et conscient que deux semaines de transit dans cet espace attendaient encore la flotte avant qu’elle ne sût enfin ce qui la guettait à Caliban. J’ai tellement à faire et si peu de possibilités de le réaliser pendant le saut, compte tenu de mes moyens rudimentaires de communication avec le reste de la flotte tant que nous ri aurons pas regagné l’espace conventionnel. Je devrais me contenter de me reposer. D’essayer de recouvrer mes forces, des forces qui ne me sont pas revenues depuis qu’on m’a réveillé de mon hibernation.

Les médecins de la flotte, que son état physique avait fait tiquer, lui avaient prescrit certains médocs, de l’exercice et du repos. Tâchez d’éviter le stress, l’avaient-ils prévenu. Il s’était borné à les fixer en se demandant s’ils étaient conscients, dans son cas, du grotesque de cette prescription.

Ce qui empirait encore les choses, c’était qu’il ne savait pas exactement jusqu’à quel point il pouvait révéler sa faiblesse à des tiers. Desjani vénérait sans doute jusqu’à l’air qu’il respirait, mais il ignorait comment elle réagirait si elle finissait par se convaincre qu’il n’était pas un héros envoyé par les vivantes étoiles. Ce serait sans doute différent s’il avait eu, avec elle ou un autre officier, une relation de travail à long terme. Mais, dans la mesure où il avait littéralement resurgi du passé pour tomber sur la flotte, il n’en connaissait aucun intimement.

Rione, elle, ne l’adulait pas et ne serait sans doute pas surprise de l’entendre lui confier ses inquiétudes. Elle risquait même d’être de bon conseil puisque, jusque-là, il avait toujours été impressionné par la qualité de son jugement. Mais il ne savait pas jusqu’à quel point il pouvait se fier à la coprésidente de la République de Callas. La dernière chose dont il avait besoin, c’était d’une politicienne instruite de ses petits secrets et susceptible de les troquer avec ses ennemis contre les avantages qu’ils pourraient éventuellement lui rapporter.

Personne à qui parler, personne avec qui partager le fardeau du commandement.

Non, c’était faux. De fait, il y avait bien quelqu’un à qui il devait depuis longtemps une conversation. J’ai l’air malin de parler d’honorer mes ancêtres alors que je ne leur ai même pas présenté mes respects officiellement depuis ma sortie d’hibernation.

Il afficha des directions dans le secteur de l’Indomptable qu’il recherchait, persuadé qu’en dépit de tous les autres bouleversements ce lieu existerait encore à bord du vaisseau. Et c’était le cas. Il s’extirpa de son fauteuil, consulta l’heure pour s’assurer que le compartiment en question ne serait pas bourré de monde, rajusta son uniforme, prit une profonde inspiration puis piqua vers le secteur ancestral.

Deux ponts plus bas et tout près de l’axe de l’Indomptable, sa destination se trouvait dans une des zones les mieux protégées du bâtiment. Il fit halte devant l’écoutille donnant accès au compartiment ancestral, constata avec soulagement que personne n’était là pour l’y voir entrer, puis la poussa et se retrouva face à une enfilade de petites cabines aussi familières que rassurantes. Il en choisit une au hasard, inoccupée, referma soigneusement sa porte insonorisée puis prit place sur le banc de bois traditionnel installé devant la petite étagère où reposait une simple bougie. Il prit le briquet posé juste à côté, alluma la bougie et la fixa un instant en silence avant de pousser un soupir. « Pardon d’avoir mis si longtemps, honorables ancêtres, s’excusa-t-il en s’adressant aux esprits que la lumière et la chaleur de la flamme devaient censément attirer. J’aurais dû rendre hommage à mes ancêtres depuis longtemps, mais, comme vous le savez certainement, les événements se sont bousculés. Et j’ai dû régler de nombreux problèmes que je n’étais pas préparé à affronter. Certes, ce n’est pas une excuse, mais j’espère que vous voudrez bien me pardonner. »

Il s’interrompit. « Vous vous demandiez peut-être où j’étais tout ce temps. Peut-être aussi le saviez-vous. Peut-être Michael Geary vous en a-t-il informés à présent, si, comme je le crains, il est mort à bord de son vaisseau. Permettez-moi de vous dire qu’il vous a fait honneur. S’il vous plaît, dites-lui de ma part que je regrette de ne l’avoir pas mieux connu.

» Il s’est passé beaucoup de temps depuis ma dernière visite. Il y a eu de grands changements, la plupart, sinon tous, dans le mauvais sens. C’est du moins ce que je crois. Je peux difficilement prétendre me passer des conseils et de tout le soutien qu’on pourrait me prodiguer. Quoi que vous puissiez faire pour moi, je vous en serai reconnaissant. Je vous remercie sincèrement de l’aide que vous nous avez déjà apportée en nous permettant d’arriver jusque-là. »

Il marqua une nouvelle pause, non sans se demander pour la énième fois pourquoi le fait de s’adresser à ses ancêtres lui inspirait autant de réconfort. Il ne se regardait certes pas comme un croyant invétéré mais n’en avait pas moins toujours l’impression, à ces occasions, que quelqu’un l’écoutait. Et, si l’on ne pouvait faire des confidences à ses propres ancêtres, à qui d’autre se fier ? « Je suis dans une situation très difficile. Je fais de mon mieux, mais je ne suis pas certain que ce soit suffisant. Nombre de gens dépendent de moi. Certains vont mourir. Je ne peux pas faire comme si cela n’arrivera pas. Même si je ne prends que de bonnes décisions, cette flotte perdra obligatoirement quelques vaisseaux avant de rentrer à bon port. Si je commets des erreurs… » Il s’interrompit en songeant au Riposte. « Si je commets d’autres erreurs, de nombreuses personnes pourraient mourir.

» Le voyage sera long jusqu’à l’espace de l’Alliance. Je ne sais même pas ce que nous trouverons à notre arrivée. J’espère pouvoir mettre hors de combat assez de vaisseaux syndics pour les empêcher d’exploiter notre défaite dans leur système mère. Mais nous n’aurons aucun moyen de savoir si les Syndics n’ont pas profité, pour fondre sur l’Alliance, des avantages que leur ont rapportés leur victoire et l’actuelle incapacité de la flotte à intervenir. Du moins, pas avant de nous en être suffisamment rapprochés pour obtenir des renseignements crédibles. »

Il s’interrompit de nouveau. « Ce n’est pas tant pour moi que je m’inquiète. J’ai l’impression que j’aurais dû mourir voilà un siècle. Mais je ne peux pas m’abandonner à ce sentiment parce que je me soucie du sort de tous ces gens qui ont placé tant de confiance en moi. Aidez-moi, s’il vous plaît, à prendre les bonnes décisions et à faire les bons choix, pour que je perde le moins d’hommes et de vaisseaux possible. Je vous promets de faire de mon mieux pour vous contenter, vous et les vivants. »