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Un nuage assombrit les traits de Duellos. « Je vous envie, capitaine », déclara-t-il à voix basse.

Geary hocha la tête et lui décocha un mince sourire. « Ouais. Je n’ai vraiment aucune raison de me plaindre, n’est-ce pas ? Je vous remercie pour votre sincérité, capitaine Duellos. J’apprécie la franchise de vos avis. »

Duellos s’écarta d’un pas, s’apprêtant à disparaître, puis se figea. « Puis-je vous demander comment vous réagiriez si une flotte du Syndic surgissait à Caliban ?

— En comparant les choix qui s’offriraient à moi et en optant pour le meilleur en fonction des circonstances.

— Bien entendu. Je suis certain que vous prendrez une position “inspirée”, capitaine. » Duellos salua et son image s’évanouit.

Geary se retrouva de nouveau seul dans une salle désertée et passa un bon moment à fixer l’hologramme des étoiles qui flottait au-dessus de la table de conférence.

Neuf

Les spécialistes du Génie de l’Alliance durent eux-mêmes convenir que les installations du Syndic à Caliban avaient été efficacement préservées. On avait coupé l’énergie, déconnecté et déménagé les générateurs, tout le reste de l’équipement avait été emballé et rangé, et l’atmosphère de ces installations déshydratée au maximum puis expulsée juste avant qu’on les referme hermétiquement. Tout y était congelé, mais également protégé des ravages causés par les variations de température, les gaz corrosifs et autres menaces.

Au premier coup d’œil, les images qui parvenaient donnaient l’impression de salles qu’on venait à l’instant de quitter, au terme d’une rude journée de labeur. Ce n’est qu’en prenant conscience de la netteté anormale de tous les contours et du fait que les rayons lumineux ne se diffusaient pas comme dans une atmosphère que Geary comprit, à la seule vue de ces images, que ces installations étaient privées d’air.

« Regardez-moi ça ! » s’exclama Desjani. Ils étaient assis dans la salle de conférence, mais, cette fois, les dimensions apparentes de la table restaient réduites. En revanche, à son extrémité, une large fenêtre projetée au-dessus de la table montrait les images vidéo transmises par chaque éclaireur dont ils empruntaient la vision tandis que ces hommes inspectaient les installations du Syndic. Celui qu’ils suivaient actuellement des yeux traversait ce qui avait dû être le siège administratif de la direction politique du système. Des rangées et des rangées de bureaux dans des box identiques, tous laissés dans le même état, chaque objet placé de la même manière au même endroit. « Ils ont dû affecter à ce boulot des gens dont la seule mission, avant leur départ, était d’inspecter les bureaux un à un pour vérifier que tout était bien rangé comme il faut.

— J’ai connu des types qui adoraient ça, fit remarquer Geary.

— Moi aussi. » Desjani sourit brusquement. « Et voici les bureaux de ceux qui sont partis les derniers. »

Geary ne put s’empêcher de sourire à son tour. Dans la dernière rangée, plusieurs bureaux en désordre montraient des gobelets depuis longtemps asséchés au milieu de paperasses et de documents éparpillés, sans compter des restes de casse-croûte déshydratés et congelés. « À croire que nos inspecteurs sont partis avant ces bureaucrates, pas vrai ? Ah, ceci pourrait être intéressant. » L’éclaireur de l’Alliance entrait dans le bureau principal, qui contenait encore un fauteuil luxueux, une batterie d’écrans bien plus sophistiqués et une console de travail. « Je me demande quel effet ça fait. D’abandonner quelque chose pour toujours. De quitter un cadre où l’on a travaillé pendant Dieu sait combien de temps en sachant qu’on a fort peu de chances d’y remettre un jour les pieds. En sachant que personne ne vous prendra votre poste puisqu’il n’existera plus.

— Un peu comme d’appartenir à l’équipe de déclassement d’un vaisseau, dirait-on, suggéra Desjani.

— Ouais. Ça vous est déjà arrivé ? »

Elle hésita un instant. « Nous n’avons pas eu le luxe de retirer de nombreux vaisseaux de la circulation depuis que je suis dans la flotte, capitaine. »

Le visage brûlant, Geary, honteux d’avoir posé une question aussi bête, sentit le rouge lui monter aux joues. « Pardon. J’aurais mieux fait de me taire. » Alors que la flotte construisait des vaisseaux aussi vite que possible pour remplacer ses pertes, on pouvait parier sans trop de risques qu’aucun bâtiment, si vétuste fût-il à la fin de son service, ne serait gentiment conduit vers de verts pâturages pour y brouter paisiblement jusqu’à sa mort.

Mais Desjani était déjà passée à autre chose. Elle indiqua de nouveau l’image d’un hochement de tête. « On voit encore distinctement l’emplacement de chaque article personnel. Celui qui occupait ce bureau y est resté de longues années. » Geary plissa les yeux pour repérer les emplacements plus sombres, rectangulaires ou oblongs. « J’imagine. Je me demande où est allé ce type en quittant Caliban.

— Peu importe. Où que ce soit, c’est probablement pour collaborer à l’effort de guerre des Mondes syndiqués. »

Il ne répondit pas avant un moment, mais il savait qu’elle avait raison. « Ouais. C’est quoi, ça ? »

Desjani suivit son regard en fronçant les sourcils : l’objet, blanc, plat et rectangulaire, reposait sur le dessus du bureau. L’éclaireur qu’ils observaient contourna prudemment le meuble jusqu’à faire le point dessus. « Une note, signala-t-il. Un peu effacée mais encore lisible. » Il se pencha davantage pour la lire. « Alphabet standard universel. À qui de droit. Le… tiroir… de gauche… est coincé. La… machine à café… ne fonctionne pas. Le… L’édulcorant et le café sont dans le tiroir de droite du bureau… Prenez bien soin de… tout. » L’éclaireur se redressa. « Je ne peux pas lire la signature. »

Le froncement de sourcils de Desjani vira à un sourire qui s’effaça lentement. « Pour la première fois autant que je m’en souvienne, capitaine Geary, j’ai envie de rencontrer un Syndic. Je pourrais apprécier celui qui a écrit cette note. » Elle se tut un instant. « Je n’ai jamais songé à un Syndic comme à quelqu’un qui me serait sympathique. »

Geary opina du bonnet. « Un jour, si nos ancêtres le veulent, cette guerre prendra fin et il nous sera donné de revoir en ces types-là des êtres humains comme nous. À ce que je sais de cette guerre, ça ne doit guère vous intéresser, mais c’est pourtant nécessaire. Nous ne pouvons pas permettre à la haine de régir à jamais nos relations avec les Syndics. »

Elle médita quelques instants ses paroles avant de répondre : « À moins que nous ne soyons pas meilleurs qu’eux. Comme vous l’avez dit vous-même en parlant de notre façon de traiter les prisonniers.

— Ouais, d’une certaine manière. » Il tapota la touche des communications pour s’adresser à l’éclaireur. « Pourriez-vous dire depuis quand on a fermé ce local ? »

L’éclaireur montra le document. « Cette note est datée d’après le calendrier syndic. Une petite minute, capitaine, je procède à la conversion. » Il reprit la parole au bout d’un instant. « Quarante-deux ans, capitaine, si cette date est exacte. Je crains que le café qu’ils ont laissé derrière eux ne soit un poil éventé, mais il sera toujours meilleur, probablement, que celui qu’on sert sur nos vaisseaux.