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« Fox cinq ? » s’enquit une voix. La coprésidente Rione, elle, l’ignorait complètement. « Qu’est-ce que ça implique ? »

Geary, qui ne s’était pas rendu compte qu’elle était montée sur la passerelle à un moment donné de la dernière heure, se retourna pour lui sourire. « C’est une façon de disposer mes forces. Passablement complexe, en comparaison de la manière dont se sont récemment livrés les combats, mais qui devrait se révéler très efficace.

— Comment ?

— Nous avons la supériorité numérique. Il s’agit simplement d’obtenir de ces unités plus nombreuses qu’elles frappent l’ennemi de concert afin d’enfoncer ses défenses. »

Rione avait l’air sceptique. « Si je comprends bien ce que montent ces écrans, vos vaisseaux s’écartent dans des directions différentes.

— C’est l’idée générale. Trop de bâtiments en une seule formation, c’est s’interdire de les employer tous ensemble. Un contingent ennemi qui engage le combat sur un flanc ne peut être attaqué par des unités présentes sur l’autre. »

Elle secoua la tête. « Ce que je vois, c’est que vous éparpillez vos forces. Comment est-ce que ça peut vous permettre de les faire collaborer ?

— Vous allez devoir y assister en pratique, je le crains. » Il se sentait trop fébrile et excité pour continuer d’expliquer à une civile les rudiments de la tactique de la flotte. Il avait l’expérience des manœuvres d’une flotte, s’y était exercé sous les ordres de capitaines et d’amiraux dont l’habileté l’avait abasourdi, et, en outre, il avait passablement pratiqué la simulation de ces manœuvres au cours des deux dernières semaines. Mais c’était la première fois qu’il s’y livrait sérieusement, la première fois qu’un grand nombre de bâtiments manœuvreraient et engageraient réellement le combat sous ses ordres, la première fois que le sort de tant de vaisseaux, voire de la flotte tout entière, reposerait sur ses décisions.

Il se concentra sur l’hologramme pour tenter de se calmer. Les vaisseaux commençant de se repositionner en réponse à ses ordres, le corps principal de la flotte se divisa en trois groupes. Celui qui s’alignait sur l’Indomptable était considérablement plus grand que les deux autres : une sorte d’ovale aplati qui faisait face à la flotte du Syndic en approche. D’autres bâtiments formaient progressivement, en se déplaçant vers une position située à un peu plus de trente secondes-lumière au-dessus et en avant du vaisseau amiral, un cercle plat incluant le deuxième groupe du corps principal, tandis qu’un second cercle, constitué des vaisseaux du troisième groupe, se dessinait à trente secondes-lumière, toujours en avant de l’Indomptable mais en dessous. Ensemble, ces trois formations évoquaient un énorme casse-noix attendant les Syndics, dont la base serait centrée sur l’Indomptable et les deux mâchoires disposées verticalement de part et d’autre de la trajectoire adoptée par leurs vaisseaux.

D’un côté et un peu en retrait, mais à la même distance de trente secondes-lumière, deux disques plus petits, alignés perpendiculairement au corps principal, s’épanouissaient rapidement, tandis que des unités légères (pour la plupart croiseurs légers et destroyers, avec un saupoudrage de croiseurs lourds) fonçaient occuper leur poste pour former les joues du casse-noix.

Pour leur part, les auxiliaires et les vaisseaux de guerre affectés à leur escorte battaient en retraite derrière les lignes de combattants.

Et les six sections de la flotte de l’Alliance continuaient de se déplacer à une allure délibérément régulière de 0,03 c, en épousant la trajectoire et le pas fixés par l’Indomptable ; elles avaient quitté l’orbite autour de Caliban qu’elles occupaient depuis deux semaines et filaient dans l’espace vers une interception de la flotte du Syndic.

Geary poussa un discret soupir de soulagement en voyant les vaisseaux se plier à ses ordres. Aucun ne donnait l’impression de vouloir se glisser dans une position qui ne lui aurait pas été affectée, aucun ne prenait les devants pour tenter d’engager le premier le combat. Il fit néanmoins la grimace en réexaminant les formations. Il devait impérativement transmettre une autre instruction, confirmer les dispositions relatives au commandement prévues pour la bataille imminente, et il lui fallait, à cet égard, prendre une décision qu’il craignait de regretter plus tard. « À toutes les unités, ici le capitaine Geary à bord de l’Indomptable. Confirmation de la structure du commandement pour l’affrontement en préparation. Outre le commandement général de la flotte, j’exercerai celui du corps principal. »

Il examinait toujours l’hologramme, en concentrant son attention sur la puissante formation placée en avant-garde au-dessus du corps principal. « La formation Fox cinq un sera commandée par le capitaine Duellos du Courageux. » Il reporta le regard sur la mâchoire inférieure de la flotte. « La formation Fox cinq deux sera commandée par le capitaine Numos de l’Orion. »

Desjani lui lança un regard compatissant. « Le capitaine Numos a de l’ancienneté.

— Ouais. Je ne pouvais que lui laisser le commandement de cette formation. » Pas d’autre choix, puisque je n’ai aucune raison de le déshonorer en confiant cette responsabilité à un subalterne. Mais, s’il joue les brêles, je serai alors fondé à le faire, et tant pis pour les conséquences.

Il activa de nouveau la commande des communications. « La formation Fox cinq trois sera sous les ordres du commandant Cresida du Furieux. La Fox cinq quatre sous ceux du commandant Landis du Vaillant. » Les forces légères formant les joues du casse-noix étaient donc pourvues. « Le capitaine Tulev du Léviathan commandera à la formation Fox cinq cinq. » Les escorteurs des auxiliaires exigeaient d’obéir à un homme qui aurait toute sa confiance, et Tulev était assurément cet homme. Un officier trop soupe au lait, fût-il aussi fiable que Duellos, risquait d’être tenté à un moment donné d’abandonner les auxiliaires pour jeter les escorteurs dans la bataille. Placide et serein, Tulev se tiendrait jusqu’à la mort aux côtés des auxiliaires pauvrement armés.

Geary jeta à l’hologramme un nouveau regard satisfait, content de voir les divers éléments de la flotte suivre exactement le chemin qui leur avait été indiqué. Puis il lui sembla lire une légère inquiétude dans les yeux de Desjani. « Quel est le problème ? » s’enquit-il calmement. Elle hésita. « Je dois connaître le fond de votre pensée, capitaine Desjani. Soyez directe. Sincère.

— Très bien, capitaine, répondit-elle, l’air de plus ou moins s’excuser. Je sais que nous avons pratiqué des simulations à partir de cette formation, mais les distances qui séparent nos forces continuent de m’inquiéter. Nous donnons l’impression d’être assez largement déployés pour inciter l’ennemi à nous attaquer séparément. »

Il hocha la tête. « Un souci parfaitement légitime. Scinder la flotte tout en restant passif permettrait sans doute à l’ennemi de s’en prendre à chacune de nos formations l’une après l’autre, en profitant de sa supériorité numérique ponctuelle. Si nous ne bougions pas, c’est effectivement ce qui se passerait. Mais nous n’allons pas nous contenter d’attendre sans réagir que les Syndics viennent nous descendre. Ou, plutôt, rectifia-t-il, les autres formations ne s’en contenteront pas. Car le corps principal, lui, s’offrira pour cible aux assauts du Syndic. »