« Nous détectons dans sa partie médiane des systèmes alimentés en énergie encore en activité, commandant, répondit la vigie.
— Il n’est pas encore mort, alors, conclut Desjani avec un sourire funeste. Lances de l’enfer, visez la partie médiane du croiseur. Tirez dès que la cible passera à notre portée. »
La grande carcasse tournoyante du classe D ne faisait pas une cible facile, mais les lances de l’enfer de l’Indomptable jaillirent et percutèrent son fuselage, frappant presque chaque fois sa partie médiane tandis que le croiseur de l’Alliance poursuivait son chemin en trombe.
« Ne reste plus aucun système actif détectable », annonça la vigie alors que l’épave du croiseur diminuait derrière eux, sans pour autant cesser de vomir, à intervalle irrégulier, d’autres capsules de survie.
« Il ne mérite pas une seconde passe, déclara Desjani. Prochaine cible, croiseur lourd, coordonnées relatives 020, trente et un degrés vers le haut, distance trois secondes-lumière. » L’Indomptable pivota, réagissant sans à-coups aux instructions de ses systèmes de manœuvre en infléchissant sa trajectoire vers le haut et légèrement de côté. Le croiseur du Syndic, qui lui aussi présentait des traces récentes d’avaries, tenta de plonger en une vaine manœuvre évasive, mais il était beaucoup trop près et ne bénéficiait pas suffisamment de l’avantage d’une vitesse relative. Desjani ajusta la trajectoire de l’Indomptable et frôla le croiseur lourd en fuite à bout presque touchant. Les boucliers du vaisseau de l’Alliance absorbèrent aisément les quelques rafales décousues tirées par le bâtiment endommagé, tandis qu’il le criblait d’une succession de tirs de barrage dont les premiers eurent raison de ses boucliers déjà affaiblis, tandis que les suivants lacéraient sa coque.
« Évaluation des dommages ? s’enquit Desjani alors que l’Indomptable et le croiseur s’écartaient l’un de l’autre selon des trajectoires divergentes.
— Lourdes avaries infligées au croiseur du Syndic, signala promptement la vigie. Confirmation de nombreuses frappes à toutes les zones de sa coque. Nous venons de détecter des capsules de survie qui s’en échappent, commandant.
— Ce croiseur est-il effectivement hors de combat ? demanda Desjani. En avez-vous la confirmation ? »
La vigie hésita un instant et se pencha sur les données recueillies par ses senseurs. « Très graves dommages, commandant. Et il semble désormais incontrôlé. Mais je ne peux pas confirmer sa destruction. »
Desjani réfléchit, le front plissé. « Il pourrait s’agir d’une ruse. » Elle inspecta le secteur du regard. « Et l’on ne trouve dans le voisinage aucun vaisseau du Syndic qui ne soit pas déjà accroché ou hors de combat. Rebroussons chemin et portons l’estocade. »
L’Indomptable entreprit de décrire laborieusement l’arc de cercle qui le ramènerait vers le croiseur du Syndic, en se servant de ses systèmes de propulsion pour décélérer et lui permettre d’exécuter un virage certes plus serré, mais qui n’en restait pas moins titanesque. Il ne l’avait pas entrepris qu’un destroyer de l’Alliance, passant tout près du croiseur du Syndic, lui décochait plusieurs autres frappes. Puis, aux deux tiers environ du virage de l’Indomptable, la vigie signala : « D’autres capsules de survie quittent le croiseur. En très grand nombre. »
Geary adressa à Desjani un petit sourire en coin. « M’est avis qu’ils vous ont sentie venir.
— Comme si nous allions les laisser s’en tirer, répondit-elle avant de donner un nouvel ordre à son équipage. Continuez de poursuivre la cible, mais retenez le feu jusqu’à ce que je donne l’ordre de tirer. » Geary et Desjani scrutaient intensément le croiseur lourd à mesure que l’Indomptable s’en rapprochait encore, mais désormais, en raison du large virage qu’avait exigé sa vélocité, à près de 0,2 seconde-lumière de distance. « Deux autres capsules de survie, j’ai l’impression », fit remarquer Desjani. Quelques instants plus tard, une lumière aveuglante fulgurait : le cœur du réacteur venait d’exploser. « C’était peut-être un accident, déclara-t-elle, mais, s’ils comptaient nous emporter avec eux, ils s’y sont pris un peu trop tôt.
— Difficile à dire, répondit Geary. Peut-être ont-ils sabordé leur bâtiment pour nous interdire de l’arraisonner. »
Desjani renifla dédaigneusement. « Qu’est-ce qui pourrait nous intéresser sur un croiseur lourd abandonné ? Ils auraient sans doute déjà détruit tout ce qui, à son bord, pourrait nous fournir des renseignements. Qu’aurions-nous bien pu en faire, à part mettre son réacteur en surcharge pour les empêcher de le récupérer ? Ils nous ont épargné cette peine. » Elle fixa son écran d’un œil dépité. « Plus aucune cible à proximité. »
Geary consulta le sien. Le nombre des Syndics encore actifs avait rapidement diminué, et les senseurs de l’Indomptable continuaient de détecter d’autres destructions. Quelques vaisseaux ennemis tentaient encore de s’échapper, mais leurs poursuivants s’en rapprochaient peu à peu, en provenance de directions variées. Ils seraient bientôt rayés des cadres.
C’est fini. Il scruta le nuage de débris, seul vestige subsistant de l’existence du croiseur lourd que l’Indomptable venait d’anéantir. Je ne veux même pas savoir combien d’hommes ont trouvé la mort au cours des dernières heures. Pour la plupart, assurément, des ennemis qui cherchaient à nous tuer, et c’est tout ce qui compte pour l’instant ; voilà la triste vérité.
Onze
Nombre de nouveaux objets célestes orbitaient autour de l’étoile que les hommes appellent Caliban. La plupart, de petite taille, étaient les débris déchiquetés des vaisseaux du Syndic qui s’étaient fait sauter eux-mêmes ou auxquels l’Alliance avait fait subir le même sort pour interdire à l’ennemi de les renflouer et de les réarmer. On apercevait aussi, parmi les décombres du combat, un essaim de capsules de survie du Syndic, éparpillées sur une vaste zone de l’espace et hébergeant les rescapés qui avaient réussi à quitter leur vaisseau avant la fin. Petites, désarmées et tout juste assez autonomes pour trouver la sécurité à l’intérieur du système, les capsules ne représentaient pas une menace pour la flotte victorieuse de l’Alliance.
« Ces naufragés pourraient de nouveau combattre. Et ils le feront certainement, s’insurgea Desjani. Je ne dis pas que nous devrions nous entraîner au tir sur leurs capsules, mais les rassembler et capturer leurs occupants ne serait pas une mauvaise idée. »
Avant de secouer négativement la tête, Geary lui fit comprendre qu’il y réfléchissait, « Où les mettrions-nous ? Ils satureraient tous les cachots des vaisseaux et il en resterait encore en surnombre. Sans compter qu’il nous faudrait les nourrir. »
Desjani fit la grimace puis acquiesça de la tête. « Sécurité et logistique. Deux entraves persistantes aux meilleures idées.
— Bien dit, sourit Geary. Mais j’ai déjà été témoin d’un tas de projets qui ne tenaient aucun compte de la réalité, ce qui ne semblait nullement perturber leurs initiateurs.
— Bien sûr que non. Pourquoi saboter un bon plan en permettant à la réalité de s’y immiscer ? » Elle sourit à son tour. « Ce fut une splendide victoire, capitaine Geary.
— Merci. Mais il reste certaines tâches en souffrance. Comment repérer celle de ces capsules qui héberge le plus haut gradé rescapé du Syndic ? »