Geary se surprit à éclater de rire. « Hélas, j’étais déjà au courant. Je suis persuadé qu’ils ne tarderont pas non plus à vous rapporter les épouvantables détails de la dernière réunion stratégique.
— Vous avez donc déjà affronté le problème ?
— Affronté ? Oui. » Il laissa transparaître ses sentiments. « Réglé ? C’est une autre paire de manches. Il est plus vaste et complexe qu’il n’y paraît.
— Vous faites allusion aux remaniements que vous avez apportés aux tactiques de la flotte de l’Alliance ? »
Il se contenta de la fixer longuement avant de répondre : « Combien d’espions exactement comptez-vous dans ma flotte, madame la coprésidente ? »
Elle réussit l’exploit d’afficher une mine légèrement estomaquée. « Pourquoi aurais-je infiltré des taupes dans une flotte amie, capitaine Geary ?
— Je peux imaginer tout un tas de raisons, dont, par exemple, vous tenir informée de ce que médite son amiral, suggéra-t-il. Je commence même à croire que vous ne vous fiiez pas entièrement non plus à l’amiral Bloch. »
Rione resta de marbre. « C’était un homme ambitieux.
— Et je sais déjà ce que vous pensez des ambitieux.
— Les ambitieuses me font le même effet, capitaine Geary. Êtes-vous fier de votre victoire à Caliban ? »
Pris de court par cette question abrupte, il s’apprêtait à dire oui mais ravala sa réponse, d’autres pensées venant de le tarauder. « D’une certaine façon, reconnut-il finalement. C’était la première fois que je commandais une flotte en action. Il me semble avoir passablement bien réglé ses manœuvres tactiques et convenablement prévu les réactions de l’ennemi. Mais c’était loin de la perfection. » Il s’interrompit de nouveau. « Je regrette de n’être pas parvenu au même résultat sans perdre un seul vaisseau ni même un seul homme. Mais je suis fier de cette flotte. Elle s’est bien battue.
— En effet. Les fruits de cette bataille sont pour le moins gratifiants.
— Est-ce vraiment ce que vous ressentez actuellement, madame la coprésidente ? Vous ne regrettez pas de m’avoir laissé le contrôle des vaisseaux de votre République et de la Fédération du Rift ? »
Elle secoua la tête. « Non. Tant que nous conservons notre sincérité – et nous la conservons, n’est-ce pas, capitaine Geary ?… Je dois néanmoins vous révéler une chose que vous finirez de toute façon par apprendre. Notre victoire a beaucoup impressionné mes commandants de vaisseau, même si une majorité d’entre eux partagent le malaise de nombreux officiers de l’Alliance quant à la manière dont elle a été remportée. Bien évidemment, dans la mesure où Black Jack Geary était un héros étranger, leur scepticisme à son égard est plus fort que celui des officiers de l’Alliance. Désormais… (elle poussa un profond soupir) ils se montrent plus enclins à percevoir une certaine vérité dans cette légende.
— Que les ancêtres me viennent en aide ! » Geary laissa de nouveau transparaître ses sentiments ; dorénavant, il se fiait assez à Rione pour se permettre au moins ça. « Ce mythe ne contient aucune vérité, comme vous le savez parfaitement. »
Elle crispa si fort les mâchoires que ses maxillaires saillirent. « Bien au contraire, capitaine Geary. Je vous l’ai dit. Vous êtes cette figure de légende.
— Vous savez que c’est faux !
— Je sais que vous avez arraché cette flotte au système mère du Syndic. Que vous l’avez amenée jusque-là et que vous avez remporté une victoire triomphale. Et je sais qu’aucun homme ordinaire n’en aurait été capable ! » Elle le fusillait du regard, comme pour le défier de la démentir.
Au lieu de réagir par la colère, Geary se surprit à éclater d’un rire empreint d’autodérision. « Chère madame la coprésidente, je n’en serais pas à ce point si un tas de gens ne m’avaient pas pris pour un cadeau des étoiles à la flotte de l’Alliance. Mais vous savez tout autant que moi qu’un nombre croissant de gens en viennent à douter de plus en plus de cette “vérité”. »
Rione lui rendit son sourire, mais sa voix exprimait plus de sarcasme que d’humour. « J’ai le pressentiment que vous trouverez le moyen de vous y faire, capitaine Geary. »
Il s’inclina légèrement et lui retourna l’ironie coup pour coup : « Merci de m’accorder votre confiance. »
Rione se leva et s’éloigna de quelques pas avant de se retourner pour le dévisager. « Je constate que vous avez dit “confiance” et non “loyauté”. »
Il haussa les épaules. « Ça revient au même.
— Que non pas. Je vais vous faire une autre confidence, capitaine Geary. Je ne suis pas surhumaine. J’aimerais beaucoup croire en vous, me persuader que vous êtes notre seul espoir et un cadeau de nos ancêtres. Mais je n’ose m’y résoudre. »
Le sourire de Geary s’évanouit et il fixa le pont quelques secondes. « Nous sommes au moins deux dans ce cas. Si j’y accordais foi moi-même, je serais pour cette flotte une menace plus dangereuse que l’ennemi.
— J’en conviens. Difficile à présent de douter de vous. » Elle sourit de nouveau, d’un sourire cette fois visiblement sincère. « Vous avez remporté votre victoire à Caliban, capitaine Geary. Que comptez-vous faire maintenant ? »
Il s’approcha du panorama étoilé. Pour la première fois depuis très longtemps, il le scruta jusqu’à reconnaître quelques étoiles de l’espace de l’Alliance. Encore si lointaines ! Son arrière-petit-neveu Michael Geary, mort à bord de son vaisseau le Riposte dans le système mère du Syndic, ne reverrait jamais l’espace de l’Alliance. Pas plus que l’équipage de l’Arrogant. Mais il restait encore de nombreux équipages qui comptaient sur Black Jack Geary pour les ramener au bercail, ainsi qu’une nièce, là-bas, une nièce qui pourrait lui parler de la famille qu’il avait perdue voilà un siècle. « Ce que je compte faire ? Comme vous l’avez très certainement entendu dire, je vais conduire cette flotte à Sutrah. Et, plus tard, la ramener à bon port, quels que soient les obstacles qui se dresseront sur son chemin. »
Remerciements
Je suis redevable à Anne Sowards, ma secrétaire de rédaction, de son estimable appui et de ses corrections, et à Joshua Blimes, mon agent, de ses suggestions et de son assistance inspirées. Merci aussi à Catherine Asaro, J. G. (Huck) Huckenpöhler, Simcha Kuritzky, Aly Parsons, Bud Sparhawk et Constance A. Warner, pour leurs conseils, commentaires et recommandations.