— Ça ressemble aux Énigmas, avança Tulev. Mais nous avons encore inspecté les systèmes du Léviathan sans trouver la trace de logiciels malveillants qui les corrompraient et nous cacheraient les assaillants.
— Que viendraient faire les Énigmas à Indras, de toute façon ? s’interrogea Badaya. Il s’agit probablement d’une arme secrète des Syndics qui se retourne contre eux. Voire de représailles d’un de leurs systèmes entrés en rébellion.
— Les autochtones rapportent qu’ils peuvent voir ce qu’ils appellent des “vaisseaux obscurs”, déclara Geary. Pourquoi les agresseurs d’un système stellaire syndic aveugleraient-ils nos senseurs et pas ceux des Syndics ? Leur gouvernement central lui-même n’a aucune raison de s’en prendre à l’un des siens, et, au vu des dommages que nous pouvons observer, le contingent ennemi doit être bien plus important que tout ce que peuvent aligner, à notre connaissance, les Syndics comme les systèmes rebelles de cette région de l’espace.
— S’il s’agit d’un virus syndic… reprit Badaya.
— Nous l’aurions déjà trouvé ! le coupa Desjani. Mes singes sont compétents. Autant qu’on peut l’être.
— Les Danseurs auraient-ils implanté quelque chose dans nos systèmes ? s’inquiéta Tulev. Aussi différent de ce que nous connaissons que les virus quantiques Énigmas.
— Ce n’est pas exclu, convint Geary. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui aurait bien pu les y pousser et pourquoi aideraient-ils les agresseurs d’Indras ?
— Je viens de vérifier pour la seconde fois, dit Desjani. Nous avons gardé en isolement complet le matériel de transmission qui nous sert à communiquer avec les Danseurs. Ils n’auraient pu infecter nos systèmes qu’en disposant de virus susceptibles de s’évader de ce matériel, de traverser le pont en rampant vers d’autres compartiments, invisibles à l’œil nu, et de s’introduire en frétillant dans nos autres équipements. S’ils en sont capables, alors nous avons affaire à une technologie si différente de la nôtre et tellement plus évoluée que nos chances de la repérer sont pratiquement voisines de zéro.
— Et s’il s’agissait de Bofs ? suggéra Badaya, attirant aussitôt tous les regards sur lui. Nous avons escorté très longtemps leur supercuirassé. Quelque chose aurait pu s’en échapper, progresser à travers les systèmes des fusiliers et de la flotte puis infecter tous nos vaisseaux.
— Une contamination dont la source serait l’Invincible ? » Geary y réfléchit un instant, tandis que son regard se reportait fugacement sur son écran, où une autre installation syndic d’Indras venait d’exploser sous l’impact de projectiles cinétiques invisibles aux senseurs de l’Alliance.
« Des vaisseaux bofs ne pourraient pas attaquer Indras, protesta Desjani. Comment seraient-ils venus jusqu’ici ? En outre, les assaillants utilisent des projectiles cinétiques qui, autant que nous le sachions, n’existent pas à bord des vaisseaux bofs. Sans compter que, selon mes gens, le matériel que nous avons trouvé sur l’Invincible est totalement différent du nôtre. Comment leurs logiciels auraient-ils pu migrer vers nos systèmes quand leurs systèmes d’exploitation et les nôtres sont incompatibles ? »
Le silence perdura un instant. « Nous avons apparemment éliminé toutes les forces hostiles susceptibles d’aveugler nos senseurs, finit par dire Tulev. Quels autres ennemis la flotte se connaît-elle ?
— En dehors du gouvernement et de son propre QG, voulez-vous dire ? » demanda Badaya, sarcastique.
Geary le dévisagea plusieurs secondes avant de reprendre la parole : « Tanya, vous venez bien de dire que vos singes avaient l’absolue certitude qu’il n’y avait rien de suspect dans nos systèmes, n’est-ce pas ?
— Rien, amiral, répondit-elle avec véhémence. À moins que ce ne soit tout nouveau et inhabituel, et que ça ne dérive de principes complètement différents de ceux que nous avons appliqués, envisagés, rencontrés ou imaginés jusque-là.
— Capitaine Tulev ? Capitaine Badaya ? Les gens des systèmes de sécurité de vos vaisseaux sont-ils du même avis ? »
Tous deux hochèrent la tête. « J’aimerais que le capitaine Cresida soit encore là pour élucider ce problème, ajouta Tulev. Mais je ne jurerais pas qu’elle-même pourrait nous fournir la réponse.
— Un autre aviso vient d’être détruit, annonça Desjani. Il fuyait manifestement ce qui l’a frappé. Je n’avais encore jamais participé à un combat où seul un des deux adversaires était visible. Où voulez-vous en venir, amiral ?
— Je lisais autrefois de vieux romans policiers, répondit Geary. Vraiment très, très anciens. Dans l’un d’eux, le détective disait que, quand on a éliminé toutes les possibilités, ce qui reste est forcément la réponse. Je ne l’ai jamais oublié. Et, maintenant que nous avons éliminé celle d’un logiciel non autorisé, qui brouillerait nos systèmes et irait peut-être jusqu’à effacer des vidéos syndics que nous interceptons l’image des agresseurs, que reste-t-il ?
— Un logiciel autorisé ? demanda Tulev, non sans laisser percer une rare surprise dans sa voix.
— Exactement. Quelque chose qui est déjà censé s’y trouver, qui provoque ce phénomène et qui ne déclenche aucune alarme de nos filtrages de sécurité parce qu’il ne s’agit ni d’un ver, ni d’un virus, ni de rien d’apparenté, mais fait partie intégrante de notre système d’exploitation.
— Pourquoi le QG de la flotte ferait-il une chose pareille ? »
Badaya allait répondre quand Geary lui coupa vivement la parole. « Peut-être n’en est-il pas responsable. Pas plus que le gouvernement. Peut-être est-ce le fait de certaines officines et de programmes secrets, sans que la majorité des gens en soient seulement informés dans les hautes sphères. Peut-être le gouvernement ou le QG de la flotte y ont-ils partiellement collaboré. Du moins si je ne me trompe pas complètement. Ordonnez à vos gens de chercher de ce côté !
— Mais quoi donc ? » s’enquit Badaya d’une voix cette fois plaintive.
Tulev répondit à sa question en faisant preuve d’une logique parfaitement objective. « Nous ne savons pas sous quel nom se présente ce logiciel, ni non plus dans quel sous-système il opère, mais nous savons au moins ce qu’il est censé faire. Nous pouvons donc nous mettre en quête de celui qui répond à cette fonction, où qu’il se trouve.
— Exactement, dit Geary. Pendant que nous cherchons, je vais conduire le détachement au point de saut pour Kalixa, mais à une vélocité ne dépassant pas 0,05 c. »
S’il s’était senti impuissant en observant les événements qui se déroulaient à Midway, ici, à Indras, alors qu’il assistait à une bataille littéralement unilatérale et que le détachement de l’Alliance continuait de longer les franges extérieures du système, Geary éprouvait plutôt une étrange sensation d’incompréhension.
« Amiral, nous recevons un appel des Syndics. Transmis par un canal d’urgence. Ils doivent se servir de systèmes de contrôle parallèles. »
Guère surprenant, compte tenu des dommages infligés à leurs systèmes principaux. « Basculez sur mon écran. »
La CECH qui lui apparut n’était pas Yamada. Elle n’était pas non plus impeccablement vêtue ni n’affichait une expression hypocritement calculatrice. Elle donnait plutôt l’impression, en réalité, qu’on venait de faire s’effondrer son univers. « C’est un acte de guerre ! L’Alliance nous a ouvertement attaqués sans aucun avertissement, en provoquant d’énormes dommages et pertes en vies humaines ! Cessez immédiatement toute agression à notre encontre et retirez sur-le-champ vos vaisseaux de ce système ! »