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Et les vaisseaux obscurs se retournaient de nouveau.

Geary coula un regard vers Desjani, laquelle regardait fixement son écran sans piper mot ni lui prodiguer de recommandations comme à son habitude. Parce qu’elle est consciente que la situation est inhabituelle. Elle ne voit pas quels conseils me donner quand je m’affronte moi-même. Et ses suggestions me manquent parce qu’elles m’ont souvent sauvé la mise et…

Bien sûr ! « Sans doute détiennent-ils les simulations de combats que j’ai livrés, Tanya, mais ils ne vous ont pas, vous.

— Très flatteur, répondit-elle d’une voix tendue. Mais je ne vois pas le rapport avec nos chances de victoire dans celui-ci. Je n’étais pas en train de gagner la guerre toute seule quand vous avez fait votre apparition, rappelez-vous.

— Ce que je veux dire, c’est que nous formons une équipe, expliqua Geary en faisant preuve d’une patience qu’il ne ressentait pas vraiment. Vous voyez ce qui m’échappe et moi ce qui vous échappe. Le simulacre de Black Jack dont disposent les vaisseaux obscurs ne contiendra pas ces subtilités. Et j’ai la conviction qu’on a téléchargé des procédures tactiques vieilles d’un siècle dans cette simulation, des méthodes qu’on a graduellement oubliées au cours de la guerre mais que j’ai remises en vigueur parce que je les connaissais encore. J’ai remarqué qu’on avait recouru dans l’attaque du vaisseau estafette aux méthodes exactes préconisées par le manuel pour ce type précis de situation. Ce qui veut dire que la simulation, en face, est programmée pour contrecarrer les miennes seules. »

Les yeux de Tanya brillèrent d’un féroce enthousiasme. « Plus j’influence vos tactiques, plus je vous suggère des méthodes qui ne cadrent pas avec votre propre entraînement, et moins la simulation sera en mesure de les prévoir ?

— Exactement. Vous disiez avoir étudié les simulations de mes combats passés pour apprendre à m’imiter. À présent, j’ai besoin de votre aide pour désapprendre à combattre comme j’en ai l’habitude. Mais assez subtilement encore pour faire leur fête à ces vaisseaux obscurs. »

Elle sourit. « Je vais donc vous dire très exactement comment mener votre prochaine passe de tir.

— C’est-à-dire ? demanda-t-il en regardant les vaisseaux obscurs se rassembler à deux minutes-lumière du détachement de l’Alliance, prêts à se lancer à ses trousses.

— Faites très précisément ce que vous aviez prévu pour la dernière passe de tir. Vous comptiez frapper leur sous-formation de queue sur bâbord, n’est-ce pas ? Réitérez.

— Hein ? lâcha Geary, mystifié.

— Vous ne répétez jamais tout à fait la même manœuvre une fois que vous l’avez appliquée, amiral. Ces vaisseaux s’attendent à ce que vous visiez une autre cible. Ils partiront de ce principe parce que leur simulation leur soufflera que vous ne frappez jamais deux fois d’affilée au même endroit ni de la même manière. »

Il la fixa. « Je t’aime.

— Je vous demande pardon, amiral ? » Cela dit, elle souriait.

« Excusez-moi. » Si on l’avait entendu sur la passerelle, on feignait admirablement l’ignorance.

Il ordonna au détachement de piquer à nouveau vers le bas : les trois sous-formations achevèrent de décrire une courbe verticale qui les ramenait face aux vaisseaux obscurs. S’il y avait eu réellement un « haut » et un « bas », leur alignement aurait sans doute été complètement inversé, mais ça n’avait aucune importance dans l’espace. L’essentiel, c’était que l’ennemi avait lui aussi réajusté sa propre formation et légèrement plongé pour se préparer à une seconde interception frontale.

« C’est exactement ainsi que je les aurais rangés si j’avais commandé ces vaisseaux obscurs, déclara Geary. Vous aviez raison. Absolument.

— En serions-nous enfin arrivés au moment où vous commencez à comprendre ? s’enquit-elle.

— C’est déjà fait. Je nous ai arrachés à la première passe de tir, n’est-ce pas ? »

Les deux formations en V étaient alignées sur le même plan, les trois sous-formations de Geary légèrement basculées d’un côté par rapport à celles de l’ennemi. Ce qui n’était que plus propice cette fois. « Formation Delta un, déportez-vous de deux degrés sur bâbord et d’un degré vers le bas à T quarante et un. Formation Delta deux, déportez-vous de six degrés vers bâbord et de trois vers le bas à T quarante virgule cinq. Formation Delta trois, déportez-vous d’un degré vers bâbord à T quarante-deux. Verrouillez-vous sur les cibles de la sous-formation ennemie la plus éloignée sur bâbord. »

C’est complètement inepte. Tout son entraînement et toute son expérience lui dictaient de n’en rien faire, de ne pas viser de nouveau le flanc gauche de la formation des vaisseaux obscurs à l’occasion d’un engagement aussi proche que possible de la première passe de tir. Mais, si j’en ai l’impression, alors c’est effectivement ce que je dois faire.

Pendant les quelques secondes qui précédèrent le contact, les trois sous-formations – en commençant par celle de Badaya sur le flanc supérieur gauche du détachement – altérèrent leur vecteur et se déportèrent légèrement pour se concentrer là où Geary s’attendait à voir apparaître la sous-formation ennemie la plus éloignée sur la gauche dès que les vaisseaux obscurs, à leur tour, s’élanceraient pour intercepter les siens là où ils croyaient les trouver.

L’échange de tirs fut très éphémère. Les systèmes de contrôle automatisés ouvrirent le feu pendant la très fugitive seconde où les deux forces se retrouvèrent à portée d’armes l’une de l’autre.

Geary sentit l’Indomptable vibrer sous les frappes et ses tripes se contracter. Il se demanda si le vaisseau était gravement endommagé.

Puis, les senseurs des vaisseaux de l’Alliance scrutant l’espace derrière eux pour évaluer les résultats de la rencontre, les écrans se réactualisèrent.

Ça n’était pas parfait. Pas entièrement. Mais, s’attendant à y trouver Geary, les vaisseaux obscurs avaient viré vers le haut et tribord. Rapide et exécutée avec une grande précision, la manœuvre les avait placés pour la plupart en mauvaise position, tandis que ceux de l’Alliance cernaient quasiment leur sous-formation de gauche et la soumettaient au feu nourri de douze croiseurs de combat, huit croiseurs lourds, treize croiseurs légers et vingt-cinq destroyers.

Un des croiseurs de combat ennemi était complètement détruit ; il ne restait plus qu’un nuage de débris pour marquer sa position. L’autre s’était brisé en plusieurs morceaux qui s’éloignaient lentement les uns des autres en laissant dans leur sillage de plus menus fragments à mesure qu’ils dérivaient. Le croiseur lourd avait été sévèrement endommagé et tournoyait sur lui-même, hors de contrôle, toutes ses armes pratiquement HS, et, sur les quatre destroyers de cette sous-formation, trois avaient été déchiquetés tandis que le quatrième s’était brisé en deux et que ses deux moitiés tenaient à peine ensemble.

Geary enregistra tout cela puis se pencha sur les dommages infligés à ses propres vaisseaux. Au cours des quelques secondes qui avaient précédé le contact et durant lesquelles l’ennemi avait pu distinguer ce qui se passait et accorder la priorité à telle ou telle cible, il avait manifestement concentré tous ses tirs sur la formation centrale du détachement de Geary. En dépit de leur infériorité numérique, l’armement plus conséquent des vaisseaux obscurs leur avait permis de placer quelques frappes heureuses. Le Risque-tout avait été touché plusieurs fois, il avait perdu une batterie de lances de l’enfer ainsi que deux lance-missiles. Le Victorieux aussi avait été frappé et il avait perdu la moitié de ses lance-missiles, mais aucun des deux croiseurs de combat n’avait souffert de dommages à sa propulsion ni à sa capacité de manœuvre. L’Adroit, en revanche, penchait vers bâbord, privé de tout contrôle sur ses manœuvres.