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— Il nous faudra la découvrir.

— Je ferai mon possible. » L’espace d’une brève seconde, juste avant qu’elle ne cache ses sentiments, l’angoisse se lut dans ses yeux. « Agir ouvertement contre vous alors que vous avez toujours soutenu l’Alliance serait de la part du Grand Conseil parfaitement irrationnel. Mais je ne me fie plus moi-même à ma capacité à comprendre ses motivations. Vous avez créé une situation qu’ils n’avaient encore jamais connue et dont ils n’ont jamais imaginé non plus qu’ils auraient à l’affronter un jour : la paix. Ils quêtent désespérément des réponses, et je soupçonne leurs réactions d’être davantage inspirées par la crainte que par la raison. Je ne doute pas que vous vaincriez Bloch dans une bataille, même en situation d’infériorité numérique, mais ça signifierait la guerre civile. Si l’on en arrivait là, les dommages à l’Alliance seraient irréparables.

— Il y a toujours le ruban adhésif », laissa tomber Geary, conscient en même temps que c’était là une bien vaine tentative pour alléger leurs inquiétudes communes.

Le mot arracha néanmoins un faible sourire à son interlocutrice. « Autant cet expédient a impressionné les Danseurs, qui y ont vu la plus belle invention de l’espèce humaine, autant je doute qu’il suffirait à retaper l’Alliance si elle était à ce point brisée. Qui, selon vous, commandite ici les agressions contre nous ?

— Dame Vitali affirme que l’argent venait d’en dehors du système solaire.

— Elle a raison, me semble-t-il. Mais d’où exactement ?

— Les vaisseaux du Bouclier de Sol ne visaient pas seulement l’Indomptable, mais aussi les sénateurs de l’Alliance qui étaient à son bord, fit remarquer Geary. Dans la mesure où ils prônent un très large éventail de points de vue différents, qu’on s’en prenne à tous en même temps trahit un commanditaire originaire du territoire des Mondes syndiqués.

— Plausible mais improbable. L’espace syndic est bien plus éloigné de la Vieille Terre que celui de l’Alliance, lequel n’est pas non plus tout proche. » Toute trace d’humour s’était évanouie lorsqu’elle le fixa sans ciller. « Je reconnais avoir été surprise par l’audace des tentatives d’aujourd’hui. Je ne l’aurais pas dû. Il y a dans l’Alliance de puissants personnages qui sacrifieraient volontiers leurs soi-disant amis et alliés au nom d’une cause prétendument plus noble. Inclure quelques-uns des siens dans les pertes afin de passer soi-même pour une victime est un antique stratagème, tant dans le crime qu’en politique. Nous avons plaisanté de ma capacité à en user contre vous, mais je ne le ferai jamais car je vous crois la seule chance de l’Alliance. D’aucuns, néanmoins, voient en vous un danger en puissance ou une entrave à la solution qu’ils préconisent. Tant que Black Jack était mort, il restait pour le gouvernement un martyr idéal, qui lui servait très exactement comme il le souhaitait. Ne vous bercez pas d’illusions. D’autres préféreraient revenir à l’époque où ils pouvaient encore l’utiliser pour atteindre leurs objectifs, parce que, selon eux, il était mort, inoffensif et incapable d’agir de son propre chef. De tous ces gens, vous ne savez vraiment pas à qui vous pourriez vous fier. »

Geary soupira, baissa un instant les yeux puis les releva pour la fixer de nouveau. « Si je ne puis me fier à personne, pourquoi devrais-je me fier à vous, Victoria ?

— Je n’ai rien dit de pareil. Vous avez toujours votre capitaine. Quant à moi, je ne vous demande pas de me faire confiance parce que je serais un parangon de vertu sur qui la lumière des vivantes étoiles brillerait avec un éclat particulier. Vous savez que ce n’est pas le cas. » Son mince sourire était revenu. « Non. La raison pour laquelle vous pouvez vous fier à moi est la même que celle pour laquelle j’ai choisi de me fier à dame Vitali. L’intérêt bien compris. J’aimerais sauver l’Alliance, et je crois que seul un Black Jack vivant en est capable. »

Ça ressemblait beaucoup trop à ce que Tanya lui avait dit devant l’ancien mur pour ne pas le mettre mal à l’aise, et Geary avait appris au fil du temps qu’il valait mieux prêter l’oreille les rares fois où ces deux femmes tombaient d’accord. « Et comment exactement dois-je m’y prendre ?

— En restant en vie. Si cette condition n’est pas remplie, rien n’est possible. »

Trois

Les heures passaient trop lentement ; l’Indomptable restait sur la même orbite proche de la Vieille Terre et l’humeur de Tanya Desjani ne cessait de se dégrader.

La réaction de deux sénateurs à bord du croiseur n’avait rien fait pour l’améliorer. Costa s’était rembrunie en apprenant la disparition des deux officiers. « Ça risque de retarder notre retour dans l’Alliance ? » Le silence qui avait suivi sa question lui avait fait piquer un léger fard puis elle avait vainement tenté de s’éclipser dignement.

Le sénateur Suva ne s’était guère mieux débrouillé. « Vous allez les inculper de désertion, au moins ? » avait-il d’abord demandé.

Par bonheur pour la réputation du Sénat de l’Alliance, qui, de toute façon, n’aurait pu tomber plus bas dans l’estime de la flotte, Sakaï avait réagi à la nouvelle par une question susceptible d’améliorer considérablement son image aux yeux de l’équipage. « Comment puis-je vous aider ? »

Victoria Rione, pour sa part, était restée mortellement sérieuse, tant dans ses paroles que dans son maintien, témoignage patent et pour le moins perturbant de son anxiété. « On ne m’apprend strictement rien, avait-elle confié à Geary. Je ne crois pas que mes informateurs mentent. Ils sont réellement impuissants à les retrouver, et, si vos officiers manquants s’étaient envolés pour vivre une lune de miel romantique dans les ruines de la Terre, on les aurait depuis longtemps repérés. »

Près de dix heures après la disparition des deux lieutenants, Geary feignait de s’atteler dans sa cabine à la paperasserie en souffrance quand son panneau de com se mit à bourdonner avec insistance. Desjani affichait une mine féroce : « Les locaux nous ont donné des nouvelles de mes officiers.

— Ils les ont trouvés ?

— Non. Seulement la preuve que les lieutenants Castries et Yuon ont été enlevés et exfiltrés de la Vieille Terre. » Elle appuya sur une touche et une partition de l’écran montra un homme âgé en train d’attendre patiemment, assis derrière un impressionnant bureau de bois sans doute vieux de plusieurs siècles, tandis que, juste au-dessus de son épaule gauche, le tableau d’un pic volcanique solitaire couronné de neige était accroché au mur. Tout dans ce local, y compris l’homme qui l’occupait, transpirait l’histoire et l’ancienneté. « Veuillez résumer pour l’amiral ce que vous venez de me dire », le pria Desjani.

Le vieil homme inclina légèrement la tête à son intention puis se tourna vers Geary. « Après avoir passé de nombreuses données au crible, nous avons découvert dans un hangar de fret sous notre juridiction des échantillons d’ADN correspondant à ceux de vos officiers.

— Des échantillons d’ADN ? répéta Geary.

— Provenant de minuscules particules, squames cutanés et autres cheveux que les êtres humains laissent constamment derrière eux. » Le vieux monsieur eut un geste d’excuse. « La quantité d’ADN était infime et son analyse a exigé beaucoup de travail complémentaire, mais nous n’avons aucun doute quant à sa provenance. En nous fondant sur les autres preuves découvertes dans ce hangar, nous avons acquis la certitude que vos deux lieutenants ont été clandestinement exfiltrés de la planète au moyen des conteneurs spécialement aménagés que les criminels utilisent parfois à ces fins. »