— Ne pourrions-nous pas les tenir à l’écart ? demanda Rione à Geary. Les empêcher d’intervenir dans notre opération ? »
Il lut la réponse dans les yeux de Tanya. « Non, répondit-il. Sauf à les trouer comme des passoires.
— Ce dont je préférerais m’abstenir en l’occurrence », ajouta Desjani.
Le chef Tarrini marmonna quelques mots, façon « C’est une première », puis elle regarda autour d’elle comme pour chercher qui venait de parler.
« Je ne sais pas comment gérer les locaux, reprit Geary. Par bonheur, nous avons quatre politiciens à bord.
— Par bonheur, nous avons quatre politiciens à bord ? répéta Desjani. Voilà un commentaire que je ne m’attendais pas à entendre.
— Je vais m’entretenir avec eux. Vous aussi, docteur. Je dois leur exposer notre plan, obtenir leur approbation… »
Desjani laissa échapper une protestation inarticulée.
« Obtenir leur approbation, reprit Geary, et chercher un moyen de procéder sans provoquer un incident diplomatique dont on entendrait parler jusqu’à la frontière du territoire bof.
— C’est beaucoup demander, prévint Rione. Mais je n’en disconviens pas. Il nous faut l’approbation du gouvernement. »
Orvis se tourna vers Geary et Desjani. « Dois-je préparer mes hommes ou attendre les ordres ? »
Geary hocha la tête. « Entamez vos préparatifs. Vous savez ce qu’exigera la mission. Nous vous préviendrons dès que nous aurons le feu vert. »
Orvis se leva et salua. Ce geste était souvent bâclé dans la flotte puisque, avant d’y être réintroduit par Geary, l’usage s’en était perdu au cours des dernières décennies de la guerre. Mais les fusiliers, eux, s’étaient entêtés tout du long à le perpétuer, de sorte que celui d’Orvis était un modèle de rigueur. « Je vais avoir besoin d’instructions particulières concernant les ravisseurs, amiral. Cela dit, à ce que j’ai cru comprendre, les tuer tous durant l’opération serait peut-être un geste miséricordieux.
— Peut-être, répondit Geary à voix basse sans regarder le docteur Nasr. Mais, pour l’heure, vos ordres sont de faire tout votre possible pour récupérer les otages. Si certains des ravisseurs s’interposent, prenez toutes les mesures qui s’imposent mais n’abattez personne sauf si c’est absolument nécessaire. En cas de contre-ordres, je vous informerai.
— Entendu, amiral.
— Prévoyez-vous des problèmes, sergent, quant au nombre de vos gens qui se porteront volontaires ? » demanda le docteur Nasr.
Orvis sourit. « Quand je les brieferai sur la mission, je leur ferai savoir qu’ils se sont tous portés volontaires. Ça gagnera du temps. »
Après le départ d’Orvis et des chefs Tarrini et Gioninni, le médecin tourna vers Geary un regard troublé. « Il y a toujours un danger pour ces deux lieutenants, vous savez. Même si nous réussissons à les arracher à Europa sains et saufs. Il suffirait qu’une seule bactérie adhère encore à l’extérieur d’une cuirasse pour qu’elle leur soit transférée au moment où ils la revêtiront.
— Que pouvons-nous faire s’ils sont contaminés avant ? demanda Desjani.
— Rien. Je ne peux même pas prendre le risque de les soigner, sauf en gardant mes distances. S’ils ont été gagnés par la contagion, ils peuvent mourir avant même que nous n’ayons fini de décontaminer l’extérieur de leur cuirasse et de celle des fusiliers. Nous devrons les soigner comme s’ils avaient été probablement infectés. Une fois à bord, nous les garderons à l’isolement complet. Nous ne disposons que d’un seul compartiment qui le permet. À deux là-dedans ce sera surpeuplé, mais on n’a pas le choix.
— Il n’y a pas de traitement ? s’enquit Desjani. Aucun médicament ?
— Pour en inventer un, il faudrait un échantillon de la maladie, expliqua Nasr. Tous les spécimens existants ont été confinés sur Europa. Je chercherai à découvrir si des simulations de thérapie fondées sur des données distantes ont été effectuées, mais je serais très surpris qu’elles soient encore accessibles.
— Peut-être les locaux en détiennent-ils, suggéra Geary. Ils vivent depuis des siècles avec Europa au-dessus de leur tête. Ils auront certainement réfléchi aux mesures à prendre en cas de fuite de cette abomination.
— Peut-être. » Le médecin haussa les épaules. « Mais un tabou est parfois trop impressionnant pour qu’on ose le regarder en face. En outre, je me souviens aussi d’un mien confrère qui affirmait que la recherche d’un traitement était contre-productive puisqu’elle ne faisait qu’encourager les comportements favorisant la contagion. Je n’étais pas de cet avis, mais cette attitude pourrait prévaloir ici. Toute suggestion laissant entendre qu’on a découvert un traitement risquerait d’inciter à relâcher la quarantaine, et je peux comprendre pourquoi on le découragerait. »
Le médecin et Rione partis, Desjani tourna vers Geary un regard furieux. « Amiral… »
Il brandit une main comminatoire. « Tu sais que je ne peux pas approuver cela de mon propre chef. »
Elle le fixa avec entêtement. « Non, je n’en sais rien.
— C’est une question trop importante et nous avons des représentants du gouvernement à bord.
— Non.
— Je dois leur demander, Tanya.
— Non !
— Tu veux assister aussi à cette réunion ?
— Non. » Le regard de Desjani se fit plus noir et elle crispa le poing pour en frapper légèrement la table. « Mais j’y assisterai tout de même, amiral, pour m’assurer que deux de mes officiers ne sont pas voués à une mort certaine à cause des atermoiements et des discutailleries politicardes de nos estimés sénateurs. »
Quatre
Trois sénateurs de l’Alliance, une envoyée de l’Alliance, un amiral, un capitaine de sa flotte et un de ses médecins militaires étaient assis autour d’une table basse dans la salle de conférence sécurisée du croiseur de combat Indomptable. Une image d’Europa et de tous les vaisseaux et autres appareils orbitant autour de Jupiter à proximité de son satellite flottait au-dessus.
Geary venait de finir d’exposer le plan de bataille et attendait la réaction des sénateurs.
Suva semblait souffrir d’une migraine. « Europa ? Pourquoi a-t-il fallu que ça arrive ici plutôt que n’importe où dans le système solaire, lâcha-t-elle.
— C’est pourtant ici, laissa tomber Sakaï. Deux des nôtres y sont retenus. L’amiral affirme que nous pouvons intervenir. Prenons-nous cette mesure ?
— Sinon ces deux officiers de l’Alliance mourront, affirma Costa.
— Combien d’officiers sont-ils morts au cours du dernier siècle ? demanda benoîtement Sakaï.
— Là n’est pas la question et vous le savez ! Envoyer nos militaires en mission là où ils pourraient trouver la mort est une chose. Attendre les bras croisés que deux des nôtres trépassent alors qu’on pourrait l’empêcher en est une autre tout à fait différente. » Costa fit des yeux le tour de la tablée en les défiant du regard. « L’Alliance passerait pour faible. Pour l’instant, les autochtones nous respectent. Ils ont été témoins des capacités de ce croiseur de combat. Nous ne tenons certainement pas à ce qu’ils décident que nous manquons de détermination pour protéger nos gens et nos intérêts.
— Mais les deux lieutenants pourraient être déjà morts, protesta Suva. Ou… contaminés. »